Aller au contenu

Acfas 2021

Enjeux de l’eau : un verre à moitié plein, grâce à la science

Photo : Michel Caron - UdeS

Cristalline, turbulente ou glacée, l’eau se retrouve sous la loupe d’un bon nombre de chercheuses et chercheurs d’ici, qui veillent notamment à ses mouvements saisonniers et à sa qualité. Discussion avec deux spécialistes en la matière.

Marie-Amélie Boucher est professeure au Département de génie civil et de génie du bâtiment à la Faculté de génie. À titre d’hydrologue, elle consacre ses travaux à la prévision des débits des cours d’eau. Grâce à ses recherches, la professeure Boucher participe, entre autres, à une meilleure gestion des inondations sur le territoire québécois :

Photo : Michel Caron - UdeS

Mon travail touche à l’aspect quantitatif de l’eau, résume la chercheuse. Je m’intéresse aux systèmes de prévision probabilistes. Mes travaux contribuent à faire en sorte qu’on soit capables de prévoir les crues et de bien évaluer l’incertitude des prévisions.

Quand nous l’interrogeons sur les principaux enjeux entourant la gestion de l’eau au Québec, sa réponse surprend et porte à réflexion. Selon elle, notre relation à cette ressource est si étroite que nous tendons à oublier à quel point la science est en mesure de nous fournir des réponses éclairantes à son sujet.

« D’un point de vue scientifique, l’eau de surface est très tangible, explique la professeure Boucher. On la voit, on a même appris le cycle hydrologique au primaire; tout le monde a une opinion et un vécu par rapport à l’eau, la population comme les décideurs. Elle fait partie de notre vie, ce n’est pas une notion abstraite, comme la chimie. »

Comment cette relation particulière que nous entretenons avec l’eau teinte-t-elle nos attentes à l’égard des données scientifiques qui la concernent? Avec l’ère des changements globaux qui vient de sonner, la réponse à cette question est, par la force des choses, en train de se transformer sous nos yeux.

Mieux se prémunir contre les inondations

Marie-Amélie Boucher, professeure au Département de génie civil et de génie du bâtiment
Marie-Amélie Boucher, professeure au Département de génie civil et de génie du bâtiment
Photo : Michel Caron - UdeS

Pour celle qui agit également comme directrice scientifique d’Osmoz, un nouveau consortium sur l’eau financé par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, l’apport de la science est vital en matière de gouvernance de l’eau. Par exemple, c’est grâce à la recherche que les municipalités pourront mieux gérer et réduire les impacts des inondations.

« Plusieurs raisons font en sorte que l’on continue d’habiter en zone inondable, explique la professeure Boucher. L’une d’elles est que la cartographie des zones inondables n’est pas adéquate. Elle est en train d’être refaite pour mieux refléter notre réalité actuelle. On s’en va donc dans la bonne direction, et ce, depuis les inondations de 2017. Le gouvernement a débloqué beaucoup d’argent pour refaire cette cartographie, et aussi pour améliorer les systèmes de prévision. »

Mais si modifier en profondeur nos pratiques de développement urbain est une solution pérenne, la chercheuse reconnaît qu’il y a loin de la coupe aux lèvres : 

Il faudrait arrêter d’habiter aussi près des cours d’eau. C’est ce que je pense. C’est une solution à long terme qui fonctionnerait, mais il y a de la gestion humaine assez compliquée là-dedans.

Professeure Marie-Amélie Boucher, Faculté de génie

La dimension humaine de la problématique de l’eau soulève la question de l’éducation et de la sensibilisation, deux notions fondamentales en science environnementale selon la professeure Boucher, mais aussi pour son collègue, le professeur Hubert Cabana. 

Mieux comprendre l’effet des contaminants

Le professeur Hubert Cabana, également du Département de génie civil et de génie du bâtiment, se spécialise dans le traitement des eaux usées. Ses travaux portent sur l’élimination des contaminants que l’on trouve à l’état de traces dans l’eau, tels que les produits pharmaceutiques, les microplastiques et les cannabinoïdes.

