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Têtes chercheuses

Si l’Université de Sherbrooke (UdeS) poursuit son ascension parmi les universités canadiennes les plus prolifiques, c’est en grande partie grâce à sa communauté de recherche engagée.

Ses équipes sont au coeur de nombreuses avancées remarquables qui contribuent à surmonter les défis auxquels le monde fait face.

Avec Têtes chercheuses, nous ouvrons une fenêtre inédite sur les réalisations innovantes des chercheuses et des chercheurs de l'UdeS!

Jean-Pierre Perreault, vice-recteur à la recherche et aux études supérieures

Édition automne 2022

Apprendre à vivre ensemble grâce à la culture

Fondé sur l’analyse de textes littéraires des 30 dernières années, le projet de la professeure Isabelle Boisclair, Le(s) lieu(x) du pouvoir : analyse intersectionnelle des subjectivités de sexe-genre-désir dans leur rapport avec l'espace dans la littérature francophone contemporaine, qu'elle mène avec ses collègues Nicole Côté (UdeS) et Lori Saint-Martin (UQAM), vise à voir où se situe le pouvoir et qui le détient à travers l'analyse de scènes sexuelles et des rapports de sexe dans les romans, en tenant compte du sexe, du genre, du désir et de facteurs qui affectent la distribution du pouvoir tels que la classe sociale, l'appartenance à un groupe racisé et l'âge.

Les livres, porteurs de changements

En étudiant l'évolution culturelle de la société, ce projet contribue à mettre au jour de nouvelles façons de penser les rapports amoureux et les façons de les dire qui, elles, ont un effet sur nos comportements et nos façons d’agir.

Redéfinir le pouvoir et reconnaître la diversité

Cette étude permet de mieux saisir les enjeux de pouvoir liés aux rapports sociaux de sexe et aux sexualités, tout en répondant à un enjeu de reconnaissance de tous les genres.

L’expansion du féminisme
Les femmes sont de plus en plus nombreuses à revendiquer le droit au plaisir et détiennent le pouvoir de participer aux décisions sur les lieux et les moments où les rapports sexuels auront lieu (ce qui n'a pas toujours été le cas; rappelons-nous le « devoir conjugal »). Elles ne sont plus seulement des objets de désir, mais également des sujets. En contexte hétérosexuel, les hommes sont les objets de leur désir. Il y a ici un renversement qui ne mène pas nécessairement ou directement à un renversement des pouvoirs, mais plutôt à une réciprocité, à un partage plus équitable du pouvoir en regard de la sexualité.

Une plus grande visibilité des identités sexuelles
Un autre enjeu auquel répond ce projet est la reconnaissance qui est démontrée envers tous les genres sexuels et la manière dont cela se traduit dans les oeuvres littéraires. La visibilité, la reconnaissance sociale et la légitimité de toutes les identités sexuelles est un combat qui est loin d’être gagné, bien qu’il y ait eu une progression et que de plus en plus d'autrices et d'auteurs issus des minorités sexuelles écrivent leurs réalités.

Mettre en lumière des reconfigurations sociales majeures

Les recherches menées démontrent qu'il y a une nette évolution dans les oeuvres littéraires, qui mettent en scène de nombreuses identités de genre et de nombreux types de rapports amoureux et sexuels. Une reconfiguration sociale s’est effectuée.

Cette étude démontre notamment que les personnes issues des minorités sexuelles gagnent en légitimité et leurs perspectives remettent en question la distribution des pouvoirs. Beaucoup d’entre elles écrivent non seulement pour dénoncer les violences dont elles sont victimes, mais également pour présenter leur version des faits. Pensons par exemple au roman Le consentement de Vanessa Springora, mais il y en a de nombreux autres.

Comprendre ce que cachent les textes

« Ce qui me fascine, c’est tout ce que les textes littéraires nous révèlent sur nous-même, notamment sur le plan collectif : ce qu’ils révèlent sur notre humanité, notre société, nos façons de vivre, de vivre ensemble. La littérature est un lieu privilégié pour dénoncer des façons de faire qui nous semblent inacceptables et pour imaginer d’autres types de rapports. Je sais que ça peut sembler « moral » (dénoncer des façons de faire qui nous semblent inacceptables), mais c’est plutôt sur le plan politique-imaginaire que ça se situe : ce n'est pas un discours moral. D'ailleurs, la réflexion à laquelle ces oeuvres engagent est plus éthique que morale. La réflexion invite à une prise de conscience autour de la distribution des pouvoirs, pour qu’on puisse en arriver à une distribution plus équitable des pouvoirs entre les personnes », explique la professeure Boisclair.

