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Comment l’austérité peut miner le «contrat psychologique» des travailleurs

La Pre Nathalie Cadieux estime que les employeurs ont intérêt à être proactifs pour garder leur personnel mobilisé, malgré des ressources financières limitées

Nathalie Cadieux est professeure au Département de management et gestion des ressources humaines

Nathalie Cadieux est professeure au Département de management et gestion des ressources humaines


Photo : UdeS

Mises à pied, restructuration, gel des salaires : en période d’austérité, le monde du travail traverse des turbulences qui peuvent avoir des effets sur la motivation des salariés. D’emblée, plusieurs associent la notion d’austérité à des questions comptables. Mais ses effets sont plus complexes et peuvent affecter l’état mental des individus, qui ressentent à travers certaines mesures une rupture du «contrat psychologique» les liant à leur employeur, explique la professeure Nathalie Cadieux de la Faculté d’administration. D’ailleurs, selon elle, les effets de l’austérité ne se règlent pas uniquement par la voie du porte-feuille. «À elles seules, les augmentations salariales ne sont pas suffisantes pour maintenir le contrat psychologique des employés.» Mais de quel contrat parle-t-on, au juste?

Un contrat invisible

En gestion des ressources humaines, la théorie du contrat psychologique aurait avantage à être davantage connue et utilisée, dit d’entrée de jeu Nathalie Cadieux. «Le contrat psychologique correspond aux attentes et obligations réciproques, mais implicites, qui lient une personne à son employeur. Par exemple, une personne qui souhaite travailler dans une multinationale pourra espérer un poste syndiqué, un certain niveau de salaire, des possibilités d’avancement ou même de mobilité à l’étranger.» Mais sous l’effet du ralentissement économique, ces conditions peuvent être modifiées et les attentes déçues. Or, observe la spécialiste, les travailleurs sont en général assez rigides face à ce qui apparaît comme une violation des termes du «contrat».

Répercussions et messages contradictoires

Cette rupture de contrat a beau être une simple perception, ses répercussions peuvent être importantes au plan humain. Certaines personnes traverseront difficilement l’expérience affective et émotionnelle qui résulte de la croyance que l’organisation a échoué dans le maintien du contrat psychologique. Cela peut provoquer une baisse de la satisfaction, de l’engagement, de la confiance et instiller l’intention de quitter son emploi. Ces sentiments peuvent également se muter en absentéisme, générer une baisse de rendement et induire un certain stress. «Les mesures liées à l’austérité peuvent envoyer des signaux contradictoires aux yeux d’un employé. Ce dernier a l’impression que l’employeur abandonne les obligations du contrat tacite, par exemple en renonçant à des augmentations salariales. Si en plus, devant les difficultés, les employeurs demandent à leur personnel de se retrousser les manches, et d’augmenter leur productivité pour demeurer compétitifs, le malaise est accentué », illustre Pre Cadieux.

Pistes de solutions

«Les employeurs sont très ouverts à mettre en place des solutions qui fonctionnent. Les enjeux sont importants pour eux», dit Nathalie Cadieux
«Les employeurs sont très ouverts à mettre en place des solutions qui fonctionnent. Les enjeux sont importants pour eux», dit Nathalie Cadieux

Photo : UdeS

Les difficultés de relations de travail font intervenir plusieurs facettes de la psyché humaine. Elles peuvent brouiller les notions de reconnaissance, de réalisation de soi ou faire naître un sentiment d’injustice. En période trouble, l’employeur doit proposer des avenues qui prennent en compte de tels facteurs, dans une approche de transparence et d’intégrité. «Un employeur devrait prêcher par l’exemple et s’assurer de veiller à assurer une certaine équité interne pour éviter que des individus ou des groupes paraissent privilégiés au détriment des autres. Il devrait s’abstenir d’accorder des hausses salariales à ses dirigeants s’il doit geler les salaires des employés. » Faute de moyens financiers, Nathalie Cadieux ajoute qu’un tel contexte devrait susciter une meilleure reconnaissance du travail des employés. C’est d’ailleurs l’occasion pour l’employeur de mettre en place des procédures pour évaluer le rendement du personnel. «On constate quelques réticences autant chez les employeurs que chez les employés quand vient le temps de mettre en place des évaluations, surtout en période difficile. Un travailleur pourrait vivre de l’insécurité ou sentir qu’on doute de sa compétence, surtout si les suivis sont trop fréquents. Pourtant, il y a plusieurs avantages à avoir un processus rigoureux et constructif d’évaluation, et plusieurs travailleurs aimeraient avoir davantage de feedback sur leur travail et être soutenus dans leur développement de carrière.» Quant au volet salarial, les employeurs qui ont peu de marge de manœuvre pourraient envisager des approches différentes, par exemple en versant un boni ponctuel plutôt que d’égrainer des augmentations minimes sur plusieurs années.

Des employeurs en quête d’outils

Nathalie Cadieux a eu l’occasion de traiter de ces questions lors d’une présentation qui a suscité l’intérêt de plusieurs gestionnaires d’entreprises et conseillers en ressources humaines. «Les employeurs sont très ouverts à mettre en place des solutions qui fonctionnent. Il faut réaliser que les enjeux sont importants pour eux, particulièrement dans certains secteurs ou il y a pénurie de main-d’œuvre spécialisée. S’ils ont moins de moyens financiers, ils doivent jouer d’autres cartes, en misant sur le milieu de vie qu’ils proposent, en mettant l’accent sur les défis liés aux postes à pourvoir ainsi que les possibilités d’avancement de leur personnel. Mais globalement, ils ont tout intérêt à se montrer créatifs et à impliquer leurs employés dans certaines décisions. C’est un premier pas pour mieux faire accepter certaines mesures difficiles.»