Acfas 2021
Pour un système de santé plus performant
De plus en plus de professionnelles et de professionnels de la santé retrouvent dans leurs guides de compétences celles liées au rôle d’agent de changement. Bien qu’important, ce rôle demeure difficile à jouer.
Dans le cadre de la 88e édition de l’Acfas, Annie Carrier, professeure au programme d’ergothérapie de l’École de réadaptation et chercheuse au Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSS de l’Estrie – CHUS, co-organise un colloque sur le rôle d'agent de changement des acteurs terrain comme solution viable pour améliorer la performance du système de santé. Intrusion dans l’univers d’Annie Carrier.
La première expérience d’Annie Carrier à l’Acfas remonte à 2011, à titre d’étudiante au doctorat. Depuis, elle y est retournée à plusieurs occasions pour présenter ses recherches, à titre de professeure-chercheuse.
L’Acfas est une occasion d’en apprendre sur les travaux d’autres groupes de recherche francophones, dans le domaine de la santé, et d’échanger avec eux. La formule est conviviale!
Professeure Annie Carrier, École de réadaptation
Agir en agent de changement
Pour optimiser l’accès aux services de santé et promouvoir la santé de la population ainsi que la justice sociale, tous les professionnels et professionnelles de la santé, quelle que soit la fonction qu’ils exercent, sont appelés à agir en tant qu’agents de changement.
Depuis quelques années, nous savons que ce nouveau rôle devient de plus en plus essentiel. Nous avons de plus en plus d’évidences explicites de l’importance de la latitude décisionnelle et d’action sur le terrain en santé et services sociaux pour adapter les services, pour réagir rapidement, bref pour répondre aux besoins de la population sur une échelle locale.
Bien avant la dernière réforme en santé, plusieurs spécialistes de ce domaine avançaient, de façon plutôt théorique, à quel point les professionnelles et professionnels pouvaient jouer un rôle clé dans leur milieu. Au cours des dernières années, ces spécialistes ont récolté des évidences concrètes et analysent ce qui se passe dans les milieux, particulièrement en contexte de pandémie.
Être un agent de changement n’est pas un rôle qui appartient uniquement aux gestionnaires. Les professionnels, directement sur le terrain, ont des idées, voient les besoins et savent très souvent comment y répondre.
Mais pour y arriver, faut-il encore bien outiller ces personnes professionnelles et leurs gestionnaires pour qu’ils collaborent. Annie Carrier observe que les mentalités sont en train de changer.
De toute évidence, avec la pandémie, nous avons eu une confirmation que le top down ne fonctionne pas. Maintenant, qu’est-ce que l’on fait? Il faut proposer de nouvelles façons de faire.
De récentes études montrent que certaines professionnelles et professionnels formés au rôle d’agent de changement vont poser davantage d’actions variées pour tenter de générer un changement dans leur milieu, mais aussi à l’extérieur de leur milieu. Dans tous les cas, il s’agit de mettre à profit, pour la collectivité, leurs connaissances spécifiques pour améliorer les situations qui posent des problèmes en matière de réponses aux besoins sociaux et de santé.
Par exemple, si un ergothérapeute accompagne une clientèle ayant certaines incapacités motrices et réalise que ses patients ne peuvent avoir accès à des infrastructures municipales, cette personne peut travailler à réduire les inégalités sociales. Elle s’implique pour améliorer cet accès. Elle peut faire des propositions à sa municipalité pour permettre à sa clientèle de bénéficier de l’offre municipale en vigueur.
D’ailleurs, les étudiantes et étudiants de 4e année au programme en ergothérapie de l’UdeS travaillent sur des projets de ce type depuis plusieurs années. Au fil des ans, ils ont, par exemple, sensibilisé l’UdeS à l’importance d’adapter les infrastructures du Centre sportif ainsi que d’autres bâtiments universitaires pour les personnes étudiantes à mobilité réduite.
Les projets des étudiants sont extrêmement variés, touchant l’environnement, le développement optimal de l’enfant, l’apport de l’ergothérapie dans des situations spécifiques, etc., et impliquent une multitude d’acteurs, dont par exemple, des organismes communautaires de la région et des ordres professionnels.
Une démarche qui appelle à des compétences différentes de celles connues en clinique
Agir en tant qu’agent de changement repose sur des compétences essentielles, qui s’éloignent de celles mobilisées en clinique.
Par exemple, il faut apprendre à développer des partenariats non seulement avec ses patientes, ses patients, ses collègues et ses gestionnaires, mais aussi avec des gens qui sont à l’extérieur du réseau de la santé, comme les élus, les chercheurs, les organismes de représentation, etc. Il faut aussi être en mesure d’analyser l’environnement dans lequel on veut implanter un changement pour bien identifier les leviers et les obstacles potentiels. Mal préparées à analyser finement leur contexte, les personnes professionnelles peuvent parfois ne pas oser agir, par exemple, parce qu’elles ont peur d’éventuelles représailles.
