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Point de vue expert

Contribution santé : risques de tensions entre individuel et collectif

André Lacroix, professeur au Département de philosophie et d’éthique appliquée
André Lacroix, professeur au Département de philosophie et d’éthique appliquée

Photo : UdeS

La contribution santé proposée par le gouvernement québécois suscite un débat qui interpelle l'expert en éthique André Lacroix. Selon lui, elle créerait plus précisément des « problèmes éthiques susceptibles de ronger les liens entre les individus et la société ».

Ces liens intéressent le professeur Lacroix depuis longtemps, lui qui explore les interactions entre les communautés et leurs membres, de même que les moyens éthiques disponibles pour résoudre d’inévitables divergences. Il applique ses connaissances à des domaines aussi divers que la finance, l’administration publique et la santé publique, entre autres.

Ce professeur au Département de philosophie et d’éthique appliquée décortique la contribution santé.

Quels problèmes éthiques soulève la contribution santé sur le plan de l’individu?

Penser que la contribution santé va maximiser l’adhésion à la vaccination, c’est réduire le citoyen et la citoyenne à des homo economicus, qui veulent maximiser leur seul bien-être matériel.

En réfléchissant ainsi, le gouvernement aborde la santé publique, et l’enjeu de la vaccination, comme une compagnie d’assurances : il envisage seulement le rapport coûts/bénéfices. Pourtant, de nombreuses raisons expliquent le comportement et la décision des personnes refusant le vaccin. Elles ne sont pas toutes économiques, ni ne peuvent toujours se régler par le prisme économique.

Comment concilier ces inquiétudes à propos de l’individu avec l’actuelle situation de crise collective?

Le gouvernement doit d’abord et avant tout s’assurer de bien identifier le problème à régler.

Les gens non vaccinés comprennent-ils le fonctionnement, les limites et les avantages de la vaccination? Si oui, la refusent-ils par peur? De quoi ont-ils alors peur? Par intérêt personnel? Comment définir cet intérêt?

Peut-être que cette réflexion est déjà faite… Mais il faut aussi communiquer clairement les liens existant entre la contribution santé et le problème identifié.

Cela peut paraître simple, voire simpliste. Pourtant, la recherche en éthique appliquée le démontre : plusieurs personnes ou organisations agissent davantage sur la base de leurs propres angoisses et valeurs qu’à partir de leur compréhension du problème auquel elles sont confrontées.

Comment déterminer les valeurs pertinentes? Ce seront celles des interlocuteurs mis en cause dans le contexte problématique :

  • l’État québécois,
  • les professionnels et professionnelles du Réseau de la santé et des services sociaux,
  • la majorité vaccinée dans la population,
  • la minorité non vaccinée, souvent marginalisée ou en situation de vulnérabilité.

Ces groupes présenteront assurément des valeurs communes, mais aussi d’autres qui entrent en conflit. Pour chaque solution envisagée, le gouvernement doit évaluer les valeurs qu’il risque de heurter et les conséquences possibles.

Il faut donc identifier les valeurs en tension et la solution potentielle, oui, mais aussi prévoir la « mitigation des dommages », une fois cela fait.

Par exemple, si le gouvernement souhaite une vaccination complète, il doit d’abord dire pourquoi et à quelles fins, plutôt que de chercher à punir. Et, ensuite, il doit soumettre une approche qui respecte les valeurs et finalités.

Dans le cas de la vaccination obligatoire, il apparaît clairement que le passeport vaccinal remplit ces conditions. Sur le plan éthique, le gouvernement doit prévoir les lieux où ce passeport sera imposé, en fonction des valeurs communes identifiées, plutôt que d’en discuter l’imposition en fonction de considérations strictement économiques.

Dans ce contexte, le gouvernement pourra, alors, prendre en considération des mesures pour accompagner non seulement les personnes pour qui l’accès aux ressources ou à la vaccination même est plus difficile, comme les personnes itinérantes, mais aussi celles dont la littératie est limitée.

Ce dernier défi inclut la difficulté à bien comprendre ou à synthétiser l’information disponible sur le vaccin. D’ailleurs, qui – dans la population générale – peut affirmer comprendre complètement ce qu’implique la vaccination?

Sur le plan collectif, la « mitigation des dommages » trouve bien des échos éthiques.

Quels problèmes éthiques sociaux soulève la contribution santé?

En proposant cette mesure, le gouvernement québécois se met en porte-à-faux avec la mission de l’État.

La mission de l’État devrait d’abord reposer sur l’entraide et la solidarité, ce que ne semble pas privilégier la contribution santé. Oui, cette exigence d’entraide et de solidarité s’applique aussi aux personnes non vaccinées, comme citoyennes. Mais la solidarité se génère, elle s’impose rarement.

Comment, alors, maximiser l’adhésion à la vaccination? Bien que cela semble sans doute paradoxal, puisqu’il est question d’éthique, il faut « dé-moraliser » la décision, éviter de la réduire à un impératif moral opposant individu et vie en société.

Les moyens retenus pour l’encourager devraient s’adresser au jugement critique des personnes non vaccinées et à leurs valeurs sociales et communautaires.

Comment réfléchir des mesures sanitaires plus éthiques?

Le premier élément à garder à l’esprit pour répondre à cette question est le contexte : la pandémie nous place devant des défis de santé publique. Qui dit « santé publique » dit « bien-être du groupe »… souvent au détriment du bien-être individuel.

Toute décision privilégiant le plus grand nombre aura son lot d’« effets collatéraux ». Une réflexion éthique cherche à mitiger les conséquences pour les personnes qui les subiront. Est-ce le cas de la mesure proposée?

La contribution santé réduit l’individu à son statut économique et elle contrevient en même temps à la plupart des énoncés relatifs à la mission de l’État.

Dès lors, la contribution santé ne passe pas le test éthique, tandis que la vaccination obligatoire, oui, surtout avec le passeport vaccinal comme moyen de contrôle.

C’est sans doute pour des raisons semblables que le comité d’éthique de santé publique du Québec a recommandé le passeport vaccinal, dans le contexte de la pandémie. Il avait toutefois souligné que cette mesure brimait les droits de plusieurs citoyennes et citoyens et évoquait sa durée limitée dans le temps, pour en faire une mesure socialement acceptable.

Alors je le rappelle : prévoir les effets pervers d’une mesure généralisée sur certaines portions de la population et en diminuer les effets est une responsabilité gouvernementale.


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