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Intervention auprès des délinquants en centre jeunesse

Les intervenants de sexe masculin perçoivent l’intervention auprès des filles comme étant plus difficile

Nadine Lanctôt
Nadine Lanctôt

Des études réalisées un peu partout à travers le monde ont conclu que les intervenantes et intervenants en centre jeunesse perçoivent généralement le fait de travailler avec des filles délinquantes plus difficile qu’avec les garçons. Une étude menée par des chercheuses du Département de psychoéducation de l’Université de Sherbrooke a toutefois établi que cette perception est surtout répandue chez les intervenants masculins.

Depuis quelques années, le nombre de jeunes femmes délinquantes à se retrouver prises en charge par la justice a augmenté. «C’est surtout le traitement de la délinquance par la société et le système de justice qui sont à l’origine de cette augmentation», explique Nadine Lanctôt, auteure principale de l’étude et professeure au Département de psychoéducation.

En effet, ce sont surtout les lois de tolérance zéro mises en vigueur et le fait que certains délits sont maintenant rapportés à la justice plutôt qu’au directeur de la protection de la jeunesse qui ont causé une hausse des cas qui se retrouvent pris en charge par la justice. «Avec la tolérance zéro, une bataille dans la cour d’école peut entraîner des sanctions judiciaires», explique l’auteure.

Une perception négative

La réticence à travailler avec les filles est surtout un problème de perception, selon la professeure Lanctôt. L’équipe de chercheuses a décomposé les intervenantes et intervenants en centre jeunesse en différents groupes selon la formation, l’âge, le sexe, l’expérience, etc., afin de déterminer les facteurs qui entrent en cause dans cette perception négative de l’intervention auprès des femmes.

Pour ce qui est des intervenantes, l’étude a établi qu’elles n’ont généralement pas vraiment de préférence à intervenir auprès des garçons ou des filles. Dans le cas des intervenants par contre, ils ont une nette préférence à travailler avec les jeunes du même sexe qu’eux. «Ils vont considérer négativement le fait d’aller travailler avec les filles», souligne Nadine Lanctôt.

Un type d’intervenant en particulier a tendance à ne pas vouloir travailler avec les jeunes femmes délinquantes ou à trouver cela particulièrement difficile. Il a généralement peu d’expérience de travail avec les filles ou a travaillé uniquement avec des garçons. La tendance se manifeste également surtout chez les éducateurs qui n’ont pas de diplôme universitaire, selon l’étude.

Cette réticence à intervenir auprès des jeunes femmes délinquantes s’explique par différentes raisons. De façon générale, les filles sont perçues comme étant plus compliquées et exigeantes. Certains intervenants estiment qu’elles sont imprévisibles, manipulatrices, trop émotionnelles, voire hystériques. Ils trouvent plus difficile de développer une alliance de travail avec elles et de créer un lien de confiance. De plus, certaines jeunes femmes ont déjà été impliquées dans la prostitution et environ la moitié des délinquantes ont été victimes d’abus sexuels, ce qui peut causer certaines craintes chez les intervenants. Ceux-ci ont peur que leurs gestes soient mal interprétés, par exemple.

«Pour ces jeunes femmes, la façon d’entrer en relation avec les autres passe souvent par la séduction, car c’est ce qu’elles connaissent, indique la chercheuse. Les intervenants ont beaucoup d’appréhensions face à cela, ils craignent de se faire accuser de délits qu’ils n’auraient pas commis. Cela mettrait fin à leur carrière et porterait atteinte à leur réputation.» Les éducateurs sont donc parfois réticents à l’idée de devoir intervenir auprès de cette clientèle.

À chacun sa clientèle

Heureusement, dans le système actuel, les filles ne sont pas désavantagées par la situation. «L’étude a permis d’éliminer ces craintes, souligne Nadine Lanctôt. Ceux qui aiment travailler avec les filles travaillent avec elles, il y a un processus de sélection qui s’opère.»

Évidemment, il existe des perceptions positives au fait de travailler avec les filles. Certains intervenants et intervenantes apprécient le fait que les filles ont une plus grande capacité d’introspection que les garçons, qu’elles sont capables de se questionner sur leur situation. Les filles sont aussi plus aptes à exprimer leurs émotions. Les intervenantes estiment qu’elles sont bien placées pour comprendre les besoins des filles et certaines n’aiment pas travailler avec les jeunes du sexe opposé pour des raisons semblables aux intervenants. Elles craignent l’agressivité des garçons et leurs tentatives de séduction, par exemple.

Afin d’améliorer la situation, l’étude propose différents moyens à mettre en œuvre. «Je crois qu’il faut d’abord sensibiliser les futurs intervenants au cours de leur formation, affirme la professeure Lanctôt. Il faut amener les intervenants à essayer de comprendre les besoins différents qu’ont les filles et à créer des outils d’intervention par la suite.»

Les futurs intervenants doivent apprendre comment entrer en relation avec la clientèle féminine et à bien gérer les relations interpersonnelles avec celle-ci. Ils devraient également être amenés à nommer leurs appréhensions et à en discuter. Il faudrait aussi exposer davantage les éducateurs à la clientèle féminine et leur fournir un bon encadrement lorsque c’est le cas, car «plus les intervenants ont travaillé avec les filles, plus ils se sentent compétents pour intervenir auprès d’elles», affirme l’auteure.