Le challenge des sciences de l’éducation

Les sciences de l’éducation sont confrontées à un véritable challenge tant en formation initiale à l’enseignement que la recherche qui s’y attarde. Au-delà du désarroi que suscite le contexte actuel, le monde de l’éducation doit se mobiliser et se solidariser pour offrir ce qu’il y a de mieux aux futures citoyennes et citoyens. Le 6 septembre dernier, dans le cadre des rencontres Enjeux en jeu en éducation, plusieurs membres de la Faculté d'éducation sont venus à la rencontre du professeur émérite Claude Lessard de l’Université de Montréal.

Dans la foulée du projet de Loi 23 qui propose l’abolition du Conseil supérieur de l'éducation et la création de l’Institut national d’excellence en éducation, le professeur Lessard s’est exprimé sur le challenge auquel sont actuellement confrontées les sciences de l’éducation.

C’est avec plaisir, et aussi avec espoir que nous accueillons aujourd’hui une personne phare dans le monde des sciences de l’éducation, l’éminent professeur Claude Lessard. Il s'agit de la première édition de la formule Enjeux en jeu en éducation, une formule qui vise à nous permettre collectivement de discuter du passé, du présent et du futur de l’École, avec un E majuscule, que l’on souhaite se donner.

Le professeur Martin Lépine, vice-doyen à la formation et à la culture

Cette riche discussion a permis de révéler les dynamiques et les tensions sous-jacentes afin de mieux les comprendre et de pouvoir se positionner, de façon individuelle et collective, comme actrices et acteurs de changement. Par son rôle de passeuse de cultures et de savoirs, la Faculté d'éducation a la responsabilité d'offrir des formations arrimées aux avancées de la recherche et à l'écoute des besoins des futures générations de personnes enseignantes et intervenantes des milieux scolaires.

Plus que jamais, il est essentiel de nous offrir des occasions pour réfléchir ensemble aux enjeux actuels, pour ne pas dire, à la crise que traverse l’éducation. L’équipe décanale a eu l’audace d'aborder ces questions sensibles.

Patricia-Anne Blanchet, animatrice de la rencontre

Enjeux en jeu en éducation

C’est dans l’auditorium René-Hivon que la communauté facultaire s’est rassemblée pour écouter les propos réfléchis et dument appuyés de l’invité. Petite tranche d’histoire : le professeur Lessard a commencé sa présentation en racontant que le professeur René Hivon, figure marquante de la pédagogie universitaire, était responsable de sa première embauche à l’UdeS. Il s’en est suivi pour lui un parcours de grande influence sur le monde de l’éducation au Québec.

La recherche en éducation a encore beaucoup de chemin à parcourir pour améliorer le système scolaire au Québec. Toutes les actrices et tous les acteurs qui y travaillent devraient bien s’entendre et poursuivre la mission commune d’éduquer, d’instruire et de socialiser. Cependant, plusieurs dissensions existent entre la politique, la théorie et la pratique, ce qui a pour effet de diviser les forces.

Tout le monde est favorable à réduire l’écart entre les recherches en éducation et les pratiques effectives dans les classes. Aucun chercheur ne veut travailler pour rien et aucun praticien ne cherche à être inefficace. Or, des luttes fratricides peuvent s’insinuer entre les tenants de ces deux pôles d’action.

Le professeur Claude Lessard

Le professeur Lessard soulève un autre enjeu : « Il y a davantage de synthèses sur le comportement des individus, mais souvent sans toucher aux structures. Ce n’est pas facile d’y toucher et changer les méthodes ne peut pas faire qu’on peut changer tout le système ». Ce dernier insiste aussi sur l’importance de prendre en compte le contexte dans les recherches en sciences de l’éducation : « Ce n’est pas parce que ça fonctionne quelque part que ça va assurément fonctionner ailleurs. » Ainsi, il est important de porter attention à la généralisation.

L’importance du contexte

Il est difficile pour les personnes chercheuses en éducation de suivre un protocole pouvant être utilisé partout et reproduit tout en assurant un effet voulu. En sciences sociales, il est primordial de considérer chaque contexte particulier. Le professeur Lessard est d’avis qu’il faut réussir à jumeler les deux. Comment est-ce possible? Le conférencier parle de réduire la taille des groupes étudiés et de documenter les expériences éducatives dans leur contexte, s’appuyant sur la théorie du changement local.

Pour le professeur Lessard, les recherches scientifiques en éducation doivent être suffisamment théorisées. L’hypothèse doit être vérifiée et mise à l’épreuve dans divers contextes, alors que les résultats doivent être scrupuleusement remis en question, même s’ils peuvent paraitre en apparence incontestables.

Il nomme que, souvent, les politiciens ne s’intéressent qu’aux grandes données dites probantes. Cependant, ce qui est vrai dans une grande cohorte n’est pas certainement vrai à une autre échelle ou dans une plus petite classe. Ne pas en tenir compte, c’est risquer de heurter les savoirs d’expérience des enseignants.

La réorganisation de la recherche

Dans le volet de la réorganisation de la recherche, le professeur Claude Lessard soutient qu’il n’y a pas beaucoup de données probantes au Québec, même si les médias et les partis politiques en demandent sur tous les sujets d’intérêt public. Il importe donc de discuter de la nature de ces données, de leur pertinence et de leur validité pour produire des rapports de causalité.

Est-ce que l’enseignement cause l’apprentissage? L’enseignement a des effets, mais on ne peut pas établir un effet de cause entre ce que fait le professeur et ce qui se passe dans la tête de l’élève. Le rôle de l'enseignant n’est pas de s’assurer de produire des effets. Son rôle est de pointer, de rediriger l’attention du jeune vers quelque chose qui va avoir du sens pour la société et pour lui.

Le professeur Claude Lessard

Quel message retenir de cette rencontre

Professeur Lessard conclut sur une note positive en soulignant les nombreuses avancées de la recherche et de la formation en éducation depuis les cinquante dernières années. Son message interpelle à une mobilisation et à une solidarisation portées par une culture de consensus et ralliées autour de l’objectif commun d’offrir des parcours académiques et scolaires de qualité assurant le développement de futures citoyennes et futurs citoyens engagés.

Le parcours du professeur Claude Lessard en bref 

Considéré comme un sage dans le monde des sciences de l’éducation, Claude Lessard est un sociologue, un professeur et un administrateur québécois. Il est actuellement président du conseil d'administration du Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec. Il fut président du Conseil supérieur de l’éducation du Québec entre 2011 et 2015. Il a aussi occupé les postes de doyen, de professeur en sociologie de l'éducation, de directeur de programmes et de vice-doyen à la recherche à la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal. Le professeur Lessard est l’un des chercheurs les plus connus en sciences de l’éducation au Québec, au Canada, voire dans l’ensemble de la Francophonie. Son expertise scientifique a été reconnue par plusieurs prix et participations à divers comités scientifiques nationaux et internationaux.