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Un prix unique pour une diversité littéraire

Les librairies indépendantes sont gardiennes d'une diversité littéraire.
Les librairies indépendantes sont gardiennes d'une diversité littéraire.
Photo : Michel Caron

Offrir un livre et une rose : voilà la devise de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur tous les 23 avril. Mais où l’achèterez-vous, ce livre? À l’épicerie, à la pharmacie, dans une grande surface, dans une grande chaîne de librairies ou dans une librairie indépendante?

Une multitude d’endroits pour acheter des livres, c’est bien. Mais cette possibilité ne devrait pas porter atteinte aux librairies indépendantes, gardiennes d’une diversité littéraire. «Les grandes surfaces vendent des best-sellers, des livres pratiques ou des livres-jeux pour enfants. Sans les librairies indépendantes, les Québécois n’auraient accès qu’aux succès de vente», rappelle Anthony Glinoer, professeur au Département des lettres et communications de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’histoire de l’édition et la sociologie du littéraire. «Les librairies indépendantes ont aussi une responsabilité d’animation culturelle en organisant des conférences et des ateliers d’écriture, par exemple.»

En vendant ces livres populaires au rabais, les grandes surfaces prennent une importante part de marché aux petites librairies, incapables de les concurrencer. «Environ 40 % du prix du livre revient au libraire. Ça peut paraître beaucoup, mais ils paient d’importants frais : personnel, installations, manutention, etc. Leur marge de profit réelle se situe entre 1 et 4 %. S’ils ajoutaient un rabais, leur marge deviendrait nulle», souligne le professeur Glinoer.

Un projet de loi avorté

Une solution existe pour remédier à ce problème : imposer un prix unique du livre. Plusieurs pays européens, dont la France, l’ont déjà adopté avec succès. Au Québec, des tentatives pour instaurer une loi à ce sujet ont été faites dans les années 80, puis dans les années 90, sans succès. Remis à l’ordre du jour en 2013 par le gouvernement Marois, le prix unique fait large consensus au sein du milieu littéraire québécois. Le projet de loi prévoyait un rabais maximum de 10 % sur les nouveautés durant neuf mois. Avec le déclenchement des élections générales, l’idée ne s’est jamais concrétisée.

Qu’en sera-t-il sous le règne des libéraux, dont le mot d’ordre est l’économie? «Souvent, on parle d’exception culturelle. Même dans la pensée néolibérale, certains accordent un statut à part à la culture», dit Anthony Glinoer. Malgré tout, il n’imagine pas les libéraux légiférer sur la question de sitôt. «Lorsqu’ils formaient l’opposition, les libéraux se sont montrés prudents, mais plutôt ouverts sur la question. Toutefois, s’ils voulaient passer à l’action, ils l’auraient déjà fait dans leurs mandats précédents», dit-il.

En outre, la pression exercée par les grandes surfaces, comme Costco, Wal-Mart ou Target, représente un important effet dissuasif pour le gouvernement. «L’intervention de lobbyistes a pu faire pencher la balance, dit le professeur. Le livre est après tout la première industrie culturelle au Québec et l’intervention publique soulève des enjeux tant économiques que culturels.»

Devant l’influence des multinationales, imposer un prix unique du livre aurait aussi une valeur symbolique. «Il permet de montrer que l’État a une politique culturelle, y compris en ce qui concerne les prix et la règlementation de la concurrence. On montrerait que ce n’est pas la politique de la marge de profit qui dirige tout», ajoute le professeur Glinoer.

La compétition en ligne

Un autre enjeu entre en ligne de compte : l’achat de livres sur Internet. D’ailleurs, le projet de loi du Parti québécois englobait les librairies virtuelles, comme Amazon. En France, le site Amazon.fr est déjà soumis à la loi du prix unique, même s’il est possible de contourner la loi en passant par le site américain d’Amazon. «Contrairement aux États-Unis, le commerce en ligne reste tout de même marginal au Québec, avec 15 à 20 % de ventes de livres. Le problème principal reste les bas prix des grandes surfaces et la concurrence des Renaud-Bray ou Archambault, qui vendent aussi en ligne», indique Anthony Glinoer.

Même si les librairies indépendantes ne bénéficieront pas de cette mesure de protection de sitôt, Anthony Glinoer estime qu’elles doivent garder confiance en la population. «Les gens veulent de la diversité littéraire et pas seulement des livres à bas prix. Des activités comme des festivals ou des salons du livre remportent le succès grâce, en bonne partie, à l’impulsion ou au soutien des institutions publiques», rappelle le professeur.