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Sabrina Moisan, spécialiste de la didactique de l’histoire à la Faculté d’éducation

Pour une histoire plurielle et cohérente

Sabrina Moisan, professeure à la Faculté d'éducation
Sabrina Moisan, professeure à la Faculté d'éducation

Photo : Michel Caron

L’enseignement de l’histoire est constamment l’objet de débats. Quelle histoire enseigner? Comment susciter l’intérêt des élèves pour renforcer la mémoire collective? Quelle est la culture commune de la société? Faut-il faire davantage de place aux minorités? Doit-on dépersonnaliser les événements historiques? Ce type de débat n’est pas exclusif au Québec, signale Sabrina Moisan, spécialiste de la didactique de l’histoire à la Faculté d’éducation. La chercheuse mène plusieurs projets originaux pour mieux comprendre le travail des enseignants et les mécanismes pédagogiques qui favorisent l’appropriation de cette discipline par les jeunes. Sa mission  : fournir des pistes pour susciter l’enseignement d’une histoire plurielle et cohérente.

Faux débat, vraie question

Ces derniers mois, plusieurs voix se sont élevées pour critiquer les projets de réforme de l’enseignement de l’histoire au Québec. Plusieurs acteurs de la sphère publique ‒ journalistes, politologues et historiens ‒ affrontent leurs points de vue. Sabrina Moisan y voit un «débat qui a perdu pied». Estimant que les enjeux partent dans plusieurs directions, la chercheuse préfère s’en tenir à des échanges dans le cadre universitaire. «Le débat public est extrêmement virulent, dit-elle. On accuse les programmes d’avoir évacué l’expérience de la majorité francophone en incluant celle des minorités. D’autres critiquent l’approche par compétences. Des gens se font reprocher d’être trop conservateurs, ou trop nationalistes; trop à gauche ou trop à droite. Je crois que c’est un faux problème, qui cache une vraie question : comment faire en sorte d’enseigner l’histoire du Québec en intégrant l’expérience d’autres groupes, tout en donnant une idée cohérente de ce passé commun?»

Sortir des groupes de l’ombre

Sabrina Moisan souligne que le Québec est une société pluraliste depuis longtemps. Selon elle, il faut trouver le moyen de mieux mettre en relief la contribution des différents groupes ethnoculturels à l’expérience commune, en les présentant comme des acteurs historiques à part entière. «On sait par exemple que les Irlandais ont immigré massivement au 19e siècle, dit-elle. Cependant, leur présence est souvent abordée en montrant l’interaction et les points communs qu’ils avaient avec les Canadiens français. Pourrait-on parler de leur expérience originale? Ils ne se sont pas tous mariés à des Canadiennes françaises et n'étaient pas tous pauvres et catholiques. Il faut toutefois chercher l’équilibre et éviter de compartimenter le contenu en faisant une journée sur les Irlandais ou une journée sur les Noirs, etc., pour ne pas que l’expérience historique des autres groupes se trouve à la marge de l’expérience de la majorité.» La didacticienne souligne par ailleurs qu’il n’y a pas que les groupes ethniques à mieux intégrer aux cours d’histoire. Le rôle de la société civile dans les grands changements historiques mérite aussi d’être valorisé.

Acteurs du changement social

«Traditionnellement, on a enseigné l’histoire en fonction d’un cadre politique, dit la professeure. Les grands changements étaient associés à de grands hommes influents – ou à des institutions. Cette vision de l’histoire n’est pas totalement disparue. Or, la conséquence pour l’individu qui apprend l’histoire, c’est une certaine idée que les seules personnes capables de faire ces changements sont des hommes blancs qui occupent de hautes fonctions politiques. L’expérience de l’individu est passée sous silence.» Sabrina Moisan estime qu’il y a du travail à faire en vue d’intégrer les points de vue des citoyens qui ont fait l’histoire, comme les femmes et certains hommes qui ont lutté contre les inégalités entre les sexes. «L’homme politique qui donne le droit de vote ne décide pas ça du jour au lendemain! dit-elle. Il y a toute une action collective qui précède la décision. Pour enseigner une histoire plus juste et plus fidèle, il faut refaire une place à ces gens-là.»

Les programmes d’enseignement postulent que l’élève doit comprendre que le changement social est le résultat d’actions d’individus. Cependant, le concept ou les moyens qui animent ce changement social demeurent mal définis et les manuels scolaires montrent peu les citoyens comme des acteurs historiques. «Si on parle de la révolte des Patriotes, peut-on évoquer le paysan fermier qui est allé se battre, plutôt que de parler seulement de Papineau et de Nelson?», dit la chercheuse. Derrière ces leaders se cache la détresse d’hommes et de femmes qui ressentaient concrètement le problème des terres, au point de prendre les armes. Ils n’étaient pas d’abord animés par de grands principes républicains.» La professeure mène des recherches qui l’amènent à rencontrer des enseignants afin de voir comment ils arrivent à transmettre le concept de changement social à leurs élèves. «Cependant, avec le cynisme ambiant, bon nombre d’enseignants ne croient plus au pouvoir des citoyens de changer les choses, dit-elle. Ils ne semblent donc pas disposés à convaincre leurs élèves du contraire.»

L’histoire pour tous

Le parcours de Sabrina Moisan l’a amenée à aborder la didactique et la vulgarisation de l’histoire sous différents angles. Dans le sillage de ses travaux, elle a récemment lancé, avec Jean-Pierre Charland, de l’Université de Montréal, L’histoire du Québec en 30 secondes (voir le lien en fin de texte). L’ouvrage propose une série de textes brefs rédigés dans un langage accessible. «Comme didacticiens, une partie de notre travail est la vulgarisation de l’histoire, dit la professeure Moisan. Je trouvais l’idée de cet ouvrage extrêmement intéressante, parce qu’en plus de rejoindre monsieur et madame Tout-le-monde, le concept de l’ouvrage propose une histoire du Québec qui reprend les grands moments de l’histoire nationale, mais qui fait aussi de la place à d’autres expériences historiques que celle des Canadiens français. Il fait ressortir également la contribution singulière de personnes un peu moins connues, comme Lea Roback, une activiste d’origine juive qui a grandi dans la région de Québec et qui a été de plusieurs luttes sociales au 20e siècle.»

Le fil conducteur des travaux de la jeune professeure est la passion pour l’enseignement de l’histoire. «Tous mes travaux et mes questionnements visent à ce que les jeunes apprennent mieux l’histoire, s’en souviennent, apprennent à l’utiliser dans leur vie, et également que les enseignants prennent plaisir à leur enseigner. Je suis en début de carrière, je suis encore très idéaliste!» conclut-elle dans un éclat de rire.


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