Entrevue avec Me André Ladouceur
La médiation pour résoudre les conflits au travail
Me Ladouceur, pourriez-vous nous présenter quelques exemples de sources de conflits les plus fréquentes en milieu de travail pour lesquelles on peut avoir recours à la médiation?
Plusieurs pensent que la médiation ne se prête qu’à certains types de conflits. L’expérience nous apprend que tel n’est pas le cas. Qu’il s’agisse d’aider les parties à combler le fossé qu’elles voient entre leurs intérêts respectifs, à interpréter les dispositions de leur convention collective ou à les appliquer correctement, que ce soit sur le plan administratif ou disciplinaire, à rétablir de bonnes relations interpersonnelles sur le plan professionnel, à négocier des modalités de terminaison d’emploi, à régler une plainte de harcèlement, peu importe la nature du conflit, la médiation demeure un atout précieux.
Plusieurs formes de règlements des conflits, tels que la conciliation et l’arbitrage, interviennent dans les relations de travail. Qu’est-ce qui distingue la médiation des autres méthodes dans le contexte des relations de travail?
- L’arbitrage est une procédure plus formelle qui s’apparente au fonctionnement des tribunaux de droit commun avec un décorum plus simple. Les parties font tour à tour la preuve des faits reliés au conflit et soumettent ensuite leurs prétentions quant à leurs droits.
- L’arbitre rend une sentence qui établit les droits des parties tout comme un juge rend un jugement. Il ne peut toutefois y avoir d’appel d’une sentence.
- La médiation est une procédure moins formelle, plus conviviale, qui vise à amener les parties à régler elles-mêmes leur conflit en bénéficiant de l’encadrement de leurs échanges à cette fin par un médiateur.
Le médiateur n’a aucun pouvoir décisionnel et agit strictement comme un facilitateur auprès des parties. Le médiateur peut, selon l’approche choisie, simplement aider les parties à communiquer efficacement, s’intégrer à la teneur des échanges, suggérer une interprétation ou même exercer une certaine pression. - La conciliation est une intervention de facilitation, comme la médiation, mais se limite à soutenir la communication entre les parties
Quels sont les éléments qui distinguent le processus de médiation dans un contexte de conflits au travail en comparaison avec un autre contexte?
Sauf pour la médiation familiale, qui se distingue davantage et requiert une formation particulière, les approches de médiation se ressemblent passablement quelque soit le contexte de leur application. Par contre, en milieu de travail, sauf quand il s’agit de négocier les modalités d’une terminaison d’emploi, la médiation intervient entre des parties qui sont en quelque sorte condamnées à vivre ensemble et qui, par conséquent, ont avantage à régler tout problème susceptible de porter atteinte à leur qualité de vie au travail. La pression des pairs peut aussi contribuer au succès de la démarche puisqu’un conflit interpersonnel non résolu finit le plus souvent par porter atteinte au climat de travail de tout le département concerné. Enfin, les conflits à incidences monétaires existent en milieu de travail, mais sont beaucoup moins fréquents qu’en matières commerciales ou corporatives. La beauté de la pratique en milieu de travail est qu’elle est d’une très grande variété.
Pourriez-vous nous présenter les difficultés pouvant être rencontrées lors des interventions de médiation en situation de conflit au travail?
Les obstacles au règlement d’un conflit lors d’une médiation sont multiples, mais, en général, assez faciles à contourner avec un peu d’expérience. Par exemple, il faut tout autant savoir réfréner les ardeurs des parties trop agressives ou trop sûres de leurs droits que de savoir mettre en confiance les parties trop impressionnables ou réservées. Il faut également éviter que les échanges des parties demeurent axés sur le passé et les inviter plutôt à tirer parti des expériences passées pour planifier un meilleur avenir; par contre, une erreur à l’inverse consiste à tenter d’amener les parties trop vite à identifier des solutions alors que leur deuil ou leur diagnostic du passé n’a pas encore été complété. Il y a aussi des parties qui ne savent pas écouter et qu’il faut ébranler en les mettant au défi de refléter les doléances de l’autre partie. Il faut savoir encourager les parties qui en arrivent à perdre espoir de pouvoir trouver une issue à leur conflit. Il faut savoir amener les parties trop émotives à relativiser leurs attentes tout comme il faut amener les parties « terre-à-terre » à faire preuve d’imagination et de créativité pour identifier des solutions. Il peut être utile de susciter des excuses lorsqu’opportun, notamment en situation de conflit de valeurs, mais il faut aussi s’assurer que personne ne « perde la face ». « Le diable est dans les détails » et il faut avoir une certaine habileté de rédaction de l’entente intervenue pour refléter adéquatement les consentements et nuancer les perspectives. Enfin, il est particulièrement utile d’offrir une rencontre de suivi aux parties qui demeurent méfiantes quant au respect futur de l’entente conclue.
Qui peut agir à titre de médiateur lors d’un processus de médiation en relations de travail?
Toute personne adulte et non interdite peut intervenir à titre de médiateur puisque la pratique n’est pas règlementée à titre de profession réservée, mais le principe de base est que cette personne doit être sollicitée ou librement acceptée par les parties, la médiation ne pouvant être imposée. Il est de plus en plus établi en milieux de travail que les personnes auxquelles les parties ont recours pour la médiation ont déjà fait l’objet d’une démarche sélective dont les principaux critères sont la réputation ou la formation professionnelle complétée. Enfin, il va de soi que, pour agir à titre de médiateur dans un conflit, la personne choisie ne doit détenir aucun intérêt dans l’issue de la médiation, donc être neutre et impartiale. En milieux syndiqués, de plus en plus d’arbitres de griefs sont également sollicités pour intervenir à titre de médiateur.
Quels sont les avantages pour la personne médiatrice en relations de travail de développer des techniques d’appoint comme la communication non violente (CNV) ou la pleine conscience?
Ces techniques permettent de mieux se connaître, d’être en meilleur contrôle de soi-même et ainsi éviter que ses propres états d’âme n’interviennent dans le processus de médiation. Savoir dégager l’essence d’une communication authentique à partir de son propre comportement. Pouvoir communiquer le calme et la sérénité propres à favoriser les meilleures dispositions chez les gens perturbés par un conflit.
Enfin, diriez-vous que les dirigeants et cadres d'entreprise auraient avantage à développer leur compétence en gestion des conflits pour maîtriser les signaux d'alerte des conflits au travail?
Oui, tout à fait, car ils pourraient ainsi, fréquemment, contribuer eux-mêmes au règlement des conflits avant que ceux-ci ne prennent des proportions ou ne provoquent des dommages profonds laissant des cicatrices difficiles à résorber. Il est typique de la pratique d’un médiateur professionnel de se voir attribuer des mandats visant à régler des situations qui perdurent depuis trop longtemps et que les responsables tant syndicaux que patronaux ne savent plus comment aborder.
En quoi la formation Médiation et gestion des conflits en relations du travail peut profiter autant aux médiateurs qu’aux dirigeants d’entreprise ou professionnels en gestion des ressources humaines?
L’approche du séminaire, même si elle traite de pratiques avancées en médiation et en gestion de conflits de groupe, bénéficie de l’expérience de ses animateurs qui sont toujours aptes à donner des exemples concrets à partir de leur pratique ou à répondre aux questions les plus pointues des participants. Si les dirigeants d’entreprises et professionnels en gestion des ressources humaines ne peuvent, à partir de cette unique formation, mettre eux-mêmes en pratique toutes les approches abordées, ils seront par contre bien en mesure d’apprécier plus rapidement chaque situation conflictuelle de leur milieu et d’identifier dès le départ quelle approche serait pertinente et appropriée.