Histoire et sociologie de l'édition littéraire
Julien Lefort-Favreau récipiendaire d'une bourse postdoctorale Banting
Julien Lefort-Favreau, chargé de cours au Département des lettres et communications, vient de se mériter une bourse postdoctorale Banting (CRSH) pour son projet « Une histoire de l’engagement intellectuel en France depuis 1959 : la responsabilité politique de l’éditeur », dirigé par le professeur Anthony Glinoer. La valeur de cette bourse est de 70 000 $ par année pendant deux ans.
« Il s’agit pour moi d’un très grand honneur de poursuivre mes recherches dans des conditions de travail aussi exceptionnelles, affirme le récipiendaire. Cette bourse Banting me permet de me consacrer pleinement à mes recherches à l’Université de Sherbrooke, qui a une longue et grande tradition en histoire et en sociologie de l’édition. »
Dans le cadre de son projet, il s’intéresse à la transformation de la figure de l’intellectuel en France sur une période de plus de cinquante ans. Deux figures s’y croisent : celle de l’intellectuel engagé et celle de l’éditeur engagé. Il y explore l’idée que durant la période observée, la question de la responsabilité politique de la littérature est d’abord une responsabilité de l’écrivain et qu’elle se dédouble graduellement jusqu’à devenir partagée avec l’éditeur.
« L’ensemble des travaux est guidée par l’idée que la littérature détient un formidable pouvoir subversif, rappelle Julien Lefort-Favreau. Mais ce pouvoir est fluctuant. La littérature n’a pas un impact égal dans tous les moments historiques. Il me semble, peut-être à tort, qu’en mesurant la place qu’occupe la littérature – et les autres arts – dans l’espace social à une époque donnée, on peut avoir accès aux rêves, aux utopies, aux échecs, d’une société. »
François Maspero, éditeur engagé
La première portion de sa recherche (1959-1982) porte sur les années d’existence des Éditions Maspero. C’est dans le cadre de recherches menées à l’Université de Toronto sur les récits autobiographiques portant sur les années de militantisme gauchiste en France que le chercheur a remarqué l’importance de François Maspero dans l’espace politique et littéraire d’alors.
« Mes recherches visent à explorer l’idée que l’auteur n’est pas seul à porter sur ses épaules la lourde responsabilité politique de la littérature, explique-t-il. Maspero a accompagné les débats intellectuels de son époque – tiers-mondisme, marxisme structuraliste, diverses tendances d’extrême-gauche – et nombre d’événements historiques cruciaux, tels la guerre d’Algérie, le Printemps de Prague, Mai 68. Une grande variété de courants idéologiques convergent chez Maspero, qui devient le lieu de l’élaboration de la figure d’un intellectuel critique à la fois du stalinisme du Parti communiste français et du pouvoir gaulliste. »
L’édition comme vecteur de changement social
La seconde portion de sa recherche (1998-2014) prend pour objet des jeunes maisons d’édition politique (la Fabrique, Agone, Lignes, Amsterdam) qui s’inscrivent dans une discussion mondiale autour de l’indépendance économique du monde du livre et de la nécessité de préserver les exceptions culturelles nationales. Son projet vise à éclairer la manière dont l’éditeur accompagne les bouleversements historiques au point de devenir un vecteur de changement social.
« Si l’intellectuel chez Maspero critiquait l’embourgeoisement de l’activité intellectuelle, l’intellectuel qui publie chez les éditeurs politiques contemporains que j’étudie rend pour sa part compte des pressions économiques de l’industrie culturelle qui opère un contrôle sur les réseaux de diffusion et, donc, une forme de censure sur la vie intellectuelle, précise-t-il. Ce dernier aspect s’inscrit d’ailleurs dans les vastes débats sur la bibliodiversité, laquelle désigne la défense de la diversité culturelle contre la production de masse et la financiarisation des grands groupes éditoriaux. Les livres d’André Schiffrin, qui fut jusqu’à son décès l’éditeur de la New Press aux États-Unis, tout comme ceux d’Eric Hazan, éditeur à la Fabrique, incarnent cette cristallisation de la figure de l’éditeur résistant à l’ère de la mondialisation. »
Julien Lefort-Favreau est également Bader fellow à l’Université Queen’s. Il est détenteur d’un doctorat en études littéraires de l’UQAM. Sa thèse interrogeait la politique de la littérature dans l’œuvre autobiographique de l’écrivain français Pierre Guyotat. Il est également directeur des pages littéraires du cahier critique de la revue Liberté depuis 2012.