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Médecine personnalisée : des avancées scientifiques qui interpellent les juristes

Mélanie Bourassa Forcier et Louise Bernier, professeures à la Faculté de droit.
Mélanie Bourassa Forcier et Louise Bernier, professeures à la Faculté de droit.

Analyser le bagage génétique d'un patient pour lui fournir une médication optimale : voilà le genre de possibilité qu'offre la médecine personnalisée. Cette nouvelle approche sera bientôt une pratique incontournable, clament plusieurs intervenants de la santé. Des juristes y croient aussi et préparent déjà le terrain à cette voie d'avenir, qui malgré ses avantages, soulève des enjeux de droit et d'éthique.

Les professeures Louise Bernier et Mélanie Bourassa Forcier sont spécialistes en droit et politiques des sciences de la vie et s'intéressent à la médecine personnalisée. Elles traiteront de cette question lors du colloque Le droit comme vecteur de la gouvernance en santé? Défis théoriques et enjeux pratiques de l'accès aux soins de santé, les 10 et 11 mai à la Faculté de droit de l'UdeS dans le cadre du congrès de l'ACFAS.

Médicaments mieux dosés

Mais qu'est-ce que la médecine personnalisée? «En faisant des tests de diagnostic sur l'ADN d'un patient, on obtient de l'information sur son patrimoine génétique. Cela permet d'identifier les traitements dont il a réellement besoin et auxquels son corps répondra le mieux, expliquent les professeures Bernier et Bourassa Forcier. La science a encore un peu de chemin à parcourir, mais il existe déjà plusieurs outils pour appliquer la médecine personnalisée.»

Les tests de diagnostic permettent ainsi de déterminer la dose exacte de médicaments que devrait prendre un patient. En effet, certaines personnes réagissent différemment aux doses standardisées en raison de leur profil génétique particulier.

«Ainsi, les individus dont le métabolisme d'absorption des médicaments est lent risquent de souffrir d'une surdose à la suite de la consommation prolongée d'un produit, explique la professeure Bourassa Forcier. Il y a cet exemple d'un jeune garçon américain décédé à la fin des années 1990 à la suite d'une surdose de Prozac en raison de la grande lenteur de son métabolisme. La médecine personnalisée permettrait d'éviter cela.»

Médecine plus efficace

Autre aspect de la médecine personnalisée : l'établissement d'une banque de données mettant en lien les dossiers des patients d'une région ou même d'un pays. «Cette banque se créerait en temps réel et permettrait de mettre en corrélation plusieurs éléments, augmentant l'efficacité du travail des médecins», explique Luc Paquet, vice-doyen au développement et partenariats de la Faculté de médecine et des sciences de la santé.

Une telle banque de données existe déjà ici au CHUS pour l'administration d'antibiotiques. «Le système informatique met en lien les quelque 30 nouvelles prescriptions d'antibiotiques qui sont faites chaque jour au CHUS et émet des recommandations aux médecins quant aux antibiotiques les plus efficaces, les moins coûteux et les plus facilement administrables, et leur dosage optimal», explique Louis Valiquette, médecin responsable du projet.

Abattre les obstacles à la médecine personnalisée

Mais la médecine personnalisée est-elle pour demain? «D'ici cinq ou dix ans, les avancées en sciences permettront son application, affirme la professeure Bourassa Forcier. Le gouvernement et le monde médical du Québec devraient alors montrer de l'ouverture. Mais il faudra auparavant bien identifier les barrières et proposer des solutions.»

Le premier obstacle est celui du coût élevé des tests de diagnostic. Par contre, des études ont démontré que les bénéfices sociaux liés à l'utilisation de plusieurs de ces tests dépassaient les coûts de remboursement. En effet, la médecine personnalisée conduirait notamment à la réduction du taux d'hospitalisation lié à l'utilisation non optimale de médicaments. De plus, elle permettrait la réintroduction de médicaments retirés du marché en raison de leurs effets secondaires indésirables chez certaines personnes.

Les autres obstacles à franchir touchent au droit et à l'éthique clinique : «Une fois qu'un médecin aura en main les renseignements sur le patrimoine génétique d'un individu, comment gérera-t-il cette information? Sera-t-il tenu d'informer le patient et même la famille s'il sait que l'individu, et peut-être d'autres membres de sa famille, présente des risques de développer telle ou telle maladie? Par ailleurs, cette information ne devrait pas permettre aux compagnies d'assurances de pénaliser un individu. Il faudra donc établir des normes législatives strictes pour encadrer tout cela», conclut la professeure Bourassa Forcier.


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