Une première en Estrie
Trois diplômées sourdes de l'UdeS dispensent des services professionnels aux personnes avec le même handicap
Depuis août 2011, Marjorie Gosselin, Karine St-Pierre et Sarah Raîche-Rousseau travaillent directement dans leur domaine d'études, respectivement en tant que conseillère en adaptation scolaire et sociale, conseillère d'orientation et conseillère en communications adaptées. En soi, cela n'a rien d'étonnant! Mais ce qui les distingue, c'est qu'elles sont les premières diplômées sourdes de l'Université de Sherbrooke à avoir complété leurs études universitaires en langue des signes québécoise (LSQ) grâce à des interprètes. Elles sont également les premières professionnelles sourdes à dispenser leurs services à des sourds.
Ces primeurs régionales ont été rendues publiques le 2 décembre dernier, alors que le Service d'interprétation pour personnes sourdes de l'Estrie (SIPSE) a inauguré ses Services d'intervenants professionnels sourds de l'Estrie (SIPSE), où travaillent les trois jeunes femmes. Le SIPSE-SIPSE est ainsi devenu la première organisation à regrouper sous le même toit des services d'intervention professionnelle gratuits offerts par des diplômées sourdes à des sourds ainsi que des services d'interprétation.
Ces réussites font foi de l'avant-gardisme de l'UdeS, et ont pu être possibles grâce à la patience et aux efforts constants de Philippe Labelle, coordonnateur au programme d'intégration pour les étudiants en situation d'handicap de l'institution. «Pour Marjorie, Karine et Sarah, la LSQ est leur langue première. Comme les interprètes de niveau universitaire ne sont pas légion, leurs parcours n'ont pas toujours été faciles, mais ils ont été grandement valorisants pour elles et pour nous!», a-t-il avoué.
Ambassadrice du développement de l'économie sociale
Joanne Deschênes (Lettres et sciences humaines 2003), directrice du SIPSE depuis 2004, concrétisait avec cette inauguration plusieurs mois et années de travail. Enfin, son projet élaboré en 2010 pour permettre de créer de l'emploi pour les personnes sourdes devenait réalité aux yeux des parents, des amis, des médias et du grand public. Sa mise en place a d'ailleurs contribué à la nomination de Mme Deschênes comme «ambassadrice du développement de l'économie sociale» par Sherbrooke Innopole pendant la campagne Entreprendre Sherbrooke.
Celle qui se dévoue pour la cause des personnes sourdes depuis maintenant 23 ans a partagé quelques statistiques, qui justifient à elles seules l'importance des services que son organisme offre depuis 1987 à des usagers sourds, malentendants, sourdaveugles et aux membres de leur famille, qui se chiffrent à une centaine en 2011. «Le taux de chômage des personnes sourdes québécoises est cinq fois plus élevé que celui observé dans la population en général. De plus, 75 % d'entre elles abandonnent l'école avant d'avoir obtenu un diplôme d'études secondaires, alors que le taux d'analphabétisme pour les 16-65 ans atteint 16 %. Également, 62 % des travailleurs sourds gagnent un salaire allant de 12 000 $ à 25 000 $ par année, une situation encore plus marquée dans les régions.»
Faire fi des préjugés et de l'incompréhension
En priorisant l'embauche d'intervenants sourds et diplômés universitaires, le SIPSE-SIPSE favorise l'empowerment et encourage les membres de la communauté sourde à poursuivre des études supérieures. Une ligne de pensée depuis longtemps mise de l'avant par Joanne Deschênes, qui a été l'une des interprètes des trois intervenantes durant leurs études, à partir du secondaire jusqu'à l'université. «Parce qu'elles étaient des femmes ayant un problème de surdité et vivant en région, je leur ai prôné l'importance d'aller à l'université pour avoir de la facilité à trouver de l'emploi. Aujourd'hui, j'éprouve beaucoup de fierté et d'amour pour elles car elles s'épanouissent maintenant pleinement comme femmes», a-t-elle expliqué, en remerciant et félicitant aussi les parents. «Ils font un travail incroyable pour donner à leurs enfants la confiance en leurs moyens. Nous, on ne fait que continuer!»
La fierté était palpable pour les parents et amis présents, notamment pour Sarah Raîche-Rousseau, dont les fonctions au sein du SIPSE-SIPSE comprennent deux volets : offrir des cours de LSQ pour devenir interprète ou pour communiquer plus facilement avec la communauté sourde; et dispenser des communications adaptées pour aider les personnes sourdes à s'intégrer et à être formées au travail. «Je suis vraiment fière, car j'ai réalisé un grand défi, a-t-elle confirmé. J'ai vieilli sans avoir de modèle de réussite alors j'ai dû me fixer des buts et pour ça, je dois beaucoup à ma mère, une source constante de soutien. Je croyais devoir m'exiler à Montréal ou à Québec pour travailler alors je suis heureuse de pouvoir évoluer dans ma ville. Je me sens privilégiée de représenter un modèle pour les autres».
Sa mère, Lucie Raîche, est heureuse de constater toute la progression de sa fille, qu'elle regarde s'épanouir aussi avec fierté : « Je lui ai toujours dit que vu son handicap, elle allait devoir travailler plus fort et en faire plus pour briser l'isolement, mais aussi qu'elle devait visualiser ses rêves. Elle a fait preuve de beaucoup de détermination, de force de caractère et d'organisation pour être là où elle est maintenant. Aujourd'hui, elle se réalise enfin!»
Des domaines prioritaires pour la communauté sourde
Autre particularité du SIPSE-SIPSE : les services offerts couvrent les trois domaines prioritaires pour la communauté sourde, soit le travail, l'éducation et la communication. Comme l'a expliqué Robert Pouliot, maire suppléant de Sherbrooke, il s'agit là d'une avancée spectaculaire qui place la ville dans une classe à part.
«Aujourd'hui, la Ville de Sherbrooke et la communauté des personnes sourdes ont beaucoup de raisons de se réjouir. Pour que celles-ci puissent croire en leurs rêves, elles ont besoin d'exemples convaincants de succès comme ces trois jeunes femmes, a-t-il mentionné. Elles n'auront plus besoin de s'exiler dans les grands centres pour bénéficier de plusieurs services. Elles pourront être accompagnées sur le chemin de leur réussite professionnelle, scolaire et personnelle dans leur propre ville, ce qui favorisera grandement leur intégration sociale.»