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Dossier sur l’anxiété de performance au travail

Démêler le stress et l’anxiété

À travers différents articles rédigés par Lauriane Maheu, candidate au doctorat en psychologie du travail et des organisations (Ph.D.-RI), le Centre universitaire de formation continue (CUFC) vous propose de découvrir ce qu’est l’anxiété de performance au travail. Motivée par le souci du bien-être de la personne dans son milieu de travail, Lauriane a entamé dans le cadre de son doctorat un projet de recherche sur l’anxiété de performance au travail, un sujet peu étudié, mais bien présent dans nos organisations.

Le premier article dressait le portrait d’une équipe de recherche et de son étude visant le développement d’un questionnaire évaluant l’anxiété de performance au travail.

Ce deuxième porte sur la distinction entre le stress, l’anxiété et l’anxiété de performance. Il saura vous aider à démystifier ces concepts parfois mélangeants.

Le troisième article vous décrit l’anxiété de performance au travail afin de vous aider à reconnaitre les signes chez vous, chez votre collègue ou chez votre employé. Pour terminer, un quatrième article vous présente des témoignages de personnes touchées de près ou de loin par l’anxiété de performance au travailEn bonus, vous pouvez également télécharger le livret illustré qui résume les 4 articles.

Dans un monde du travail où la productivité devient l’objectif ultime des organisations, il n'est pas rare que certaines personnes soient confrontées au stress et à l’anxiété. Selon un sondage conduit au Royaume-Uni, ce serait 87 % des employés qui feraient l’expérience d’anxiété de performance au travail (RADA Business, 2020). Mais qu’est-ce que l’anxiété de performance? En quoi est-ce différent de l’anxiété et du stress? Ce sont les questions auxquelles nous allons répondre dans cet article.

Nous allons d’abord définir le stress et l’anxiété afin d’en faciliter leur distinction. Puis, nous aborderons plus précisément l’anxiété de performance et brièvement, l’anxiété de performance au travail. Notez toutefois que l’anxiété de performance n’est pas un diagnostic psychiatrique et que les connaissances sont encore très limitées sur le sujet, particulièrement sur l’anxiété de performance au travail.

1.  Le stress

Le stress n’est pas complètement malsain, il a favorisé notre survie depuis des millions d’années. Pour reprendre l’exemple évocateur de la Dre Sonia Lupien, devant le mammouth laineux, nos ancêtres devaient réagir soit combattre, soit fuir. Il est donc très pertinent !

Lorsque nous nous retrouvons devant une situation menaçante, le cerveau déclenche une série d’actions permettant la sécrétion d’hormones de stress. Sans nécessairement détailler les aspects physiologiques, ce sont ces hormones qui permettent au corps de se placer en mode fuite ou combat (Lupien et al., 2015). Par exemple, vous êtes installé confortablement dans votre divan et soudainement, notre conjoint.e crie : « Au feu ! » Rapidement, votre cerveau déclenche une réaction de stress. Votre rythme cardiaque et votre respiration s’accélèrent, vous devenez plus vigilant, vos pupilles se dilatent et votre système digestif ralentit (Bear et al., 2016). Vous êtes prêt à fuir le feu (ou à le combattre, le cas échéant). Le stress est donc une réponse physiologique.

Le cerveau produit des hormones de stress à chaque situation menaçante, qu’elle le soit réellement (stress absolu) ou interprétée comme menaçante (stress relatif). Lorsque le stress est aigu, c’est-à-dire qu’il est ici et maintenant (p. ex, une présentation, un feu, un mammouth), le système fonctionne bien et ne cause pas de problème. Toutefois, lorsque nous tombons dans le stress chronique, notre cerveau produit de manière répétée des hormones de stress. Cette sécrétion constante d’hormones de stress vient affecter notre capacité à distinguer les situations menaçantes des non menaçantes. À la longue, tout devient menaçant! Et même, des situations menaçantes peuvent être imaginées. Nous sommes alors dans l’anxiété (Lupien et al., 2015).

Vous souhaitez en apprendre davantage sur votre stress?

Le Centre d’étude sur le stress humain vous propose un questionnaire pour vous aider à comprendre votre stress : https://www.stresshumain.ca/le-stress/questionnaire-cine-2020/.

