Semaine de la recherche 2025
Au-delà de la machine : forger des technologies quantiques et des outils de santé numériques à notre image

Photo : Fournie
Le midi du 18 mars, dans le cadre de la Semaine de la recherche de la FLSH, deux présentations transportent le public à des endroits du globe éloignés l’un de l’autre. Mais elles explorent une question semblable : quels sont les effets, anticipés ou réels, des technologies sur nos sociétés?
Premier arrêt : la Zone d’innovation quantique, Sherbrooke. Le public est en terrain connu… ou presque. Si la ville lui est familière, les enjeux liés à l’émergence des technologiques quantiques, eux, le sont moins. Heureusement, trois guides proposent de les défricher pour lui, soit Karen Poulin, Charles Verret et Karl Thibault.

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Tous trois participent au projet Dialogues quantiques, dirigé par la professeure Isabelle Lacroix et le professeur Alexandre Blais. Le principe est simple : réunir des acteurs de la société touchés directement par les travaux de la Zone d’innovation quantique et leur demander d’imaginer, ensemble, les futurs possibles de ces travaux.
À terme, le projet Dialogues quantiques vise à anticiper plusieurs retombées éventuelles du développement quantique et à proposer des réponses concrètes aux acteurs politiques – quoi faire devant quel défi, survenant à quel moment. Un objectif plutôt pragmatique, donc.
Là où l’exercice se complique, c’est qu’il regroupe des parties prenantes des mondes industriels, politiques, institutionnels, scientifiques et artistiques ou de la société civile, tant à l’échelle locale que nationale.
Pendant deux heures, les représentants et représentantes discutent des écueils, des occasions ou des risques qu’ils entrevoient. Nul besoin d’une expertise poussée en sciences quantiques, toutefois. Les échanges se basent sur des expériences déjà vécues avec des évolutions technologiques et permettent de les extrapoler aux recherches en sciences quantiques.

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Autre degré de complexité, mis en évidence par le profil des panélistes de cette présentation de la Semaine de la recherche : Dialogues quantiques fait appel à des disciplines variées et complémentaires.
Étudiante au 3e cycle en philosophie et éthique appliquée, Karen Poulin s’intéresse aux défis liés à l’équité, à la diversité et à l’inclusion lors de développements technologiques. Elle scrutera les dialogues réalisés pour identifier les réalités, soucis ou inquiétudes évoqués par les personnes participantes qui auraient échappé aux équipes de recherche en quantique. Un exemple de ce genre d’angle mort? À son lancement, l’application Santé d’Apple, développée par une équipe majoritairement masculine, ne comportait pas de calendrier menstruel – pourtant une facette importante de la santé des femmes.
Étudiant au 2e cycle à l’École de politique appliquée, Charles Verret se penche sur les attitudes politiques susceptibles d’apparaître lors de l’émergence de nouvelles technologies, surtout des technologies de rupture, qui servent souvent les intérêts financiers et les puissances déjà établis. Charles s’arrête particulièrement au cynisme et à la confiance, aux événements qui risquent de les nourrir et à la manière d’encourager l’engagement, pour que les développements technologiques reflètent la volonté politique de l’ensemble de la société. Une manière d’équilibrer le rapport de forces, finalement.
Professionnel de recherche à l’Institut quantique, Karl Thibault chapeaute les Dialogues quantiques. Ce qui le surprend (et l’émerveille) dans l’initiative? Vivre en direct les retombées concrètes de la recherche à laquelle il participe, quand il assiste aux discussions entre des gens qui s’assoient très rarement dans la même pièce – et qui, pourtant, ont tant à se dire.
De Sherbrooke à l’Afrique de l’Ouest
Deuxième arrêt : le Mali. Pour le public, le projet ApproTech est une première escale dans ce pays.
Mais pour Gabriel Blouin-Genest, professeur à l’École de politique appliquée, et Natalia Torres Orozco, professionnelle de recherche, tous deux membres du Centre interdisciplinaire de développement international en santé (CIDIS), c’est une pierre supplémentaire dans l’édifice de leur collaboration avec plusieurs acteurs du milieu de la santé malien.

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Après avoir offert de la formation avec le projet CLEFS, puis avoir appuyé le déploiement d’outils de santé numériques avec SanDi, le CIDIS cherche à vérifier si ces outils contribuent vraiment à la continuité et à la qualité des soins de santé, et comment.
ApproTech tient du marathon : 128 entrevues, réalisées sur 3 ans par 3 personnes dans 5 villes du Mali. Une équipe de plus d’une douzaine de spécialistes collige les données recueillies de manière à répondre aux besoins réels d’informations exprimés par les partenaires maliens.

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Parce que, en plus d’être scientifiquement ambitieux, ApproTech se veut éthiquement décolonial et non extractiviste. Ainsi, les rapports hiérarchiques sont pensés pour être horizontaux : l’avis de chaque membre de l’équipe pèse également dans les décisions, qu’il s’agisse d’une étudiante de 1er cycle ou d’un professeur titulaire. Les résultats obtenus doivent aussi servir, d’abord et avant tout, les milieux maliens dont ils sont issus, et non les intérêts de l’équipe de recherche sherbrookoise.
Alors, les outils numériques participent-ils à l’amélioration des soins de santé? Oui, et ils ont été adoptés par le personnel soignant, mais avec des limites importantes. Par exemple, les coupures de courant fréquentes et l’accès parfois difficile à Internet en diminuent l’efficacité.
Un autre effet constaté est le développement de communautés de pratique dans les milieux de la santé au Mali, dont Souleymane Sawadogo présente les 4 principales catégories identifiées lors d'ApproTech.
Comprendre tant les limites que les occasions créées par les outils technologiques influencera peut-être les prochaines politiques du Mali… ou son prochain partenariat avec Sherbrooke.
Ainsi, si les technologies sont susceptibles d’améliorer nos vies, ici comme ailleurs, imaginer et évaluer leurs effets sur nos sociétés permet de les façonner à notre image.
La Semaine de la recherche 2025 s'est déroulée à la Faculté des lettres et sciences humaines du 17 au 20 mars.