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Article sur les biais cognitifs

Au secours, je suis biaisé!

Petit exercice avant de débuter votre lecture. Imaginez-vous marcher tranquillement dans la forêt. Vous admirez les arbres et les feuilles.  Vous sentez les rayons du soleil s’abattre sur votre visage. Soudain, vous apercevez du coin de l’œil quelque chose de long, mince et noir à vos pieds. Vous sortez de vos pensées et levez vite le pied. C’est une couleuvre! Eh bien non, ce n’était qu’une branche de bois. Votre cerveau a analysé rapidement les informations et le résultat s’est avéré erroné. Ce raccourci qu’a pris involontairement votre cerveau et qui vous a mené à lever le pied est un biais cognitif.  Cette réaction automatique et incontrôlable a été bien utile pour nous prémunir des diverses menaces dans le passé. Aujourd’hui, notre monde est plus sécuritaire, mais ces raccourcis sont encore présents. Ils peuvent causer des erreurs de jugement qui sont, parfois, bien préjudiciables. Dans cet article, je vous propose d'explorer ce que sont les biais cognitifs pour mieux comprendre comment ils peuvent exercer une influence au travail. Bonne lecture!

Les heuristiques et les biais cognitifs

Les heuristiques et les biais cognitifs ont été développés par deux psychologues américains, Amos Tversky et Daniel Kahneman1. Les heuristiques, en soi, ne sont pas nécessairement négatives. En effet, elles facilitent et accélèrent le raisonnement, notamment lorsque nos ressources (p. ex., temps, informations) sont limitées ou que les exigences cognitives sont trop élevées2. Toutefois, les heuristiques peuvent conduire à des décisions ou des jugements simplifiés, inexacts et biaisés. C’est ce qu’on appelle les biais cognitifs3.  Et tous, même des experts, sont susceptibles de prendre des décisions biaisées4.

Définition de heuristique
Une heuristique est une stratégie qui ignore une partie de l'information, dans le but de prendre des décisions plus rapidement, plus précisément ou avec moins d’effort que des méthodes plus complexes5. Pour Kahneman3, c’est une procédure simple qui permet de trouver des réponses adéquates, bien que souvent imparfaites, à des questions difficiles ou lorsque les exigences cognitives sont élevées.

Définition de biais
Le biais est une erreur systématique de raisonnement découlant d’heuristiques3. Les biais et les heuristiques sont donc distincts. Un raisonnement biaisé peut être orienté dans une direction contraire à ce que les preuves suggèrent ou, au contraire, dans la même direction, mais dans un extrême6. Peu importe le côté de l’asymétrie, les conclusions sont compromises.

Pour un plus grand détail des concepts, rendez-vous sur le site Raccourcis.

Effets délétères des biais cognitifs au sein des organisations

Les biais sont présents dans une panoplie de situations. Au travail, les biais sont tout aussi présents que ce soit dans le domaine médical,7,8,9 légal10,11 ou des ressources humaines12,13 et ce n’est pas sans conséquence ! En effet, les biais peuvent conduire à une discrimination dans un processus de recrutement, de sélection, de promotion et de récompense ainsi que des processus impliquant un jugement ou une prise de décision.

Un exemple bien concret est expliqué par Kristen Pressner, dirigeante des ressources humaines chez Roche Diagnostics. Cette dernière a réalisé le traitement distinct qu’elle accordait à des requêtes de révision salariale selon si celle-ci provenait d’un homme ou d’une femme. Sa conférence est une belle porte d’entrée pour comprendre comment reconnaître nos propres biais et comment limiter leurs effets.

Les biais peuvent s’appliquer dans le contexte de recrutement. Une étude a montré que les femmes portant un hijab étaient plus rapidement rejetées, mais aussi, elles étaient plus lentement acceptées que les femmes ne portant pas de hijab12. Les biais peuvent également influencer la validité d’un diagnostic organisationnel14. Le professionnel doit donc être vigilant et porter attention à ses biais puisqu’un diagnostic erroné pourrait mener à des interventions inefficaces et possiblement préjudiciables.

Dans un autre ordre d’idée, les biais peuvent nuire à la créativité, notamment lors de recherche de solution. Une étude a démontré que certains biais exercent des effets négatifs sur l'originalité, la qualité et l'élégance des solutions apportées pour résoudre une situations15.

L’infographie ci-dessous liste une série de biais pouvant se présenter au travail.

Des biais cognitifs pour chaque situation au travail

Afin de débuter votre familiarisation avec les biais, nous vous proposons d’identifier ceux présents dans cinq situations liées au travail. Vous pouvez vous référer au tableau afin de vous soutenir dans votre réflexion. Par ailleurs, ces réponses sont issues de la recherche non exhaustive de l’auteure. Ainsi, il est possible que d’autres biais soient présents.

Diagnostic organisationnel : Biais de justification du choix, biais de confirmation, biais d’autonomisation, biais pro-endogroupe, biais d’impact.

Recrutement : stéréotypes, biais d’homogénéité de l’exogroupe ou pro-endogroupe, biais de confirmation, effet de halo, erreur d’attribution fondamentale.

Processus créatif : Biais de fixation, biais de confirmation, erreur d’attribution fondamentale.

Travail d’équipe : Groupthink; biais de confirmation, biais pro-endogroupe.

Promotion : biais de similarité, erreur d’attribution fondamentale, stéréotypes.

Nous vous encourageons à refaire l’exercice avec d’autres situations spécifiques à votre profession, emploi ou organisation. Vous pourriez même échanger avec vos collègues sur le sujet !

Comment se sortir, en partie, du contrôle de nos biais implicites?

