Recherche-terrain des étudiants en politique appliquée
Le Nord du Québec dans tous ses états
Le développement nordique du Québec soulève des enjeux de société importants. Pourtant, au-delà du débat sur les redevances minières, la situation dans cette partie de la province semble peu intéresser la population québécoise. Pour faire le point sur cette situation, des étudiantes et étudiants de l’École de politique appliquée ont participé à une recherche-terrain au Nord du Québec dans le cadre d’un cours donné à l’été 2013 par Hugo Séguin, spécialiste en écopolitique internationale (énergie et changements climatiques).
La cohorte de 15 étudiants a ainsi parcouru, durant 10 jours, des milliers de kilomètres pour aller à la rencontre des principaux acteurs liés à quatre grands enjeux du développement nordique : le développement énergétique, le développement minier, la protection du territoire et les relations avec les populations autochtones.
«Ces enjeux vont déterminer des grands pans des politiques publiques à venir, explique Hugo Séguin. Il nous semblait donc essentiel de permettre à nos étudiantes et étudiants d’aller sur le terrain et de pouvoir confronter leur opinion à la réalité. Dans quelques années à peine, ils seront appelés à participer à la prise de décisions publiques, soit au gouvernement, dans les entreprises, les institutions ou les organisations non gouvernementales. Avec ce projet, nous souhaitons les amener à développer une méthode pour y arriver, et la première étape est d’aller sur le terrain pour savoir de quoi on parle et écouter ce que les gens en pensent.»
Une série de rencontres au cœur du Plan Nord
Ce projet les a donc amenés à rencontrer une série d’organisations impliquées dans le développement du Nord du Québec, 19 au total, de Hydro-Québec à ArcelorMittal (le plus grand producteur de fer et d’acier au monde), en passant par Greenpeace, le Centre d’intervention Le Rond Point et le conseil de bande de Uashat Mak Mani-Utenam. Ils ont aussi visité divers lieux stratégiques tels le chantier hydroélectrique de La Romaine, la gigantesque mine de fer de Mont Wright près de Fermont, l’aluminerie Alouette et le port de Sept-Îles.
«Nous n’avons eu aucune difficulté à planifier ces rencontres, car ces organisations souhaitaient offrir leur point de vue sur la situation dans cette partie du territoire et sur les problématiques qui y sont associées, relate Hugo Séguin. L’Université de Sherbrooke a une bonne réputation, il y avait donc d’emblée un préjugé favorable envers notre projet. Ils comprenaient aussi que ce type d’activité est dans l’ADN de notre École de politique appliquée, que nous n’étions pas là pour donner un alignement idéologique aux étudiantes et étudiants mais plutôt pour entendre et tenter de comprendre. Tout au long du voyage, les gens nous ont dit qu’ils étaient surpris de voir débarquer des gens de sciences politiques, et ils nous ont remerciés d’être là, de venir les voir et d’écouter ce qu’ils ont à dire.»
Pour Nicolas Trudel, étudiant au baccalauréat en études politiques appliquées, participer à ce projet aura été des plus déterminants : «Je veux être politicien, et cette tournée a été très formatrice. Nous avons rencontré plusieurs organisations et chacune nous présentait un aspect d’une problématique selon ses valeurs et sa mission. Par exemple, au cours d’une journée, nous avons rencontré en matinée ArcelorMittal et, en après-midi, Greenpeace. Les points de vue étaient évidemment différents, ce qui nous a obligés à tout départager, à prendre en compte chacune des positions et à chercher une forme de compromis qui les rallierait.»
La démesure nordique : une série d’articles qui dérangent
L’étudiant de première année a aussi profité de ce projet pour écrire une série de trois articles pour Le Collectif, le journal des étudiants de l’Université de Sherbrooke. Chacun de ces articles abordait un thème bien précis de ce que Nicolas Trudel a nommé la «démesure nordique» : la crise de Sept-Îles, les relations avec les autochtones et la situation des femmes dans le Nord du Québec.
À ce jour, ces articles ont été lus par plus de 12 000 personnes, ont provoqué un déluge de commentaires sur Facebook et ont même amené leur auteur à s’exprimer dans certains médias de la Côte-Nord. «J’ai voulu avec ces articles donner la parole aux citoyens du Nord, à celles et ceux qui n’occupent pas un poste de décideur, mais je ne m’attendais pas à une telle réaction, explique Nicolas Trudel. Je pense que la population a apprécié que je lui donne la parole. Mon objectif était toutefois de parler de ces enjeux aux gens du Sud, mais ce sont principalement des habitants du Nord qui ont lu et réagi à mes articles. Peut-être que le reste de la population québécoise ne s’intéresse pas à ces enjeux, pourtant ils nous concernent tous.»
Un travail de préparation et d’analyse exigeant
Afin de préparer cette mission et, surtout, les rencontres avec les divers groupes, les participantes et participants ont eu à faire plusieurs lectures obligatoires. Chaque rencontre était également précédée d’une séance de breffage, préparée par un étudiant qui y présentait en cinq minutes le groupe rencontré, les enjeux liés à ses activités, les positions connues face à ces enjeux, ainsi que quelques questions à poser.
«Il s’agit d’un exercice pédagogique important pour quelqu’un qui aspire à conseiller des décideurs dans les milieux politiques ou autres, rappelle Hugo Séguin. Avant de prendre une décision, il faut savoir de quoi on parle. Il faut pouvoir dire "je suis allé sur place, j’ai écouté les gens, j’ai entendu tous les points de vue et, en fonction de ce que je crois être le mieux pour la collectivité, voici la décision à prendre". C’est une question d’éthique et de respect pour les gens qui seront touchés par cette action.»
À la fin de chaque journée, le groupe procédait généralement à une séance de débreffage pour remettre en perspective ce qui avait été entendu au cours de la journée. «Je réunissais les étudiants et je leur demandais de partager leurs impressions sur les rencontres, précise Hugo Séguin. Je les invitais à émettre leur point de vue et à en débattre. Ces échanges les ont aidés à se préparer pour la rédaction de leur travail de session, qui consiste à traiter d’un enjeu de politique publique et à indiquer quelle serait leur décision et à l’expliquer. Par exemple, devrions-nous augmenter les redevances minières? En analysant ce qu’ils auront vu et entendu, ils devront prendre position.»
Nicolas Trudel a justement choisi d’aborder la question du développement minier dans son travail de session : «Je m’intéresse aux problèmes engendrés dans une municipalité quand son développement est trop rapide. Je veux aborder la question des fly in, fly out et des effets des camps de travailleurs, qui ne paient pas de taxes à la ville, mais qui reçoivent des services, qui travaillent douze heures par jour et qui dépensent donc très peu dans les commerces de la ville. Je veux aussi traiter de la crise du logement dans ce type de ville. J’ai abordé ce sujet dans mon premier article, mais je veux proposer une réflexion plus complète sur ce sujet.»
Une expérience à répéter
Le cours GEP 360 Recherche-terrain sur les sites de pouvoir sera probablement offert l’an prochain, toutefois vers une autre destination encore à déterminer. «C’était la première fois que je faisais une telle recherche-terrain et c’est certain que je vais en faire d’autres. On y apprend tellement, dit Nicolas Trudel. On comprend différemment les enjeux en allant à la rencontre des gens. Je pense maintenant qu’une visite sur le terrain est incontournable pour aborder une problématique. J’aimerais faire une recherche de ce genre une fois à la maîtrise. J’ai l’impression qu’on peut réellement, de cette façon, développer une réflexion plus complète. Il faut aller à la rencontre des citoyennes et des citoyens», conclut-il.