Acfas 2021
Vers une société bienveillante envers les personnes aînées
Des communautés riches des connaissances et de l’expérience de leurs personnes aînées. Des aînés qui reçoivent du soutien de leur communauté pour vivre encore de belles années. Ajouter de la vie aux années, plutôt que des années à la vie. Un rêve? Non, cette culture où l’on pense autrement le vieillissement est déjà en train de s’implanter dans plusieurs régions du Québec.
Si cette idée du vivre ensemble le plus longtemps possible tombe sous le sens, avouons qu'ici en Amérique du Nord, elle est presque disparue de notre mode de vie. Pour la remettre en place, il faut y consacrer beaucoup de ressources, mais surtout travailler avec les communautés, les organismes des milieux… et les aînés eux-mêmes.
C’est ce que fait la professeure Mélanie Levasseur, spécialiste des aspects sociaux du vieillissement, qui est dédiée à la cause depuis plus de vingt ans. Déjà essentiels avant la pandémie, ses projets sont devenus incontournables avec les défis du système actuel de soins aux aînés en période de crise. Comment en est-on arrivé là? « C’est multifactoriel. Par exemple, historiquement les familles étaient plus grosses; maintenant seulement un ou deux enfants doivent occuper le rôle de proches aidants. » C’est effectivement un fardeau plus lourd.
Google a-t-il remplacé le savoir des aînés?
« Maintenant, les gens ont l’impression que la transmission de savoirs passe par Google et on fait moins appel aux connaissances des ainés. On “google” nos bobos, nos besoins d’informations. Ce contexte peut dévaloriser les connaissances et les savoirs des aînés », constate la professeure Levasseur, qui pointe aussi la société individualiste, plus axée sur l’acquisition de biens personnels que sur le bien commun. Il y a peu de place pour les ainés dans une telle culture.
Il faudra pourtant renverser la vapeur. Rapidement. Avec la génération des baby-boomers qui arrive à la retraite, on s’inquiète du nombre d’aînés et du manque de ressources pour les soutenir, tant dans le système de santé que dans le milieu communautaire. Avec les multiples réformes du système des dernières décennies, le ministère de la Santé et des Services sociaux ainsi que la ministre responsable des aînés doivent composer avec d’énormes structures qui organisent des soins dans des territoires gigantesques. « On doit repenser les services pour être plus en proximité des ainés, même ceux qui sont en ruralité », soutient la professeure Levasseur.
Un retour du balancier avec la gériatrie et la gérontologie sociales
C'est ce qui est en train de se produire avec la gériatrie et la gérontologie sociales (GGS), une approche qui consiste à rejoindre les aînés dans leur milieu de vie, à comprendre leur contexte, à les accompagner, à les soutenir et à les outiller pour améliorer et pour préserver leur santé et leur qualité de vie en misant sur la prévention. C’est un changement de paradigme. Diverses pratiques innovantes émergent dans les milieux universitaires, cliniques, communautaires, municipaux et politiques, qui ont toutes pour point de mire la promotion d’un vieillissement actif et une meilleure participation sociale des aînés.
Et la pandémie de COVID-19 a montré qu’il faut accélérer ce changement. Le ministère de la Santé et des Services sociaux a d’ailleurs émis de récentes directives pour qu’on travaille à prévenir le déconditionnement des personnes aînées. C’est si important que la ministre responsable des ainés, Marguerite Blais, souhaite que se concrétise l’approche de gériatrie active à travers trois projets pilotes à Montréal, à Québec et à Trois-Rivières. Dans un horizon d’une année, d’autres projets s’implanteront graduellement partout au Québec.
Le déconditionnement, c’est le déclin des fonctions cognitives, physiques et sociales. C’est la dégradation des capacités à accomplir des tâches physiques comme marcher, s’habiller. C'est la dégradation des capacités cognitives, comme planifier ses journées, s’orienter. Enfin, socialement, c'est la perte de ses habiletés et du goût de communiquer avec d’autres.
Une pandémie dure sur l’autonomie
Se faire livrer son épicerie, ses médicaments, ne pas savoir utiliser la technologie pour faire des rencontres virtuelles, ces situations font en sorte que les personnes aînées ont été sous-stimulées physiquement, intellectuellement et socialement durant la pandémie. La pandémie a aussi exacerbé l’isolement et la stigmatisation des aînés. On s’est vraiment inquiété pour les ainés qui avaient cessé toutes leurs activités. « Je pense que la pandémie nous a forcés à revoir la priorité qu’on accordait à la place des ainés. Il est essentiel d’éviter que les aînés se déconditionnent et se retrouvent en perte d’autonomie. Lorsqu’une perte d’autonomie est très avancée, il faut déployer une énergie importante pour la renverser. D’où la prévention du déconditionnement. »
Intervenir tôt, avant le déclin
Une communauté bienveillante, c’est une communauté qui est mobilisée, proche de ses aînés. Elle repère celles et ceux qui sont plus isolés, en situation de vulnérabilité et les accompagne vers les ressources. Elle instaure une culture du vieillissement actif, avec une approche préventive plutôt que réactive.
Prenons la conduite automobile, activité qui peut se poursuivre à un âge avancé. Pour qu’une personne accepte d’utiliser des moyens de transport alternatifs, il faut qu’elle y soit préparée avant d’y être confrontée. Si on n’a pas appris à utiliser le transport en commun ou les services de covoiturage, on est démuni lorsqu’on ne peut plus conduire, surtout en présence de troubles cognitifs. Ce qui se traduit souvent par un retrait de la vie en communauté.
Les travaux de l’équipe de la professeur Levasseur s’inscrivent ainsi dans le champ de la promotion de la santé et du vieillissement actif, plus précisément pour développer des interventions de participation sociale des aînés. La recherche sur ce sujet est multidisciplinaire et multisectorielle, on le devine, et rejoint plusieurs priorités sociétales, dont celles de la Fondation Luc Maurice, qui finance en partie les travaux de la professeure Levasseur.
La société idéale selon la professeure Levasseur, c’est une communauté où règne la bienveillance des uns envers les autres, et notamment envers les personnes ainées. C’est une société respectueuse de la différence, qui accueille la diversité, incluant celle de l’âge, qui fait preuve de tolérance, qui valorise le bien commun. C’est une société qui reconnait la contribution des aînés, leurs connaissances, et qui favorise leur engagement selon leur désir de s’impliquer.
Des projets sont en place pour tendre vers cet idéal. On pense déjà autrement le vieillissement, selon la Pre Levasseur, mais il reste énormément de chemin à faire. « Quand on est dans une société où l’on est bombardés de crèmes rajeunissantes, où l’on veut se dissocier du vieillissement, ce n’est pas évident de changer les croyances et les valeurs. Vieillir ne doit pas être perçu négativement. Une société bienveillante, c’est à tous les égards, incluant un système de santé et de services sociaux, qui aide les ainés à vivre un vieillissement actif et en santé, plutôt que présent seulement lorsqu’ils ont des maladies et des incapacités. »
Ce sujet a piqué votre curiosité? Le colloque Le vieillissement de la population : comment peut-on favoriser davantage et mieux la participation sociale et un mode de vie sain et actif des aînés? se tiendra les 5 et 6 mai dans le cadre du congrès annuel de l’Acfas, le plus grand rassemblement multidisciplinaire du savoir et de la recherche de la francophonie, qui se déroulera cette année du 3 au 7 mai 2021.