En ce sens, elle souhaite transmettre à ses étudiantes et étudiants trois sensibilités :

  • Apprendre à lire : un roman, c’est beaucoup plus que ce qui est « raconté ».
  • La capacité de saisir tout ce qui est signifié dans un texte littéraire.
  • Le plaisir intellectuel : là est le plaisir de l’analyse. Le plaisir de comprendre, d’entrevoir, de penser, d’imaginer, de réfléchir.

Prouver l'existence d'un liquide qui n’en est pas un

Prédit théoriquement au début des années 70, le liquide de spin n’est pas un liquide au sens où on l’entend habituellement, comme le solide ou le gaz. Il s’agit plutôt d’un autre état de la matière auquel le professeur Jeffrey Quilliam s’intéresse et pour lequel il souhaite approfondir les connaissances dans son projet Découvrir et comprendre le liquide de spin quantique.

Les sciences quantiques pour déchiffrer l’univers

Basé sur l’étude des propriétés physiques de nouveaux matériaux, ce projet de recherche fondamentale vise à mieux comprendre comment l’univers fonctionne, en étudiant comment la mécanique fonctionne pour un grand nombre d’objets quantiques.

Faire frustrer les aimants pour créer un nouvel état

Le phénomène physique qui permet à votre aimant de coller sur votre réfrigérateur est assez simple. Ce type d’aimant « conventionnel », aussi nommé aimant ferromagnétique, contient des électrons (des particules qui ont une charge électrique négative). Chacun de ces électrons possède un petit aimant que l’on appelle un spin et tous ces spins dans le matériau s’alignent ensemble.

L’énergie est plus faible lorsque les spins sont alignés dans la même direction ↑ ↑ et elle est plus élevée lorsque les spins ne sont pas alignés (ou sont anti-alignés ↑ ↓).

En étudiant ces matériaux conventionnels à très basse température, on observe que les spins vont vouloir adopter une phase (une configuration) où tous les spins sont pointés vers la même direction. Cette configuration génère un grand champ magnétique autour des spins et c’est ce qui vous permet d’utiliser ces aimants pour faire tenir vos messages sur votre réfrigérateur. Le projet du professeur Quilliam, lui, s’intéresse à un type d’aimant beaucoup plus complexe : les aimants frustrés.

Pourquoi dit-on que les aimants sont frustrés? Prenez par exemple une configuration composée de triangles comprenant trois spins situés à la même distance. S’il y a des interactions entre les spins qui veulent forcer les spins à être anti-alignés, alors là il y a un problème. Il y aura deux spins qui seront anti-alignés, mais il restera le troisième spin qui ne saura pas quoi faire. On dit de ce spin qu’il est frustré. C’est la base de la frustration magnétique. Avec la frustration magnétique, le professeur Quilliam est ainsi capable de produire des configurations beaucoup plus complexes. Même à très basse température, le système ne sait pas quelle configuration choisir pour minimiser son énergie.

Encore là, bien qu'ils soient plus complexes, ces systèmes demeurent « classiques ». Il s'agit d'objets bien définis qui ont des spins ayant une orientation possible à la fois. Avec la mécanique quantique, cela permet d'avoir une superposition d'états. Il est ainsi possible d'avoir de multiples configurations de spins en même temps. Grâce à cette configuration complexe où il y a une superposition de spins, il est possible de réaliser d'autres états ou phases de la matière qui peuvent ainsi mieux minimiser l'énergie du système, comparativement aux systèmes classiques. Une de ces phases complexes est le liquide de spin. 

En sciences quantiques, les analogies sont régulièrement utilisées pour parler d’un concept ou d’un phénomène, comme c’est le cas pour le liquide de spin. Il ne s’agit pas d’une forme liquide telle que vous la connaissez, mais plutôt d’un type d’aimant, un type de système magnétique, qui a des propriétés uniques. Imaginez-vous que les spins sont en train de fluctuer, un peu comme le fait un liquide. Vous pouvez ainsi voir les spins comme des molécules d'eau qui bougent dans toutes les directions.

Bien que ce concept existe depuis 40 ou 50 ans dans la tête des théoriciens, ce n'est que depuis les 20 dernières années que les physiciens ont commencé à trouver des matériaux qui permettent d'avoir cette phase à basse température. Un des objectifs du professeur Quilliam est de trouver de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques pour essayer de mesurer et de comprendre ces phases, qui étaient jusqu’à récemment inconnues. En collaboration avec des physiciens et des chimistes, qui fabriquent des nouveaux matériaux, il peut ainsi se pencher sur la mesure, la caractérisation et la compréhension de propriétés magnétiques de ces nouveaux matériaux.

