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Point de vue expert

Le droit peut-il contribuer à résoudre la crise actuelle de l'habitation?

Photo : Michel Caron - UdeS

Pénurie de logements, rénovictions, envahissement de la location touristique à court terme, marché immobilier inaccessible, les temps sont durs pour quiconque cherche à se loger. Alors que le projet de loi 31 vient d'être adopté, la recherche en droit peut-elle guider les décisions à prendre?

Le professeur Pascal Fréchette et la professeure Marie-Hélène Dufour de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke s’intéressent aux questions touchant le droit de l’habitation, principalement les rapports contractuels entre les parties, que ce soit entre le locataire et le propriétaire, ou entre le consommateur et l’entrepreneur ou le promoteur.

Nous leur avons demandé comment le droit prend part à la résolution des problèmes criants en habitation.

Que pensez-vous du projet de loi 31 qui vient d'être adopté?

Le projet de loi 31 apporte entre autres des modifications au Code civil pour contrer les hausses de loyer abusives et réviser certaines règles entourant la reprise d’un logement et l’éviction de locataires.

[Pascal Fréchette] Le projet de loi 31 contient peu de mesures susceptibles d’améliorer la situation des locataires et réduire les inconvénients de la crise du logement. D’un côté, la ministre veut imposer des dommages punitifs à un propriétaire qui se débarrasserait indument de son locataire et, du même coup, elle met des obstacles au processus de cession de bail, qui avait pourtant pour effet de maintenir à un niveau raisonnable le prix du loyer payé par les locataires.

La ministre dit que les locataires utilisent la cession bail pour contrôler les augmentations de loyer et que des gens « vendent » leur bail à d'autres. D’où viennent ces informations? Il semble qu'elle se fie aux représentations du lobby des propriétaires immobiliers.

Pour mettre fin à cette pratique, la ministre pourrait se contenter d'interdire les cessions de bail à titre onéreux ou avec l’obtention d’un avantage autre que la cession de bail. Mais elle va plus loin : elle veut que le propriétaire puisse toujours choisir son nouveau locataire, avec la conséquence qu'il risque de profiter de l'arrivée d'un nouveau locataire pour augmenter le loyer.

Le professeur Pascal Fréchette.
Le professeur Pascal Fréchette.
Photo : Michel Caron - UdeS

Parmi les solutions pour les propriétaires qui trouvent les règles trop lourdes, il y aurait toujours la voie de sortie pour le gouvernement de traiter différemment les petits propriétaires et les grands propriétaires de logements, avec des obligations différentes. Mais on ne se pose pas ce genre de question parce qu’on essaie de trouver des solutions à des problèmes très précis.

Professeur Pascal Fréchette

Les locataires tentent-ils de faire respecter leurs droits?

[Pascal Fréchette] Un sondage récent nous apprend que 40 % des locataires ne connaissent même pas les mesures de contrôle de loyer, par exemple qu'ils peuvent s’adresser au tribunal, dans les dix jours suivant la conclusion du bail, pour lui demander de fixer le loyer à payer.

De plus, dans le formulaire de bail obligatoire, le propriétaire est censé indiquer le dernier loyer payé pour que le nouveau locataire puisse apprécier l'augmentation qui lui est demandée. Dans bien des cas, cette section n'est pas remplie et les locataires ne savent pas qu'ils peuvent exiger que ce le soit et, encore moins, qu’ils disposent de recours pour faire valoir leurs droits. Le projet de loi 595 (2020) créant le registre des loyers proposait justement que le locataire n’ait pas à mener une enquête pour vérifier si le loyer a été augmenté indument.

Quel est le rôle des juristes des facultés de droit dans l’avancement de ces dossiers?

[Pascal Fréchette] La recherche juridique vise surtout à exposer les faiblesses du système actuel ou à proposer des solutions de rechange. En ce qui nous concerne, l'avancement des connaissances passe d'abord par nos recherches, notre étude de la législation et notre analyse de la jurisprudence qui donnent lieu à des publications, des conférences. On intervient dans les dossiers en publiant les résultats de nos recherches, par nos interventions lors de conférences et dans les médias.

[Marie-Hélène Dufour] Nous pouvons aussi proposer d’autres façons d’interpréter et d’appliquer les dispositions législatives. Il ne faut pas oublier que le droit ne se fait pas seulement par le législateur, mais passe beaucoup par les juges qui l’interprètent et l’appliquent.

La professeure Marie-Hélène Dufour.
La professeure Marie-Hélène Dufour.
Photo : Michel Caron - UdeS

Je pense que la recherche en droit sert entre autres à prendre un pas de recul et à offrir une vision périphérique, une vision globale pour éliminer les incohérences qui résultent de la législation à la pièce.

Marie-Hélène Dufour

Considérez-vous qu’il y a un vide juridique et, si oui, pourquoi?

[Marie-Hélène Dufour] En matière de logement, on a un cadre légal très fort. Sur papier, les dispositions législatives sont nombreuses et donnent l'impression de bien protéger le locataire; pourtant, la mise en œuvre effective de ces droits demeure difficile. À l’inverse, la loi n’accorde pas une très grande protection au consommateur immobilier, soit à l’individu qui fait affaire avec des entrepreneurs en construction, que ce soit pour l’achat d’une résidence neuve ou pour l’exécution de travaux de rénovation.

Il y a une raison historique. Dans les années 70, quand la Loi sur la protection du consommateur a été adoptée, le législateur considérait que le consommateur immobilier ne pouvait pas être protégé de la même façon que le consommateur d’autres types de biens. On a donc fait une première loi qui s'appliquait aux biens de consommation courants et on envisageait à l'époque de faire une autre loi spécifique pour protéger le consommateur immobilier. On l'attend toujours, cette loi, malgré de nombreux rappels.