2.  L’anxiété

Selon l’American Psychological Association (s.d.a), l’anxiété se définit comme une émotion caractérisée par une appréhension des inquiétudes et un sentiment de tension causé par l’anticipation d’un danger, d’une catastrophe ou d’un malheur imminent. Ainsi, l’anxiété est le ressenti lorsque vous anticipez ou percevez une menace, qu’elle soit absolue ou relative. La plupart du temps, ce sera devant une menace potentielle et possiblement imaginée! Là où il n’y a pas de situation menaçante, le cerveau peut y voir une menace. Le cerveau des personnes anxieuses est en mode « d’hyper détection » et imagine des menaces partout.

Le cerveau va réagir de la même manière devant une vraie menace que devant une menace imaginée : il va sécréter des hormones du stress. C’est pourquoi les symptômes de l’anxiété sont semblables à ceux du stress (p. ex., insomnie, difficultés de concentration, fatigue, tension musculaire et irritabilité).

L’anxiété est une émotion normale en situation de stress. Par exemple, avant une présentation importante devant un client ou avant une entrevue d’embauche, il est normal de se sentir anxieux. Elle peut être notre alliée en nous motivant à nous préparer à un événement futur en nous incitant à anticiper des difficultés, et à planifier pour y faire face.

Anxiété n’égale pas trouble anxieux
Vivre de l’anxiété ne signifie pas que vous avez un trouble anxieux. Ce dernier est présent lorsque l’anxiété vient affecter le fonctionnement d’une personne dans plusieurs sphères de sa vie (American Psychiatric Association, 2015). L’anxiété devient tellement prenante et envahissante que la personne n’arrive plus à fonctionner. Elle est paralysée. Elle manque de concentration. Elle évite les situations jugées menaçantes. Lorsque c’est le cas, il serait judicieux de penser à aller chercher de l’aide.

2.1  Anxiété trait et Anxiété état

Peut-être avez-vous déjà remarqué chez vous, chez un collègue ou chez un employé une plus grande tendance à s’inquiéter. Vous vous dites : « Ça fait partie de moi ». « Je vois toujours ça pire que ce que c’est ». Ou vous remarquez que vous cherchez à tout contrôler et que vous vous inquiétez de tout et de rien. Il est question ici d’une personnalité anxieuse ou de « l’anxiété trait » (Spieldberg, 1985). Ce trait de personnalité peut amener les personnes à interpréter les situations comme étant stressantes ou menaçantes. En fait, c’est comme si leur radar est plus sensible à détecter des menaces, qu’elles soient réelles, présentes, imaginaires ou absentes. La réaction de stress s’enclenche alors plus facilement et plus rapidement. D’un autre côté, il est possible de vivre de l’anxiété de manière transitoire. Il est alors question d’« état anxieux » ou anxiété état (Spieldberg, 1985). Cet état disparait généralement lorsque la situation stressante cesse ou disparait (lorsque la présentation ou l’entrevue est terminée).

Petit récapitulatif du stress et de l’anxiété – vrai ou faux

1. Le stress est essentiel à la survie, donc l’anxiété est nécessairement nuisible.

Faux – Les deux sont essentiels. Certes, le concept de « survie » n’a plus toujours la même signification que pour nos ancêtres, mais le stress reste primordial afin que nous puissions réagir aux menaces réelles s’élevant devant nous. L’anxiété est également adaptative. Cette émotion peut être notre alliée dans plusieurs situations, mais peut aussi devenir pathologique et nuire au fonctionnement.

2. Le stress et l’anxiété sont générés par des structures semblables du cerveau.

Vrai

3. L’anxiété est une émotion alors que le stress est une réponse physiologique de l’organisme.

Vrai

4. Le stress et l’anxiété découlent d’une menace immédiate.

Faux - Le stress survient lorsque le cerveau détecte une menace ici et maintenant alors que l’anxiété découle de menaces potentielles/imaginées ou des craintes et inquiétudes reliées à cette menace.

5. Le sentiment d’anxiété finit par se dissiper.

Vrai

Maintenant que vous comprenez ces concepts, vous vous questionnez probablement sur l’anxiété de performance et plus spécifiquement, dans le contexte du travail. Les prochaines lignes sauront vous éclairer.