Provoquer les découvertes pour enrichir le savoir 

Le professeur Quilliam a déjà réalisé d’importantes découvertes depuis le début de ce projet. En réussissant à établir que ces phénomènes sont plus communs que nous pouvions le penser et que plusieurs façons différentes permettent d’induire ces états, il démontre qu’il existe plus de diversité dans ce domaine.

De plus, il a récemment découvert des configurations différentes qui permettent de créer des liquides de spin quantique de différents types, en plus d’élaborer de nouvelles techniques permettant d’explorer les propriétés de nouveaux matériaux. Un grand potentiel s’entrevoit pour ce projet de recherche et toutes les applications que ce savoir pourrait apporter!

Accéder à plusieurs univers grâce aux matériaux quantiques

Lorsqu’il était lui-même étudiant, le professeur Quilliam a développé une passion pour la beauté de la nature, de l’univers et des lois qui expliquent son fonctionnement. C’est ce qu’il souhaite transmettre à son tour aux personnes qui envisagent de faire une carrière en physique, plus précisément en physique quantique.

« Étudier les matériaux quantiques, et ça inclut les matériaux magnétiques, c’est vraiment une façon d’accéder à cette beauté de la physique, de différentes façons. Quand on fait de la physique des particules, c’est beau aussi, mais on a un seul univers avec lequel on peut travailler. Par contre, une étudiante ou un étudiant qui travaille dans les matériaux quantiques a accès à plusieurs univers durant une seule thèse parce que chaque matériau est son propre univers avec ses propres propriétés et sa propre physique, sa propre beauté en fait. C’est vraiment une belle façon d’étudier la physique et de voir la complexité et l’élégance de ce sujet. », souligne-t-il.

Humaniser les changements urbains

Le projet Impacts de la revitalisation du centre-ville de Sherbrooke (Qc) sur l'équité en matière de santé chez les jeunes adultes de la professeure Martine Shareck vise à évaluer les retombées, autant positives que négatives, qu'auront les changements dans l’environnement urbain et social dans le cadre de la revitalisation du centre-ville de Sherbrooke.

Souligner les inégalités

Ce projet va permettre de mieux comprendre l’impact de grands projets d’aménagement urbain sur la santé, mais aussi sur les inégalités sociales de santé qui, elles, sont moins étudiées, en particulier pour les jeunes adultes.

Trois enjeux sociaux au coeur du projet

  1. Les villes investissent beaucoup d’argent (des fonds publics principalement) pour améliorer la vitalité et la prospérité économique des quartiers, incluant les centres-villes. Ces investissements ont des impacts positifs, mais peuvent aussi avoir des impacts négatifs, dont le déplacement de populations plus marginalisées, qui est une problématique rarement évaluée dans ce genre de projet.
  2. La taille des villes : la plupart des études sont principalement effectuées sur de grandes villes et les résultats ne peuvent pas nécessairement être généralisés à des villes plus petites comme Sherbrooke, entre autres parce que nos façons d’interagir avec l’environnement et les moyens de transport qui y prévalent sont aussi différents.
  3. Les jeunes adultes (16 à 30 ans) sont souvent laissés de côté dans la prise de décisions au niveau local et ils ne sont pas toujours considérés comme une population d'intérêt en soi par la santé publique. Pourtant, cette période est une période charnière en promotion et en prévention de la santé et des inégalités sociales de santé.

La recherche au service de la population

Bien que le projet soit en cours et que l'analyse complète des données n'est pas terminée, la professeure Shareck a pu découvrir que le sentiment de sécurité semble être un enjeu très important à Sherbrooke ainsi qu'au centre-ville, particulièrement pour les femmes. De plus, les espaces publics qui étaient à la base éphémères finissent par s’établir, puisque la population les utilise et les apprécie, et qu'ils semblent répondre à un besoin.

Au terme de ce projet, la professeure Shareck pourra partager un portrait complet de la situation avec différents organismes municipaux et communautaires de même qu'avec d'autres villes qui planifient des modifications urbaines.

Aller au-delà des apparences

La professeure Shareck souhaite faire voir la recherche autrement auprès des personnes étudiantes à qui elle enseigne. « Je les invite à toujours chercher à mieux comprendre, à comprendre en profondeur ce qu'elles observent, sans s'arrêter aux apparences. Je les encourage à creuser toujours un peu plus loin et à avoir un regard critique. Que ce soit sur la littérature, leurs propres projets de recherche, sur le monde qu'on observe, parce que c'est comme ça qu'on peut voir les choses autrement et avoir des recherches plus pratiques qui vont servir au-delà du milieu académique et de la littérature scientifique », affirme-t-elle.