Des phonons chiraux dans les cuprates

Les cuprates ont été découverts il y a plus de 30 ans, mais les mécanismes responsables de la supraconductivité à haute température dans ces matériaux ne sont pas encore bien com- pris par la communauté scientifique. Dans le cadre de son doc- torat à l’Université de Sherbrooke, la recherche de Marie-Eve Boulanger concerne l’effet Hall thermique dans les cuprates. « Notre étude s’intéresse aux cuprates dans leur état isolant de Mott, c’est-à-dire des matériaux isolants dont les électrons sont localisés par les fortes interactions. On croyait bien com- prendre cet état, mais notre savoir a été chamboulé par l’étude de 2019 de mon collègue Gaël Grissonnanche, postdoc dans notre équipe », témoigne Marie-Eve Boulanger, doctorante en physique à l’Université de Sherbrooke, dans l’équipe du profes- seur Louis Taillefer.

Les recherches précédentes du groupe Taillefer ont montré l’ob- servation d’un effet Hall thermique dans les cuprates jusqu’à l’isolant de Mott. Dans un isolant les électrons sont immobiles, alors le fait d’observer un effet Hall thermique – normalement causé par les électrons mobiles d’un métal – suggère une ex- plication différente. En effet, ce sont plutôt les phonons, les vibrations acoustiques du matériau, qui causent l’effet Hall thermique. Ceci est une surprise puisque les phonons ne sont pas habituellement sensibles aux champs magnétiques, et im- plique que les phonons possèdent une chiralité.

Le mécanisme précis par lequel les phonons des cuprates ac- quièrent une chiralité dans un champ magnétique est encore inconnu. La recherche de Marie-Eve se focalise sur cette pro- blématique, et son importance s’est mérité une publication dans Nature Communications : « Thermal Hall conductivity in the cuprate Mott insulators Nd2CuO4 and Sr2CuO2Cl2 ».« Une fois avoir confirmé que les phonons étaient à l’origine de l’effet Hall thermique dans les cuprates, la principale question que nous nous sommes posée est : comment est-ce que les phonons deviennent chiraux? Autrement dit, comment est-ce qu’ils sont déviés par le champ magnétique ? », partage Marie-Eve.

« Marie-Eve est devenue l’experte en effet Hall thermique dans notre équipe. C’est la mesure de transport la plus délicate à effectuer – seulement quatre ou cinq groupes dans le monde maitrisent actuellement cette technique », affirme Pr Taillefer. » Cette expertise nous ouvre plusieurs avenues de recherche dans le vaste domaine des matériaux quantiques, incluant les liquides de spin, par exemple. »

La recherche a procédé par une étude comparative de deux cuprates isolants de Mott, Nd2CuO4 et Sr2CuO2Cl2. Une me- sure de la conductivité thermique montre que les phonons conduisent bien mieux la chaleur dans Nd2CuO4, et aussi que l’effet Hall thermique est d’autant plus grand dans Nd2CuO4. Cette corrélation est une preuve additionnelle que ce sont les phonons qui sont les vecteurs de chaleur responsables de la réponse de Hall thermique. L’étude exhaustive de Marie-Eve a également invalidé plusieurs hypothèses reliées à la structure et à l’ordre magnétique des différents matériaux, se rapprochant ainsi d’une meilleure compréhension de la chiralité des phonons dans les cuprates.

« Ce travail s’inscrit dans mon projet de doctorat, et met la table pour la suite de mon projet, qui va être de travailler sur d’autres cuprates. Dans notre publication dans Nature Com- munications, on mentionne que le mécanisme chiral pourrait provenir d’un couplage de phonons acoustiques aux excitations intrinsèques des plans CuO2. Cela sera vérifié avec l’étude des cuprates dopés en électrons. »

Dans leur exploration de l’effet Hall thermique, Marie-Eve Bou- langer et les personnes étudiantes au postdoctorat de l’équipe Taillefer bénéficient de plusieurs collaborations, autant au sein de l’Institut quantique qu’à travers le programme en matériaux quantiques du CIFAR et le Laboratoire Circuits et Matériaux Quantiques, un laboratoire international associé (LIA) du CNRS en France.

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