3.  Anxiété de performance

Les menaces qui déclenchent l’anxiété sont variées allant de la proximité d’un autre individu à un souvenir désagréable en pensant par la possibilité de préjudice physique. Dans le cas de l’anxiété de performance, ce sont les situations où il y a des risques d’échec ou d’humiliation et où l’individu se sent évalué (APA, s.d.b; Giti, 2013; Jones, 2013; Kenny, 2009; von der Embse et al., 2018). L’individu a un grand désir de s’accomplir, de se réaliser et de réussir. La performance peut donc être liée à notre valeur, notre estime de soi, ce qui vient influencer notre perception d’une situation de performance : elle devient menaçante!

L’anxiété de performance se définit comme l’expérience d’appréhensions et de craintes importantes délimitées à l’exécution d’une activité précise (p. ex., présentation, compétition sportive, test, concert) (APA, s.d.b; Powell, 2004).

Certains auteurs suggèrent de distinguer l’anxiété de performance facilitante et de la débilitante (Alpert et Haber, 1960; Mor et al., 1995). La première favoriserait la performance et la deuxième l’entraverait.

Prenons un exemple d’un étudiant au baccalauréat en psychologie pour illustrer l’anxiété de performance et son influence sur la performance. Cet étudiant pourrait avoir des pensées harcelantes comme : « Si je n’ai pas 90% à cet examen, je n’aurai pas une bonne cote z pour ce cours. Ma cote globale ne sera donc pas suffisante pour appliquer au doctorat en psychologie l’année prochaine. Si je ne rentre pas au doctorat, j’aurai fait toutes ses années d’étude pour rien et je vais devoir recommencer un baccalauréat et ça, c’est si je peux me le payer…» Comment vous êtes-vous senti en lisant ces pensées? Il n’est pas surprenant que ces pensées catastrophiques, reliées à cette menace imaginée, génèrent une réaction de stress ! Et que la performance de cet étudiant s’en retrouve ultimement diminuée. Il en suit alors un cercle vicieux : l’étudiant n’obtient pas la note espérée; cela vient « confirmé » les pensées catastrophiques; lors du prochain examen, l’étudiant sera à nouveau anxieux, les pensées ressurgiront et viendront, encore une fois, impacter négativement la performance. Il est donc dans une situation d’anxiété de performance débilitante. Il est également possible que la performance de l’étudiant ait été positivement influencée puisque les pensées l’ont amené à se préparer davantage et donc à étudier abondamment.  Bien qu’il ait eu les mêmes pensées, cet étudiant était dans une situation d’anxiété de performance facilitante. Toutefois, dans les deux cas, l’étudiant peut être dans une position inconfortable et désagréable.

3.1. Anxiété de performance au travail

Dans le contexte du travail, l’anxiété de performance se définit comme l’expérience d’appréhensions et de craintes importantes liée à la performance au travail et des conséquences en découlant. Elle est caractérisée par une combinaison de manifestations somatiques, cognitives, comportementales et affectives (ces manifestations seront détaillées dans le prochain article). Il existe deux types d’anxiété de performance au travail, celle qui altère la capacité d’une personne à performer au niveau attendu au travail (débilitante) et celle qui favorise la capacité d’une personne à performer au travail (facilitante) (Maheu et al., soumis pour évaluation). L’anxiété de performance au travail est donc, tout simplement, de l’anxiété de performance spécifique au contexte du travail et de l’emploi. Les manifestations sont similaires, tout comme certaines causes, conséquences et stratégies d’adaptation. Toutefois, il y a tout de même certaines particularités (p. ex., le Workaholisme). Paiement et ses collaborateurs (2021) ont ressorti ces spécificités dans leur étude exploratoire, bien que le phénomène soit encore peu étudié et peu compris.

Restez à l’affût du prochain article pour en apprendre davantage sur l’anxiété de performance au travail et aiguiser vos détecteurs de symptômes !

Appel à témoignages
Vous aimeriez partager votre expérience avec l’anxiété de performance au travail? C’est possible! Nous souhaitons recueillir des témoignages de personnes vivant de l’anxiété de performance au travail et de gestionnaires observant ce phénomène chez des membres de leur équipe afin de discuter de leur vécu. Si cela vous intéresse, vous pouvez communiquer avec Lauriane Maheu à lauriane.maheu@usherbrooke.ca.