Annie Carrier se veut rassurante. Il est possible de faire des changements dans les milieux de pratique sans s’exposer à des représailles. Les professionnelles et professionnels doivent être stratégiques ainsi que développer leurs outils d’analyse et leurs capacités de communication, d’influence et de collaboration.
Les professionnels de la santé doivent être des agents de changement, des leaders, mais personne ne nous explique ce que l’on doit faire, ce qu’il faut apprendre et ce qu’il faut perfectionner au fil du temps pour y arriver. Dans les curriculums de formation en santé, il y a généralement beaucoup à apprendre en lien avec le fonctionnement du corps humain. Être un agent de changement relève d’autres expertises comme la communication, la gestion, la politique et plusieurs autres champs disciplinaires.
L’École de réadaptation a lancé en début d’année un tout nouveau microprogramme de 3e cycle destiné aux professionnels de la réadaptation, le programme LEAD-R. Ce microprogramme les préparera à exercer un leadership rassembleur afin qu’ils puissent mener des actions d’amélioration originales et durables dans leur milieu de travail.
Depuis 2018, Annie Carrier et une équipe de chercheurs ont développé une formation continue pour les professionnels de la santé et des services sociaux pour les outiller à agir efficacement comme agents de changement. Financée par deux subventions du CRSH, la formation a d’abord été développée et évaluée auprès d’ergothérapeutes québécois et sera adaptée et évaluée auprès d’autres professionnels. À terme, cette formation pourra être offerte à large échelle aux professionnels en exercice au Québec et ailleurs.
La quête d’un sens
Annie Carrier a des intérêts diversifiés. Elle cumule plusieurs formations dans des disciplines variées. À la suite de l’obtention de deux baccalauréats (psychologie et ergothérapie), elle a d’abord pratiqué l’ergothérapie dans un CLSC. Elle constatait que certains gestionnaires étaient peu ouverts à ses projets d’amélioration des services, prétextant que l’intervention ou l’action n’était pas possible en vertu des lois et des règlements en vigueur. Curieuse de nature, elle a voulu en avoir le cœur net et, pour y trouver du sens, elle a entrepris une maîtrise en droit et politiques de la santé.
Elle a pu constater que l’interprétation des lois et des règlements passait par les lunettes de chaque gestionnaire.
Comme clinicienne ou comme clinicien, il faut connaître les contextes d’application de ces lois ou être en mesure d’aller chercher les bonnes informations, explique Annie Carrier. Il faut réussir à voir plus loin que les jeux de pouvoir et les interprétations personnelles.
Puis, elle est devenue chargée de cours aux programmes d’ergothérapie de l’UdeS. En devenant tutrice, elle a fait une maîtrise en sciences cliniques. Ses intérêts de recherche se sont orientés sur le raisonnement clinique, le processus cognitif qui amène le personnel professionnel de la santé à choisir ses évaluations et ses interventions. Ce choix influence tout ce qui sera mis en place pour la patiente ou le patient.
Elle a ainsi réalisé que des éléments organisationnels, légaux et réglementaires viennent teinter le raisonnement clinique. Elle a donc poussé sa réflexion au doctorat en sciences cliniques. Elle y a étudié les modèles d’optimisation de la performance Lean et comment les mesures de performance et de reddition de compte influencent le raisonnement de la personne professionnelle, fréquemment au détriment des services offerts. Le constat qui se dégageait devenait de plus en plus clair. En préparant les plans d’interventions des patients, les professionnels sont influencés, bien malgré eux, par tout le contexte dans lequel ils baignent.
Lors de leurs interventions, les professionnels de la santé gardent en tête le temps que ça leur prend, ce qui est autorisé et ne l’est pas, les objectifs de performance, la grille statistique, etc. Malheureusement, trop souvent, ces cliniciennes et ces cliniciens évaluent la qualité et la pertinence de leurs interventions en fonction de ces éléments plutôt qu’en fonction de leur adéquation aux besoins du patient. C’est en partie ce qui explique la perte de sens que certaines et certains ressentent dans leur travail. Pour moi, les outiller à agir en tant qu’agents de changement, c’est une des façons de les aider à retrouver un sens à ce qu’ils font au quotidien.
Ce sujet a piqué votre curiosité?
Le colloque Enjeux et défis rencontrés en santé et en services sociaux : le rôle d'agent de changement des acteurs terrains, une solution viable pour améliorer la performance du système?, pour lequel la professeure Annie Carrier est coresponsable, sera présenté dans le cadre du prochain congrès annuel de l’Acfas, plus grand rassemblement multidisciplinaire du savoir et de la recherche de la francophonie, qui se tiendra du 3 au 7 mai 2021.