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Arts plastiques et créativité : une question de genre?

Alain Savoie propose des pistes pour améliorer l’apprentissage des arts plastiques grâce à des dispositifs pédagogiques qui tiendraient compte des sensibilités associées aux genres

Le professeur Alain Savoie est un spécialiste de la didactique des arts à la Faculté d’éducation. On le voit ici à la Semaine des arts en éducation, avec Madeline Deriaz, artiste invitée lors d’un événement organisé le mois dernier.

Le professeur Alain Savoie est un spécialiste de la didactique des arts à la Faculté d’éducation. On le voit ici à la Semaine des arts en éducation, avec Madeline Deriaz, artiste invitée lors d’un événement organisé le mois dernier.


Photo : Michel Caron

Dans une classe de prématernelle, des filles et des garçons dessinent. Le thème est libre. Pourtant, le choix des illustrations montre une tendance assez marquée : plusieurs filles ont dessiné des personnages dans un paysage paisible, tandis que les garçons ont esquissé des véhicules ou des animaux féroces. Ce genre de phénomène est bien documenté depuis des décennies. Mais cette différenciation interpelle le professeur Alain Savoie, de la Faculté d’éducation. Spécialiste de la didactique des arts plastiques, il se questionne notamment sur l’intérêt moins marqué des garçons pour les arts à partir du secondaire, tel que révélé par certaines enquêtes. Lors d’une conférence publique en mars, le professeur Savoie a fait état de trois de ses études réalisées dans les dernières années. Il propose une approche originale pour intégrer une meilleure mixité des dispositifs pédagogiques dans les cours d’arts plastiques, afin d’intéresser davantage les profils masculins. Un objectif qui n’est pas si simple, prévient-il.

Rôles de genre et créativité

Très tôt dans la vie, les humains sont marqués par les rôles de genre, qui comprennent des valeurs ou attitudes socialement reconnues, selon que l’on est une fille ou un garçon. «Chez les enfants qui interagissent entre eux, la discrimination apparaît vers l’âge de trois ans. Aussi, au primaire, sous la pression des pairs, on observe également une culture masculine qui s’affirme davantage chez les garçons», explique le professeur Savoie.

Cela dit, les notions de sexe et de genre commandent des nuances. L’expression des rôles de genre est variable d’un individu à l’autre. Si certains sont très stéréotypés, d’autres sont dits androgynes ou «rétrotypés», exprimant indifféremment les rôles des deux genres ou davantage ceux associés au sexe opposé. D’ailleurs, souligne Alain Savoie, ces deux derniers profils indiquent généralement que les personnes qui les possèdent sont particulièrement créatives. En revanche, les personnes stéréotypées seraient moins créatives. Mais qu’est-ce qui distingue les rôles de genre attribués plus généralement aux femmes ou aux hommes?

Empathiques ou systémiques

Depuis les années 1970, plusieurs auteurs ont produit des études afin de mesurer ou d’identifier les rôles de genre. Faisant une recension des éléments parus dans plusieurs études, Alain Savoie a établi une grille de 135 critères d’observations qu’il a dressés dans deux listes nommées F+ (rôles féminins) et M+ (rôles masculins). Selon ce classement, les rôles associés aux femmes sont souvent décrits en fonction de notions proches de l’«empathie», avec des attitudes qui les porteraient davantage à miser sur la coopération ou à partager des sentiments. Quant aux rôles masculins, ils rejoignent davantage l’idée d’une «systémisation», avec une propension à analyser des situations ou à hiérarchiser les données, par exemple.

Il faut souligner cependant que cette différenciation apparaît de manière très variable chez les personnes. Par exemple, certaines femmes pourront présenter des attitudes comprenant une majorité d’attributs F+, tout en présentant certains aspects M+ de manière marquée. L’inverse est aussi possible.

Moduler l’enseignement des arts

À partir, d’une part, des connaissances sur le potentiel créatif des personnes, et d’autre part, s’inspirant de la grille de notions des catégories F+ (empathiques) et M+ (systémiques), Alain Savoie croit qu’il serait souhaitable que l’enseignement des arts plastiques intègre davantage de dispositifs pédagogiques associés aux sensibilités de type M+.

Pour étayer cette idée, le chercheur a fait un inventaire de «dispositifs pédagogiques» rencontrés en classe. Ainsi, du côté systémique (M+), il cite notamment le mélange des couleurs, le dessin d’observation, l’art conceptuel ou le modelage 3d. Du côté empathique (F+), il nomme l’appréciation des œuvres, l’expression de soi, la création en équipe ou les créations liées aux enjeux sociaux. «Pour intéresser davantage les garçons aux arts, il serait sans doute souhaitable de s’assurer que l’on offre aux élèves des dispositifs provenant des deux catégories», dit-il.

Par ailleurs, le chercheur croit aussi que les cours d’arts plastiques devraient favoriser la créativité des élèves, notamment en valorisant l’unicité des individus par la différentiation pédagogique, ainsi que les élèves qui présentent des caractéristiques non conformistes.

Alain Savoie conclut sa présentation avec une question qui suscite réflexion : «L’essence de l’art serait-elle empathique?» En guise de réponse, il cite un auteur qui a écrit que la psychologie des hommes créatifs est féminine et celle des femmes créatives est masculine, puis un autre qui affirme que les personnes créatives ne respectent pas les limites des rôles de genre. «Voilà qui milite pour offrir des cours d’art qui offrent une diversité d’expériences afin que plus d’élèves puissent déployer leur potentiel créatif», dit Alain Savoie.