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L’école et les familles issues de l’immigration

Bâtir des ponts entre élèves et enseignants

Alessandra Froelich
Alessandra Froelich
Photo : Michel Caron

Originaire du Brésil, Alessandra Froelich a immigré au Québec en 2006. Depuis, elle s’est tissé un réseau d’amis dont certains, comme elle, sont immigrants. Un sujet s’est installé naturellement dans leurs conversations : les attentes, face à l’école, de ces parents d’élèves issus de l’immigration.

«Certains se questionnent sur la qualité de l’instruction et les valeurs transmises par l’école», explique Alessandra Froelich, tellement captivée par la discussion qu’elle a entrepris un doctorat sur le sujet.

Le choc des valeurs

«Les parents immigrants ont généralement de grandes attentes envers l’éducation de leurs enfants, car ils estiment qu’elle détermine leur réussite économique future», précise la diplômée de la maîtrise en éducation de l’UdeS. Ces parents vivent un certain choc lorsqu’ils découvrent que les matières principales, comme les mathématiques et le français, ne sont pas enseignées de manière aussi approfondie qu’ils l'auraient souhaité. Ils craignent par conséquent que leurs enfants ne soient pas suffisamment bien préparés pour entrer à l’université, l’éducation étant un élément central de leur projet migratoire.

Dans les faits, l’école québécoise a aussi pour mission de socialiser, c'est-à-dire permettre à l'élève de développer des attitudes qui tiennent compte de l'appartenance à une collectivité. Or, cette mission agace et frustre bien des parents. «Ils ont l’impression que l’école intervient dans des domaines privés, indique Alessandra Froelich. Les valeurs transmises par l’école sont parfois bien différentes de celles qui leur sont chères.» La situation est d’autant plus délicate que l’école est le milieu principal au sein duquel les familles immigrées expérimentent et apprivoisent leur société d’accueil.

Les sciences humaines s’intéressent à ce phénomène tel qu’il se vit dans les grands centres mais pas dans les régions. «Les études démontrent qu’il y a de sérieux malentendus entre ce que valorisent les familles immigrantes et les enseignants à Montréal, relate la chercheuse. Est-ce que cela est différent à Sherbrooke?»

À Sherbrooke − où résident 70 % des immigrants de l’Estrie − 38 % des personnes immigrées sont des réfugiées, alors que cette proportion est de 23 % à Montréal. S’il est trop tôt pour dire qu’une telle particularité influence la perception des familles, elle doit à tout le moins être explorée, dit Alessandra Froelich.

Les professeurs Yves Lenoir, de la Faculté d’éducation, ainsi qu’Annick Lenoir, de l’École de travail social, codirigent ses travaux. La chercheuse s’est aussi adjoint la participation du professeur Frédéric Tupin, du Département des sciences de l’éducation de l’Université de la Réunion.

Sur le terrain pour ouvrir le dialogue

Dès le printemps 2013, celle qui était autrefois psychologue auprès de jeunes enfants ira interviewer une dizaine d’élèves âgés entre 8 et 12 ans. Ceux-ci seront recrutés dans deux écoles : l’une issue d’un milieu aisé et caractérisée par une moindre présence d’immigrants, et l’autre issue d’un milieu défavorisé et multiculturel. Animée d’une vive curiosité, la jeune chercheuse effectuera également des entrevues avec une vingtaine de parents issus de l’immigration ainsi qu’avec cinq enseignants du primaire. «Le point de vue des enseignants est très peu documenté», signale-t-elle.

«Je souhaite aussi mettre en lumière les idées que partagent ensemble les enseignants, leurs élèves et leurs familles», déclare Alessandra Froelich. La chercheuse veut avant tout ouvrir un dialogue entre ces deux réalités, et éventuellement identifier ce qu’il est possible de faire en classe pour tenir compte des besoins des familles immigrantes. Ces préoccupations, souligne-t-elle, s’inscrivent dans les orientations ministérielles à propos de l’intégration des immigrants au Québec et au Canada. Rappelons enfin qu’à partir de 2015, le Canada devra compter principalement sur l’apport de l’immigration pour maintenir sa population en âge de travailler.

Alessandra Froelich bénéficie d’une bourse du Fonds de recherche du Québec – Société et culture; le dépôt de sa thèse est attendu au printemps 2014.