Quoi dire à ces personnes qui refusent la vaccination?
Vous voulez convaincre un proche de se faire vacciner contre la COVID-19. Vous déployez l’arsenal complet : données scientifiques, conseils, tranches de vie, faits vécus. Rien à faire, son refus est catégorique. Même que, depuis votre intervention, le ton a monté. Est-ce qu’il y a une meilleure façon de vous y prendre?
Selon le professeur Arnaud Gagneur, oui. L’approche qu’il préconise, l’entretien motivationnel, a d’ailleurs fait ses preuves auprès de nombreux parents qui se montraient réfractaires à la vaccination de leur progéniture. L’expertise de ce professeur a même servi à mettre en place les assises du programme de santé publique EMMIE, conçu pour accroître l’adhésion à la vaccination chez les tout-petits au Québec.
Comment ça fonctionne? Essayons de comprendre avec cette discussion fictive extraite d’une lettre d’opinion publiée dans The New York Times (en anglais) par le professeur Arnaud Gagneur et une collègue, la docteure Karin Tamerius.
« Le vaccin contre la COVID-19, non merci! J’ai bien trop peur. J’ai lu beaucoup sur le sujet, et c’est loin d’être rassurant. »
Que lui répondriez-vous?
a) Es-tu un antivaccin, ou quoi?
b) Pourtant, la COVID-19 est bien plus dangereuse! Plus de 3 millions de personnes en sont décédées à ce jour.
c) Oh! Tu as lu quelque chose de préoccupant sur le sujet?
« Amener une personne à changer d’avis, c’est ce qu’il y a de plus difficile, explique le professeur Gagneur. Le philosophe Spinoza disait que, pour effectuer un changement, il faut remplacer la chose à changer par une autre qui a plus de sens. »
Et, pour que ce soit possible, il faut réussir à connecter avec l’émotion de la personne indécise.
« Ce qui permet de faire changer d’avis, souvent, c’est d’avoir quelqu’un de confiance qui nous accompagne. L’empathie, ça aide beaucoup. »
En accusant l’autre personne d’être un antivaccin (réponse a), celle-ci risque de se sentir attaquée, jugée ou incomprise. Elle pourrait penser que vous trouvez sa réaction irrationnelle ou exagérée. Elle se mettra alors sur la défensive.
Vouloir la convaincre en s’appuyant sur des statistiques (réponse b) est un geste de bonne volonté. Cependant, elle aura l’impression que vous minimisez ses préoccupations. Résultat : elle le prendra personnellement et rejettera tout ce que vous avez à dire sur le sujet, même si c'est vrai.
« La première étape, c’est d’établir une relation de confiance. Au début, on écoute la personne, puis on reflète ce qu’elle vient de dire pour lui montrer qu’on l’a comprise et qu’on respecte sa position. »
Pour refléter ce que l’autre dit, deux techniques sont à notre disposition : le « reflet simple », qui consiste à répéter ses propos mot à mot, et le « reflet complexe », où nous reformulons dans nos propres mots le sens profond de ce qu'il ou elle a voulu dire.
La réponse à privilégier est donc c).
« Oui. Et je ne sais pas quoi faire! Je ne veux pas avoir la COVID-19, mais le vaccin pourrait comporter des risques. »
Que lui répondriez-vous?
a) Le vaccin est sécuritaire. La science l’a clairement démontré.
b) Ce n’est pas évident. Donc, tu veux te protéger contre la COVID-19, mais tu voudrais avoir la certitude que le vaccin est sécuritaire?
c) Tu ne devrais pas lire tout ce qui passe sur Facebook.
« Devant quelqu’un qui refuse la vaccination, la réaction typique, c’est la contre-argumentation, poursuit le professeur Gagneur. On dit qu’on n’est pas d’accord, on part dans un affrontement, et on tente d’imposer sa vision. Et l’autre n’a pas forcément envie de recevoir votre vision! Cela donne lieu à une bataille, et ça ne fonctionne pas. »
Imposer des connaissances (réponse a) ou donner des conseils (réponse c) sont des répliques qui peuvent s’avérer contreproductives. En effet, l’autre ne se sentira pas entendu, validé dans ce qu’il ressent. Il risque donc d’entrer en résistance.
« L’entretien motivationnel, on dit souvent que c’est de l’empathie dirigée vers le changement. C’est une approche très humaniste, respectueuse. C’est aussi une approche de guidance. Il ne s’agit pas d’être directif. Si cette approche fonctionne, à mon avis, c’est parce que la personne va faire le choix de changer d’avis, on ne le fera pas à sa place. »
À ce stade, l’idée, c’est de comprendre pourquoi la personne est défavorable à la vaccination, les raisons derrière son hésitation. On l’aide ainsi à engager sa propre réflexion.
La réponse adéquate est donc b).
« Exactement! Le vaccin me semble précipité… Peut-être qu’il n’a pas été suffisamment testé? Comment savoir qu’on n’a pas tourné les coins ronds?
Que lui répondriez-vous?
a) Ça m’inquiétait aussi au début. Mais j’ai lu un fait rassurant sur le sujet. Ça t’intéresse de le savoir?
b) Il faut faire confiance aux équipes de recherche et aux médecins. Ils savent ce qu’ils font.
c) Le vaccin est en développement depuis l’épidémie de SRAS en 2003.
Une fois que la relation de confiance est établie et que la personne semble ouverte à la discussion, on lui transmettra de l’information qui l’éclairera au sujet de ses préoccupations. Mais, attention! Elle doit d'abord consentir à en savoir plus.
« Plutôt que d’imposer des connaissances, on va proposer de regarder ensemble les risques liés au vaccin. Avec son autorisation au préalable, on lui donnera de l’information pertinente. »
Comme le souligne le professeur Gagneur, la personne sera d’autant plus réceptive si c’est elle qui demande de l’information.
« C’est vraiment un changement de paradigme. Au lieu de l’expert qui dit quoi faire, on devient un partenaire qui écoute et qui essaie d’aider la personne en demeurant sur le même pied d’égalité », illustre le chercheur, en faisant référence à son rôle comme professionnel de la santé.
Ainsi, il est improbable que la personne vous écoute si vous lui prescrivez un comportement (réponse b) ou lui servez un argument scientifique qu’elle n’a pas encore consenti à recevoir (réponse c).
« En gros, ce qui amène à changer, c’est de se sentir compris et respecté dans son autonomie. On y parvient en demandant à la personne de nommer ce qui pourrait l’aider, ce qui la rassurerait. »
La bonne réponse est donc a).
Votre curiosité a été piquée? Lisez l’entretien complet dans sa version interactive (en anglais) publié par le professeur Gagneur dans The New York Times le 20 mai 2021.
Les raisons qui poussent à dire non à la vaccination
« Chez les personnes qui refusent la vaccination, il y a de grands thèmes récurrents. La peur des effets secondaires est le plus fréquent. Il y a aussi l’incertitude quant à la sécurité des vaccins, le manque de confiance envers les autorités de santé ou le système, la non-perception des risques liés à la maladie ̶ il y a encore des gens qui pensent que la COVID-19 n’existe pas! ̶ , le manque de connaissances et d’information sur le fonctionnement des vaccins, et aussi la désinformation. Sans oublier ce qu’on appelle « l’infodémie », soit l’abondance d’information, qui est souvent contradictoire, ce qui génère de l’anxiété. »
À propos du professeur Arnaud Gagneur
Arnaud Gagneur est professeur au Département de pédiatrie de l’Université de Sherbrooke depuis 2008, médecin néonatalogiste au CIUSSS de l'Estrie – CHUS et chercheur au Centre de recherche du CHUS.