Aller au contenu

Recherche sur la violence conjugale en temps de pandémie

Violence conjugale et COVID-19 : un ménage explosif

Les étudiantes en médecine Ariane Pelletier, Marie-Aude Picard-Turcot et Alycia Therrien ont fait la recherche dans le cadre d’un stage en santé communautaire avec la Dre Mélissa Généreux (2e à gauche), professeure au Département des sciences de la santé communautaire de la Faculté de médecine et des sciences de la santé.
Les étudiantes en médecine Ariane Pelletier, Marie-Aude Picard-Turcot et Alycia Therrien ont fait la recherche dans le cadre d’un stage en santé communautaire avec la Dre Mélissa Généreux (2e à gauche), professeure au Département des sciences de la santé communautaire de la Faculté de médecine et des sciences de la santé.
Photo : Mathieu Lanthier ‒ UdeS

Parmi les nombreuses répercussions négatives de la pandémie de COVID-19, la hausse de la violence conjugale se démarque tristement. Une recherche menée par trois stagiaires en médecine de l’Université de Sherbrooke, sous la supervision de la Dre Mélissa Généreux, démontre que la violence conjugale a augmenté selon la trajectoire de la pandémie au Québec.

Au Québec, en octobre 2021, un peu plus d’une femme en couple sur six (17,6 %) présentaient un indice de violence conjugale, soit un chiffre semblable aux Estriennes (15,1 %). La région de Montréal serait la plus touchée dans la province avec 22,5 % des femmes en couple présentant un indice de violence conjugale.

Les comportements violents envers les femmes, plus particulièrement la prise de contrôle et la violence physique, auraient atteint un sommet en février et octobre 2021, alors qu’ils étaient à leur plus bas en juin 2021. Ces changements semblent liés au déconfinement de la période estivale ainsi qu’à la hausse des cas et du resserrement des mesures sanitaires à l’hiver 2020-2021 (2e vague) et à l’automne 2021 (4e vague).

Les données démontrent que la détérioration de la relation conjugale est fortement associée à la présence d’un indice de violence conjugale chez les femmes, ce qui suggère que la pandémie a contribué à l’augmentation de la violence dans les ménages québécois.

La détérioration de la relation conjugale est fortement associée à la présence d’un indice de violence conjugale chez les femmes, ce qui suggère que la pandémie a contribué à l’augmentation de la violence dans les ménages québécois

« Depuis deux ans, notre équipe suit de près les impacts psychosociaux de la pandémie », explique Mélissa Généreux, professeure à la Faculté de médecine et des sciences de la santé, faisant référence à l’enquête québécoise qui avait démontré que l’anxiété et la dépression occasionnées par la pandémie ont affecté un grand nombre de personnes au Québec. « Ce que l'on confirme aujourd'hui, dit-elle, c'est qu'au-delà de l'anxiété et de la dépression, les Québécoises sont nombreuses à avoir subi de la violence physique, psychologique ou verbale de la part de leur partenaire. Une femme sur six qui présente un indice de violence conjugale, c'est énorme. »

Au delà de l'anxiété et de la dépression, les Québécoises sont nombreuses à avoir subi de la violence physique, psychologique ou verbale de la part de leur partenaire. Une femme sur six qui présente un indice de violence conjugale, c'est énorme.

Mélissa Généreux

La recherche a été réalisée par Ariane Pelletier, Alycia Therrien et Marie-Aude Picard-Turcot, toutes trois externes en médecine, dans le cadre d’un stage en santé communautaire du programme de doctorat en médecine. Les étudiantes ont utilisé les données issues de l’enquête sur les impacts psychosociaux de la pandémie de l’équipe de la Dre Généreux pour dresser un portrait de la violence conjugale en temps de pandémie. Elles ont notamment eu recours à un outil de dépistage permettant de mesurer l’indice de violence conjugale.

Qu’est-ce que l’indice de violence conjugale?

1. Avoir un conjoint ou une conjointe qui nous agresse physiquement (peu importe la fréquence).
OU
2. Avoir peur de son conjoint ou de sa conjointe.
OU
3. Avoir un conjoint ou une conjointe qui, parfois, adopte l’un des 3 comportements violents suivants : nous menace de violence physique; nous insulte ou nous parle avec mépris (violence psychologique); hurle ou nous lance des injures (violence verbale).
OU
4. Avoir un conjoint ou une conjointe qui, rarement, adopte 2 des 3 comportements violents ci-dessus.