Quelques ressources

Aide immédiate

Info-Social, composer le 811, option 2.

Jeunesse, j'écoute ou au 1-800-668-6868 (sans frais) ou textez le mot PARLER au 686868.

suicide.ca ou au 1-866-277-3553.

Parlons suicide Canada ou au 1-833-456-4566.

Aide à plus long terme

Ordre des psychologues du Québec.

Relief.

Retrouver son entrain.

Outils, guides et autres ressources

Réseau Global-Watch, bien-être au travail et performance durable.

Anxiety Canada.

Espace mieux-être Canada.

Association canadienne pour la santé mentale.

-  Application ISmart.

 

 


Références

Alpert, R. et Haber, R. N. (1960). Anxiety in academic achievement situations. The Journal of Abnormal and Social Psychology, 61(2), 207-215. https://doi.org/10.1037/h0045464

American Psychiatric Association. (2015). DSM-5: manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (traduit par J.-D. Guelfi et M.-A. Crocq; 5e éd.). Elsevier Masson.

American Psychological association. (s.d.a). APA Dictionary of Psychology - Anxiety. https://dictionary.apa.org/anxiety

American Psychological Association. (s.d.b). APA Dictionary of Psychology - Performance Anxiety. https://dictionary.apa.org/performance-anxiety

Bear, M. F., Connors, B. W., et Paradiso, M. A. (2016). Neurosciences : à la découverte du cerveau (4e éd.). Éditions Pradel.

Giti, S. M. (2013). Beyond social phobia : A review of the background, manifestations and varied therapeutic approaches for performance anxiety [Thèse de doctorat, Alliant International University]. ProQuest.

Jones, E. S. (2013). Performance anxiety in sport: Revisiting the process goal paradox and measurement development [Thèse de doctorat, University of South Wales]. ProQuest. http://search.proquest.com/docview/2314597123/abstract/5F136C9544184D51PQ/1

Kenny, D. T. (2009). The factor structure of the revised Kenny Music Performance Anxiety Inventory. Research presented at the International Symposium on Performance Science, Auckland, New Zealand

Lupien, S. (2020). Par amour du stress (Nouvelle édition revue et augmentée). Éditions Va Savoir.

Lupien, S. J., Ouellet‐Morin, I., Hupbach, A., Tu, M. T., Buss, C., Walker, D., ... et Mcewen, B. S. (2015). Beyond the stress concept: Allostatic load - A developmental biological and cognitive perspective. Developmental psychopathology, 2, 578-628.

Maheu, L., Longpré, P., et Richard, S. (soumis). Création et validation de l’échelle d’anxiété de performance au travail : Vers une conceptualisation de l’anxiété de performance au travail. Humain et organisation. [Manuscrit soumis pour évaluation par les pairs]

Mor, S., Day, H. I., Flett, G. L. et Hewitt, P. L. (1995). Perfectionism, control, and components of performance anxiety in professional artists. Cognitive Therapy and Research, 19(2), 207-225. https://doi.org/10.1007/BF02229695

Paiement, A.-M., Desroches, O. -A., Maheu, L., Leduc, F.-É., et Longpré, P. (2021). L’anxiété de performance au travail : une étude exploratoire. Revue québécoise de psychologie, 42 (3), 139-172. https://doi.org/10.7202/1084583ar

Powell, D. M., Stanley, D. J. et Brown, K. N. (2018). Meta-analysis of the relation between interview anxiety and interview performance. Canadian Journal of Behavioural Science/Revue Canadienne Des Sciences Du Comportement, 50 (4), 195–207. https://doi.org/10.1037/cbs0000108

RADA Business (2020). Beating workplace performance anxiety. Royal Academy of Dramatic Arts. https://www.radabusiness.com/about-us/research/

Spielberger, C. D. (1985). Anxiety, cognition and affect: A state-trait perspective. Dans A. H. Tuma et J. D. Maser (dir.), Anxiety and the anxiety disorders (1ère éd., p. 171–182). Routledge.

von der Embse, N., Jester, D., Roy, D. et Post, J. (2018). Test anxiety effects, predictors, and correlates: A 30-year meta-analytic review. Journal of Affective Disorders, 227(Feb 2018), 483-493. https://doi.org/10.1016/j.jad.2017.11.048