Hubert Cabana, professeur au Département de génie civil et de génie du bâtiment
Hubert Cabana, professeur au Département de génie civil et de génie du bâtiment
Photo : Michel Caron - UdeS

Lorsque nous le questionnons au sujet des enjeux entourant de la gestion de l’eau au Québec, son témoignage corrobore celui de la professeure Boucher : l’eau faisant partie de notre folklore, l’étudier scientifiquement peut paraître futile à première vue.

« L’eau ne génère pas d’engouement économique permettant de générer rapidement des connaissances, résume le chercheur. Oui, les catastrophes causées par l’eau coûtent très cher, mais étudier l’eau, ce n’est pas comme faire du pétrole, où l’on extrait un produit qui, une fois transformé, rapporte de l’argent. Dans notre réalité québécoise, l’eau est virtuellement gratuite. Le désir d’investir des sommes n’est pas le même que pour les autres domaines. »

Dans notre réalité québécoise, l’eau est virtuellement gratuite. Le désir d’investir des sommes n’est pas le même que pour les autres domaines.

Ainsi, par exemple, même si la chute radicale des taux de fécondité pourrait être en partie attribuable à la contamination de l’eau, on a peu de données concrètes nous permettant de peindre un portrait juste de la situation, puisque l’enjeu économique de cette problématique n’a jamais vraiment été soulevé. « Le coût associé à la baisse de fécondité, on ne le connaît pas », résume le professeur Cabana. 

Selon le chercheur, il y a un bon travail d’éducation populaire à faire :

Par éducation, je ne veux pas juste dire éduquer monsieur et madame Tout-le-Monde. Il faut éduquer les décideurs aussi, car, souvent, ils n’ont pas les connaissances nécessaires et ils entretiennent des préjugés en lien avec l’eau. Beaucoup de décisions sont prises en se basant sur l’intuition plutôt que sur des faits scientifiques.

Professeur Hubert Cabana, Faculté de génie

Le chercheur croit toutefois que ce méandre tortueux n’est pas une impasse. Plutôt que de naviguer entre les écueils, le milieu scientifique a choisi de se mobiliser selon une formule qui a fait maintes fois ses preuves : la multidisciplinarité.

Faire céder les barrages entre les disciplines

S’il pouvait matérialiser son rêve le plus fou au regard de la gestion de l’eau au Québec, le professeur Cabana décloisonnerait les disciplines à la grandeur de la province. Selon lui, c’est un préalable incontournable pour obtenir le soutien financier nécessaire à l’acquisition de connaissances en ce domaine.

Beaucoup de travaux sont faits en vase clos. Il y a de belles initiatives, de beaux projets, mais souvent, c’est assez mal intégré. Ce sont souvent des initiatives très locales.

La professeure Boucher abonde dans le même sens. Selon elle, surmonter les grands enjeux humains de l’eau en ne considérant que les problématiques relevant des sciences pures ou du génie n’est pas une stratégie viable à long terme. « Il faut tenir compte de tous les aspects : juridiques, économiques et même philosophiques! », insiste-t-elle.

Heureusement, le milieu scientifique s’organise pour décloisonner la recherche sur l’eau, comme en témoigne l’émergence de regroupements multidisciplinaires spécialisés en la matière, tels que le Groupe de recherche sur l’eau de l’UdeS, dirigé par le professeur Cabana depuis janvier 2020, et le Centre québécois de la recherche sur l’eau (CentrEau), dont est membre la professeure Boucher.

À quand ce jour où nos ressources en eau seront adéquatement gérées et protégées? La science ne saurait nous le dire. Mais à en croire la persévérance tenace et convaincante dont font preuve les chercheuses et chercheurs de ce domaine, nous pouvons certainement nous permettre de voir le verre à moitié plein.

À propos du 88e Congrès de l'Acfas
Le colloque Gouvernance de l'eau à l'ère des changements globaux, pour lequel la professeure Marie-Amélie Boucher et le professeur Hubert Cabana sont coresponsables, sera présenté dans le cadre du prochain congrès annuel de l’Acfas, plus grand rassemblement multidisciplinaire du savoir et de la recherche de la francophonie, qui se tiendra du 3 au 7 mai 2021.


Informations complémentaires