Augmenter le bruit pour le diminuer, c’est logique!

Par Dimitri Bonanni-Surprenant, stagiaire à l’AlgoLab Quantique de l’IQ, en collaboration avec Jean Frédéric Laprade, développeur en informatique quantique à l’AlgoLab Quantique de l’IQ

On entend de plus en plus parler de l’informatique quantique et de son potentiel à surpasser la capacité de calcul de l’informatique classique. Cependant, il reste encore plusieurs étapes à franchir pour obtenir un avantage quantique dans la résolution d’un problème utile. Un des principaux enjeux est la présence de bruit. Dans cette réflexion quantique, nous explorons cet aspect crucial des ordinateurs quantiques actuels ainsi qu’une approche pour en atténuer l’impact sur le résultat des calculs.

Définition du bruit sur un ordinateur quantique

Le qubit est l’unité de base d’un ordinateur quantique qui permet de traiter l’information quantique. Bien que de nombreux mécanismes soient mis en place pour isoler les qubits de l’environnement extérieur – notamment la présence d’un cryostat – différentes interactions indésirables affectent les qubits pendant l’exécution d’un algorithme et altèrent l’état quantique. Ces interactions indésirables constituent le « bruit » caractérisant l’ordinateur quantique actuel. Certaines sources de bruit sont systématiques et sont dues, par exemple, à des erreurs de calibration des portes quantiques ou encore à la mesure des qubits (voir Atténuation des erreurs sur la mesure des qubits).

Dans d’autre cas, le bruit provient de phénomènes aléatoires qui provoquent une perte d’information, un phénomène appelé décohérence (Figure 1). Rappelons que l’état d’un qubit est décrit par une superposition des états de base (plus basse énergie) et (plus haute énergie). Lorsque la perte d’information implique un échange d’énergie avec l’environnement – typiquement une transition de l’état  vers l’état  – on parle de relaxation du qubit. La perte d’information peut aussi survenir sans qu’un échange d’énergie soit impliqué, on parle alors de déphasage.

Figure 1. (a) L’état d’un qubit peut être représenté par un point à la surface d’une sphère de rayon 1 (cette représentation s’appelle sphère de Bloch). Le pôle Nord correspond à l’état  | 0 〉 et le pôle Sud à l’état  | 1 〉. Pour tous les autres points à la surface de la sphère, le qubit est en superposition. On peut faire un parallèle avec les coordonnées de longitude et latitude pour décrire la position à la surface de la Terre. Les degrés de longitude correspondent alors à la phase d’un qubit. (b) La relaxation d’un qubit est une perte d’information avec échange d’énergie, généralement une tendance à perdre la composante  | 1 〉au profit de la composante  | 0 〉. (c) Le déphasage d’un qubit est une perte d’information lié à la phase, c’est-à-dire la position longitudinale de l’état du qubit.

 

On peut donc quantifier la qualité d’un ordinateur quantique par un temps de cohérence, c’est-à-dire un temps qui caractérise la durée pendant laquelle l’information est conservée. Pour les qubits supraconducteurs tels que ceux utilisés par IBM, les temps de cohérence associés aux phénomènes de relaxation et de déphasage sont de l’ordre de 100 microsecondes. Il s’agit ici de la durée de vie moyenne d’un état quantique. En comparaison, la durée d’une porte à deux qubits est de l’ordre de 0,5 microsecondes.

Augmenter le bruit pour mieux le diminuer!

Étant donné les temps de cohérence des qubits, plus le nombre de portes appliquées dans un circuit quantique est grand, plus le résultat sera bruité. Une technique pour palier à ceci consiste à contrôler le niveau de bruit dans la préparation d’un état. En répétant le même calcul pour plusieurs niveaux de bruit (malheureusement on ne peut qu’augmenter le bruit et non le diminuer!), on tentera d’en extraire un modèle qui peut être utilisé afin de déduire la mesure que l’on aurait obtenu en l’absence de bruit.

Figure 2. Exemple d’atténuation d’erreur par extrapolation à bruit nul. Un circuit quantique est simulé pour différents niveaux de bruit. On constate que la valeur moyenne mesurée s’éloigne de la valeur exacte au fur et à mesure que le niveau de bruit est augmenté. En trouvant une fonction (ici une droite, en orange) qui caractérise bien les points expérimentaux qui sont bruités (en bleu), nous sommes en mesure d’extrapoler quel devrait être la valeur réelle de la quantité mesurée en absence de bruit (en vert).

 

Cette technique d’atténuation d’erreur se nomme l’extrapolation à bruit nul (Zero-Noise Extrapolation, ou ZNE). Différentes approches existent pour augmenter de façon contrôlée le niveau de bruit présent dans la préparation d’un état quantique et nous vous présentons à présent une des deux techniques explorées dans le cadre de ce projet.

Comment augmenter la durée d’un circuit?

Cette technique repose sur le fait que toutes les portes quantiques peuvent être inversées. Prenons par exemple la porte X qui transforme l’état 0 en 1 et l’état 1 en 0. Cette porte est son propre inverse, c’est-à-dire qu’en appliquant la porte X deux fois, on ne modifie pas l’état d’un qubit. Si on considère plutôt la porte RZ qui effectue une rotation d’un angle q autour de l’axe Z, on obtient l’opération inverse en appliquant une seconde porte RZ mais cette fois avec un angle -q. Ainsi, en ajoutant une porte quantique suivie de son inverse, on augmente la durée du circuit sans pour autant modifier l’opération résultante appliquée aux qubits (Figure 3). Pour des qubits bruités, l’histoire est différente et on peut appliquer l’approche ZNE pour extrapoler la valeur à bruit nul.

Figure 3. Augmentation du bruit dans la préparation d’un état quantique en appliquant une porte quantique et son inverse un nombre de fois. Exemple avec (a) la porte et (b) la porte RZ.

 

L‘utilisation de techniques d’atténuation d’erreur est un passage obligé pour produire des résultats précis dans la majorité des applications actuelles du calcul quantique. À plus long terme, avec des ordinateurs quantiques qui devraient compter un nombre beaucoup plus grand de qubits, il deviendra possible d’utiliser des codes de détection et de correction d’erreurs, comme c’est présentement d’usage pour les échanges d’information dans des réseaux de communication comme l’Internet!

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