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Conférence d'André Duhamel au Congrès de l'Acfas 2012

L'éthique des médias et la représentation du tragique

Le professeur André Duhamel s'intéresse depuis plus de dix ans à l'importance éthique et politique de la représentation du tragique.
Le professeur André Duhamel s'intéresse depuis plus de dix ans à l'importance éthique et politique de la représentation du tragique.

Dans le théâtre grec de l'Antiquité, les tragédies que l'on présentait sur scène faisaient souvent écho à des actions ou à des événements de l'époque, remplissant ainsi un rôle politique. Aujourd'hui, les médias constituent la nouvelle scène privilégiée de la représentation du tragique.

André Duhamel pose un regard original sur cette situation dans une communication qui s'intitule Faire face aux désastres : les tragédies dans l'espace public contemporain. Il y trace des parallèles étonnants entre les grandes tragédies grecques ainsi que le rôle qu'elles exerçaient auprès des habitants de la Cité et la représentation des désastres contemporains dans l'espace public.

Professeur au Département de philosophie et d'éthique appliquée de l'Université de Sherbrooke, André Duhamel s'intéresse depuis plus de dix ans à l'importance éthique et politique de la représentation du tragique.

«Dans une perspective historique, on remarque un glissement de sens pour le mot tragédie, qui est maintenant associé à la grande scène du monde plutôt qu'à la scène théâtrale, explique-t-il. On constate toutefois plusieurs points de convergence entre les tragédies grecques et les tragédies du monde moderne comme le naufrage du Titanic ou le génocide rwandais. Ces traits communs se trouvent dans l'importance de la situation tragique (ampleur, violence, destruction d'une chose à laquelle on tient), dans son caractère imprévu et injustifié et dans sa portée collective. Un autre aspect à considérer est inévitablement la mise en scène de l'information.»

Les médias, spécialistes de la mise en scène

Dans notre société, le rôle des médias est de présenter – représenter – ces désastres pour informer, mais aussi pour permettre à la société de prendre conscience d'elle-même. «Depuis toujours, la tragédie permet d'apprendre, rappelle le professeur Duhamel. Tout comme la mise en scène des tragédies grecques, le traitement d'un sujet par les médias, c'est-à-dire les choix faits selon diverses contraintes (espace, temps, images disponibles, etc.), influence la réception de celui-ci par le public, et ce, de façon tout à fait consciente. Ce rôle est important, car il agit sur notre évolution en tant que société.»

Il donne pour exemple le scandale du sang contaminé par le VIH il y a une vingtaine d'années, qui a mené au décès de plusieurs personnes au Canada et dans le monde. Cette histoire avait occupé l'espace médiatique pendant plusieurs mois à l'époque, révélant au fil du temps des faits troublants qui ont mobilisé la population, et l'État avait durement été critiqué. Une commission d'enquête avait été instaurée, ce qui avait mené à la création de la Société canadienne du sang et de Héma-Québec pour une meilleure gestion de l'approvisionnement en sang au pays.

La réflexion éthique au service de l'information

«Les tragédies ont une portée sociale et politique, affirme le professeur. Les médias ont une responsabilité quant à la mise en scène proposée à cause de son effet sur une société. Malheureusement, au cours des dernières années, on remarque une érosion de la qualité des reportages traitant des désastres dans certains médias, explique le chercheur. Il faut éviter le pathos, le spectaculaire et la simplification excessive pour qu'il y ait une réflexion profonde et un apprentissage. Les médias font nécessairement des choix, ça devient alors un travail éthique. Les gens sur le terrain doivent se questionner quant à l'impact du traitement d'un sujet. Les médias ont ces préoccupations au quotidien et mes recherches portent sur l'analyse de ces décisions et de leurs effets dans le temps.»

La réaction des êtres humains devant ces désastres est aussi un élément qui intéresse particulièrement le professeur Duhamel, qui parle de choix tragiques pour ces personnes qui doivent agir dans des situations limites sans avoir vraiment d'options, où les décisions ne peuvent être prises avec la raison seule.

«La tragédie nous permet de découvrir des dimensions de l'action humaine que nous ne pourrions connaître autrement, dit-il. Devant un désastre, on se trouve à faire face à une portion de réalité qu'on ne connaît pas. Il n'y a plus de dieux qui nous parlent à travers des personnages comme dans la tragédie grecque, mais nos actions rencontrent encore une limite qui prend d'autres formes. Qui sommes-nous devant ces choix tragiques? Quelles sont nos responsabilités?» André Duhamel tentera de répondre à ces questions dans un ouvrage sur le sujet, qu'il proposera prochainement.

La tragédie et nous

Cette présentation du professeur Duhamel s'effectue dans le cadre d'un colloque qu'il coorganise avec une collègue de l'Université Saint-Paul, la professeure Sophie Cloutier. Cet événement, dont le titre est La tragédie et nous, proposé au Congrès de l'Acfas 2012, réunit plus d'une quinzaine de conférencières et conférenciers qui aborderont le tragique selon divers aspects : le théâtre, la violence, l'éthique, le pouvoir, la morale et la politique. Soutenu financièrement par la Chaire d'éthique appliquée de l'Université de Sherbrooke, ce colloque a pour objectif de mettre en relation notre vue contemporaine et une longue tradition du tragique.


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