La législation offre donc des mesures de protection à la pièce au consommateur immobilier. Le gouvernement semble réagir en fonction de situations problématiques très médiatisées, en adoptant des articles de loi qui accordent une protection ciblée. Par exemple, le législateur a réagi après que des acheteurs aient perdu les dépôts très importants versés en vue de l’achat d’unités de condominiums, à la suite de la faillite du promoteur. Maintenant, il oblige les promoteurs, mais seulement ceux qui construisent des condos, à protéger les dépôts ou acomptes qu’ils perçoivent.

Il n'y a pas de grande politique en matière d'habitation qui protègerait le consommateur immobilier sous tous ses aspects. Est-ce qu'il y a un vide juridique? Il y a définitivement de petits trous qui font que certains consommateurs très vulnérables, qui pensent réaliser le rêve d'une vie en achetant une maison ou un condo, se retrouvent avec des problèmes énormes. Les sommes en jeu sont tellement importantes que je ne comprends pas qu’on se préoccupe autant, par exemple, de l'obsolescence programmée des iPhone alors qu'on n'est pas prêt à accorder une protection équivalente à ceux qui achètent des condos à coup de 100 000 $.

Marie-Hélène Dufour

La personne qui achète une maison est-elle quand même protégée?

[Marie-Hélène Dufour] Les acheteurs de certains types de maisons neuves peuvent bénéficier du Plan de garantie sur les bâtiments résidentiels neufs. Le Code civil du Québec offre aussi une certaine forme de protection à celui qui achète une maison usagée d’un particulier, notamment en matière de vices cachés.

Un grand problème qu'on aura dans l'avenir dans la vente immobilière privée, ce sont les clauses d'exclusion de garantie qui sont devenues monnaie courante depuis la pandémie. Les gens ne réalisent pas les conséquences d'avoir exclu toutes les garanties dans le cadre de leur contrat, tout en payant le prix du marché.

Pascal Fréchette

[Marie-Hélène Dufour] Et même en payant plus que le prix du marché! On va être face à une génération qui s’est surendettée pour accéder à la propriété, mais sans bénéficier des garanties qui auraient pu la protéger. C’est un problème qui ne semble pas sur le radar des autorités pour l’instant.

Et que dire des nouvelles formes d’habitation? Que prévoit la loi à ce sujet?

[Pascal Fréchette] Il n’y a pas de réflexion qui avance à ce niveau. Prenons toutes les habitations intergénérationnelles. De quelle façon encourager ou encadrer ce phénomène, que ce soit en matière de construction ou de location? Il y a beaucoup d'enjeux sociaux autour de cette question.

Par exemple, là où j’habite à Sherbrooke, je ne vois pas d'enfants. Qu'est-ce qu'on veut encourager comme nouvelles formes de construction? Quels sont les impacts sur la variété du tissu social? On ne sent pas de réflexion au niveau gouvernemental à ce sujet. Là encore, on sera en réaction, comme on l’a été avec Airbnb longtemps après que les problèmes ont commencé à se manifester.

Pascal Fréchette

[Marie-Hélène Dufour] L’un des grands vides juridiques, selon moi, c'est tout ce qui encadre la cohabitation. Les colocataires sont un peu oubliés par le législateur alors que ça coûte de plus en plus cher pour se loger, qu’on veut densifier les quartiers et développer de nouvelles formes d'habitation et de cohabitation. Le droit n’est pas du tout à l'avant pour venir encadrer ces relations.

Si on voulait vraiment changer les choses, on aurait un vrai ministère de l'Habitation, qui vise à protéger autant les locataires que les acheteurs de maisons neuves ou usagées, unifamiliales ou impliquant une forme de cohabitation, etc.

Marie-Hélène Dufour

Comment en est-on arrivé à la situation chaotique actuelle?

[Pascal Fréchette] Il semble que garder les règles à jour à long terme n’est pas une priorité. Il y a eu une importante réforme du logement dans les années 70, mais depuis, dans le nouveau Code civil du Québec, on a essentiellement fait du copier-coller. On ne s'est pas reposé de questions, ni fait de réflexion en continu sur la mise à jour des règles.

Par exemple, lors d’une rareté de logements ou quand il y a une abondance de logements, les difficultés vécues ne sont pas les mêmes. Peut-être que les règles devraient s’appliquer différemment selon le contexte.

[Marie-Hélène Dufour] C'est la même chose dans le contexte d'achat et de vente de maisons usagées. Certaines mesures devraient peut-être être adoptées pour être en vigueur lorsque le marché est en surchauffe. Mais on ne se préoccupe pas de ces questions-là.

Ce qui accentue le problème de ne pas avoir révisé les règles du Code civil, c’est qu’en parallèle, on a adopté d’autres petites mesures ciblées. Là, on commence à avoir la jurisprudence qui découle de l'application de ces mesures. Et, dans certains cas, en essayant de corriger un problème, on en a créé un autre. C'est encore un manque de vision d'ensemble.

Avez-vous un message pour nos décideurs?

Il faut prendre la peine et le temps d'étudier globalement le phénomène du logement avant d'apporter des solutions à long terme.

Pascal Fréchette

[Marie-Hélène Dufour] Les décideurs doivent travailler ensemble, arrêter de travailler en silo et de compartimenter les règles. Il faut traiter le secteur de l'habitation de façon globale. Arrêter de faire ça pour les locataires, ça pour les acheteurs de maisons unifamiliales, ça pour les acheteurs de condos… Il faudrait voir aussi au-delà des structures gouvernementales.


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