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Pratiques artistiques actuelles

Joanna Chelkowska : la libération d'un parcours intime

Joanna Chelkowska, diplômée en pratiques artistiques actuelles à l'Université de Sherbrooke
Joanna Chelkowska, diplômée en pratiques artistiques actuelles à l'Université de Sherbrooke

Photo : François Lafrance

Hautes tours créées à partir d’objets du quotidien, papiers d’immigration exposés sous forme de murale, autoportrait à l’huile à la rencontre du glitch numérique, quelques œuvres parmi plusieurs autres que l’on pouvait découvrir dans la fascinante exposition Tour de table, présentée par les finissantes et finissants de 2e cycle en pratiques artistiques actuelles. L’artiste Joanna Chelkowska était de ce groupe et présentait La reprise, une animation produite à partir d’esquisses au crayon de plomb.

«En m’inscrivant dans ce programme, je souhaitais réaliser une œuvre au moyen de dessins exécutés rapidement et utilisant seulement des lignes de contour, souligne la nouvelle diplômée. Je voulais travailler autrement qu’en peinture, sortir de ma zone de confort et me déstabiliser. J’ai réussi.»

Née en Algérie de parents polonais, Joanna a fait quelques détours avant d’arriver aux études de 2e cycle en art à Sherbrooke, dont un baccalauréat en dessin et peinture à l’Université Concordia. Alors qu’elle pratiquait activement la peinture, Joanna rêvait de faire de l’animation. «Ce programme m’a permis d’explorer le stop motion et de privilégier une pratique que je gardais dans mes carnets, dit-elle. La reprise est une forme d’hommage à l’esquisse.»

400 dessins plus tard, La reprise

Par la pratique du dessin et du collage, Joanna Chelkowska aborde dans « La reprise » la condition de l'individu aux prises avec les malaises de la société contemporaine : obsession du corps, douleur, perte de repères, dissolution des liens sociaux, repli sur soi, etc.

De fines esquisses en noir et blanc défilent sur l’écran par saccades, à la manière d’une animation d’une autre époque. Des corps, représentés simplement par des lignes. Des êtres qui se côtoient, prennent position, forment finalement une chorégraphie qui rappelle divers moments de la vie. L’œuvre provoque une réaction complexe chez celui qui la regarde, elle peut même surprendre quelque chose d’intime.

«Ce qui te touche est peut-être que cette œuvre appelle certains nœuds intérieurs, qu’elle cherche à prendre par les tripes. L’idée de base est la représentation d’une classe de yoga, mais on s’en éloigne rapidement, on ne fait pas que montrer le bien-être, on y trouve aussi une touche d’humour noir, que j’ai tendance à intégrer dans mes œuvres. Le yoga est un prétexte, je déforme les sujets», explique Joanna.

La reprise aborde des thèmes comme l'obsession du corps, la féminité, la souffrance, les rêves, les fantasmes et l’érotisme. Elle traite de la construction de l’identité et du rapport à l’autre. «J’explore aussi le thème de l’authenticité. J’utilise la copie, la duplication d’objets, que je répète pour arriver à en effacer les différences, à les confondre. Je puise beaucoup dans mon imaginaire, mais aussi dans des événements qui m’ont affectée», dit l’artiste.

L’intégration de plusieurs techniques – dessin, photographie, animation – a mené à la réalisation de ce projet. En l’absence de storyboard, l’oeuvre est apparue doucement au fil des esquisses. «Je tenais à ce titre, La reprise, relate Joanna. Il parle du processus m’ayant permis d’achever cette création. Il traite de la répétition, du fait de reprendre une même image, une même scène, et de la faire évoluer et évoluer encore dans une constellation de diverses directions possibles.»

Une démarche artistique à comprendre pour la partager

L'artiste au travail dans l'atelier du centre en art actuel Sporobole.
L'artiste au travail dans l'atelier du centre en art actuel Sporobole.

Photo : François Lafrance

Produire La reprise dans le cadre du diplôme de 2e cycle en pratiques artistiques actuelles a aidé Joanna Chelkowska à atteindre plusieurs objectifs personnels : «Quand tu veux être un artiste, tu dois apprendre à décrire ta démarche artistique. Pour l’approfondir, tu dois arriver à l’articuler, tu dois pouvoir cerner les enjeux soulevés par ton art. Tu dois aussi le faire pour remplir des demandes de bourses ou de résidence d’artiste. J’avais l’impression de ne pas avoir suffisamment développé ces aspects durant mon bac en dessin et peinture.»

En plus des séminaires, le programme lui a donné l’occasion d’assister à des tables rondes et à des conférences, et de revoir ou de découvrir des pans de l’histoire de l’art. Toutes ces activités lui ont permis de se professionnaliser en tant qu’artiste et d’aborder avec confiance le marché de l’art : échéancier, budget, collaborations, design de projet, méthodologie, diffusion, subventions, etc.

«Quand on décrit ses projets, on cherche à expliquer d’où on vient, ce qu’on veut réaliser et où on veut aller, relate Joanna. Je souhaite maintenant approcher des galeries et des centres d’art pour y présenter mes œuvres. J’aimerais exposer La reprise et je prépare actuellement des dossiers d’artiste en ce sens. J’ai aussi un projet de collaboration avec une autre finissante du programme, Lysanne Picard.»

Poussée par la force du groupe

«Travaillant toutes et tous dans un des vastes ateliers du centre en art actuel Sporobole, espace auquel nous avons accès 24 heures par jour, on s’influence et on s’entraide, explique Joanna. C’est très nourrissant. Si j’avais été seule dans mon atelier, l’inspiration ne serait pas venue d’autant de sources, elle n’aurait pas été aussi riche. C’est précieux.»

Vernissage de l'exposition Tour de table, présentée par les finissantes et finissants du diplôme de 2e cycle en pratiques artistiques actuelles de l'UdeS.
Vernissage de l'exposition Tour de table, présentée par les finissantes et finissants du diplôme de 2e cycle en pratiques artistiques actuelles de l'UdeS.

Photo : François Lafrance

Par le biais des séminaires et des autres activités de groupe, les contacts entre les étudiantes et étudiants enrichissent la progression des projets et les discussions sur le processus créatif. Le travail avec l’artiste mentor attitré à chacun est aussi un élément clé de ce programme d’études.

«Je dois dire que la présence de la photographe Emmanuelle Léonard, ma mentore durant cette année d’études, m’a vraiment aidée, poursuit la jeune diplômée. Elle a été une coach pour moi. On se rencontrait aux deux semaines et je lui présentais mon travail, ce qui m’aidait à cheminer et à établir les échéanciers. Nous avons beaucoup parlé théorie, discuté des différences entre images animées et images fixes dans un contexte d’exposition. Je sais que je peux la contacter pour des conseils et qu’elle sera là pour m’aider. J’ai aussi été touchée par la peintre Marie-Claude Bouthillier, une autre mentore du programme; son rapport à la matière et son processus créatif m’ont beaucoup interpellée.»

Les derniers mois auront vraiment permis à Joanna de faire avancer sa pratique. «J’ai l’impression d’avoir effectué un travail sur moi et d'avoir approfondi ma réflexion sur le processus créateur au cours de cette autre étape de mon parcours, dit-elle. À travers la réalisation de ce projet, du passage du dessin à la vidéo, j’ai repoussé mes propres frontières et c’est très libérateur!»


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