C’est avec enthousiasme que les 3 étudiantes ont entrepris cette recherche qui couvre un aspect important de la formation des médecins, soit la responsabilité sociale en santé. Marie-Aude Picard-Turcot, externe de 4e année en médecine, raconte : « Lorsque la Dre Généreux a offert à mes collègues et moi cette occasion de mener une enquête sur un enjeu aussi important, nous avons accepté le mandat avec enthousiasme! Toutefois, nous étions un peu craintives des résultats que nous allions révéler par le biais de cette enquête, de l'ampleur de la violence dans les ménages québécois en temps de pandémie. Nos craintes se sont finalement confirmées, et au fur et à mesure que nous menions l'enquête statistique, les chiffres qui en ressortaient nous surprenaient et nous désolaient. La pandémie aura sans aucun doute exacerbé la situation de vulnérabilité dans laquelle trop de femmes se trouvaient déjà. »

Des résultats palpables sur le terrain

Ces résultats ne surprennent pas Annie Pilon, directrice adjointe de La Méridienne, une maison d’hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale et leurs enfants située en Estrie. « Les maisons d’aide et d’hébergement ont constaté une augmentation des demandes d’aide téléphonique et d’hébergement, dit-elle. La pandémie a rendu difficile l’accès aux services pour les femmes victimes de violence conjugale étant donné la présence du conjoint à la maison en tout temps. »

Selon Annie Pilon, la proximité au quotidien du couple en télétravail 24 h par jour a accentué les épisodes de violence conjugale, sans oublier la présence des enfants à la maison, qui peut être un facteur aggravant des épisodes de violence conjugale : « La charge familiale des femmes a augmenté durant cette période, et leur isolement, sans le soutien des collègues de travail ou de la famille, a aussi contribué à affecter la santé des femmes, tant au niveau psychologique que physique », précise-t-elle.

L’iceberg des féminicides

La recherche supervisée par Mélissa Généreux a permis de mesurer, en plus des facteurs de risque circonstanciels dus à la pandémie, les facteurs de risques individuels pour une femme de subir de la violence conjugale. Par exemple, le fait de vivre avec un enfant de moins de 12 ans, être âgée entre 35 et 44 ans, avoir un faible revenu, être sans emploi ou encore recevoir un faible niveau de soutien social sont des facteurs de risques individuels de violence conjugale.

Derrière chaque féminicide au Québec en 2021 se dénombreraient près de 3000 femmes victimes d’abus physique dans un contexte conjugal, et plus de 16 000 femmes victimes de situations cotant pour un indice de violence conjugale positif

Les chiffres compilés de la recherche permettent d’établir une corrélation avec la hausse des féminicides enregistrée au Québec en 2021. « Lorsque les données de la présente enquête sont extrapolées à l’ensemble de la population québécoise, le constat est effarant, indique la recherche des étudiantes en médecine. Alors que le nombre de féminicides s’est accru en période pandémique, atteignant un sommet en 2021, il semble que derrière chaque féminicide se cache un très grand nombre de femmes victimes de violence conjugale. Les calculs émanant des données collectées laissent conclure que derrière chaque féminicide au Québec en 2021 se dénombreraient près de 3000 femmes victimes d’abus physique dans un contexte conjugal, et plus de 16 000 femmes victimes de situations cotant pour un indice de violence conjugale. »

La recherche confirme ainsi que l’escalade des féminicides de 2021 représente la pointe de l’immense iceberg de la violence conjugale.

Des données utiles pour contrer la violence conjugale

Les résultats de cette recherche seront utilisés concrètement pour lutter contre la violence conjugale. Le rapport détaillé, qui sera publié en juin, présentera, en plus des résultats de recherche, des outils, des ressources et un cadre stratégique proposant des solutions à mettre en œuvre pour lutter contre la violence conjugale et la prévenir. Ainsi, le public, les professionnels de la santé et les services d’aide seront mieux outillés pour reconnaître la violence conjugale, la repérer, la dépister et y apporter des solutions d’intervention.

« Nous croyons que la situation des femmes victimes de violence conjugale va demeurer fragile à la suite de cette pandémie, dit Annie Pilon, de La Méridienne. En parler et continuer à dépister efficacement ces femmes pourra contribuer à les référer aux ressources spécialisées. Nous devons demeurer alertes et en parler abondamment afin que ces femmes sachent que les services sont là pour elles. Elles doivent être crues et entendues et sentir qu’elles ont de la place pour en parler en toute confidentialité. »

La recherche de la Dre Généreux et ses stagiaires en médecine démontre l’exacerbation en contexte pandémique de cet enjeu majeur de santé publique qu’est la violence conjugale. Elle fournit heureusement des indicateurs et des ressources qui pourront interpeller toute la population en vue de prévenir cette forme de violence : « Nous devons demeurer très vigilants et à l'écoute des signes évocateurs de violence conjugale dans notre entourage », rappelle Mélissa Généreux.


Informations complémentaires