Maintenant, vous vous questionnez possiblement sur les avenues pour surmonter vos biais. Certes, la connaissance des différents biais et la connaissance de soi sont essentielles. Toutefois, comme les biais sont implicites et automatiques, les surmonter demande du temps, des efforts et de la motivation. Outre la conférence de Kristen Pressner qui propose la stratégie du Flip it and test it, voici une vidéo de l’École polytechnique fédérale de Lausanne qui présente cinq autres stratégies concrètes pour briser les associations stéréotypées :

  1. Le remplacement du stéréotype,
  2. L’imagerie contre-stéréotypée (semblable au Flip it and test it)
  3. L’individuation,
  4. La prise de perspective,
  5. Le contact avec des membres de l’exogroupe.

Au niveau de votre organisation, vous pouvez notamment :

  • Offrir des formations pour sensibiliser vos employés aux biais cognitifs et à l’importance d’agir;
  • Revoir votre processus de dotation en vous basant sur ce feuillet offrant des réflexions sur les biais et les processus de recrutement, d’évaluation et de sélection;
  • Faire évaluer vos processus décisionnels, vos politiques, vos projets, etc. par une firme externe pour repérer vos angles morts et minimiser les effets des biais;
  • Favoriser une culture de diversité, d’équité et d’inclusion.

Conclusion

Restez humble! Nous tombons tous victime de nos biais! La prochaine fois que vous serez confronté à une décision d'équipe, prenez un moment pour réfléchir aux biais cognitifs qui vont affecter votre jugement et agissez en conséquence.

Toujours sceptiques? Faites le test!

Je vous propose de faire les Tests des associations implicites, une version soutenue par la science de notre exercice en début d’article. Ces tests ont été développés en 1998 dans le cadre du projet Implicit par Dr Tony Greenwald (Université de Washington), Dr Mahzarin Banaji (Université de Harvard) et le Dr Brian Nosek (Université de Virginie).

En 2011, une version sur les biais liés au domaine de la santé a été lancée : le projet Implicit Health. Ce dernier est dirigé par Dre Bethany Teachman (Université de Virginie) et Dr Matt Nock (Université de Harvard). Si vous maitrisez bien l’anglais, et que le cœur vous en dit, vous pouvez également réaliser leurs tests.

Ressources

Références

  1. Tversky, A., et Kahneman, D. (1974). Judgment under uncertainty: heuristics and biases. Science (New York, N.y.), 185(4157), 1124–31.
  2. Gratton, C, et Gagnon-St-Pierre, E. (2020). Heuristiques et biais cognitifs. Raccourcis : Guide pratique des biais cognitifs Vol.2. En ligne : www.shortcogs.com
  3. Kahneman, D., Clarinard, R., et Kahneman, D. (2012). Système 1, système 2 : les deux vitesses de la pensée. (R. Clarinard, Trans.). Flammarion.
  4. Dror, I.E., 2011. The paradox of human expertise: why experts get it wrong. In: Kapur, N., Pascual-Leone, A., Ramachandran, V.S. (Eds.), The Paradoxical Brain. Cambridge University Press, Cambridge, UK, pp. 177–188. https://doi.org/10.1017/ CBO9780511978098.011.
  5. Gigerenzer, G., et Gaissmaier, W. (2011). Heuristic decision making. Annual Review of Psychology, 62, 451–82. https://doi.org/10.1146/annurev-psych-120709-145346
  6. Dror, I.E., 2009. On proper research and understanding of the interplay between bias and decision outcomes. Forensic Sci. Int. 191, 17–18. https://doi.org/10.1016/j. forsciint.2009.03.012.
  7. Cox, L. A. Jr., et Popken, D. A. (2008). Overcoming confirmation bias in causal attribution: A case study of antibiotic resistance risks. Risk Analysis, 28(5), 1155–1171. https://doi.org/10.1111/j.1539-6924.2008.01122.x
  8. Redelmeier, D., Ruff, C., Tobler, P., et Saposnik, G. (2016). Cognitive biases associated with medical decisions: a systematic review. Bmc Medical Informatics and Decision Making, 16(1), 1–14. https://doi.org/10.1186/s12911-016-0377-1
  9. Marie-Josée, D. (2022). Repérer et combattre le capacitisme, le sanisme et le suicidisme en santé, 5(4). https://doi.org/10.7202/1094701ar
  10. Wilson, T. D., et Gilbert, D. T. (2003). Affective forecasting. Advances in Experimental Social Psychology, 35, 346–411.
  11. Maclean, C. L., Smith, L., et Dror, I. E. (2020). Experts on trial: unearthing bias in scientific evidence. University of British Columbia Law Review, 53(1), 101–139.
  12. Unkelbach, C., Schneider, H., Gode, K., et Senft, M. (2010). A turban effect, too: selection biases against women wearing muslim headscarves. Social Psychological and Personality Science, 1(4), 378–383. https://doi.org/10.1177/1948550610378381
  13. Kierein, N. M., et Gold, M. A. (2000). Pygmalion in work organizations: a meta-analysis. Journal of Organizational Behavior, 21(8), 913–928.
  14. Armenakis, A. A., Mossholder, K. W., et Harris, S. G. (1990). Diagnostic bias in organizational consultation. Omega, 18(6), 563–572. https://doi.org/10.1016/0305-0483(90)90048-E
  15. Todd, E. M., Higgs, C. A., et Mumford, M. D. (2019). Bias and bias remediation in creative problem-solving: managing biases through forecasting. Creativity Research Journal, 31(1), 1–14. https://doi.org/10.1080/10400419.2018.1532268