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Acfas 2021

Quand l'adhésion à la vaccination passe par l'écoute et le dialogue

Le professeur Arnaud Gagneur, de la Faculté de médecine et des sciences de la santé.
Le professeur Arnaud Gagneur, de la Faculté de médecine et des sciences de la santé.
Photo : UdeS - Martin Blache

Dans le contexte pandémique actuel, la richesse des récents travaux du professeur Arnaud Gagneur, qui portent sur l’acceptabilité de la vaccination et les hésitations qu'elle peut engendrer, ne pouvait être plus à point.

Le médecin néonatalogiste au CIUSSS de l'Estrie – CHUS participera pour la première fois au prochain congrès de l'Acfas. Il y présentera, avec des collaboratrices, un colloque ayant pour titre Vaccination et pandémie : impact sur le système d'immunisation et perception d'un vaccin contre la COVID-19.

Il faut retourner en France, là où Arnaud Gagneur a fait sa formation en médecine et où il a exercé dans un service de soins intensifs pédiatriques et néonatals. Spécialisé en infectiologie pédiatrique, il est responsable, dans ce service, des protocoles d’intervention spécifiques, comme des chocs septiques et des méningites. Dès 2000, le médecin a de l’intérêt pour un tout nouveau vaccin conjugué contre les méningites à pneumocoque et à méningocoque. Ce vaccin efficace permet aux enfants d’éviter de contracter la maladie.

Sur un fond d'histoires bouleversantes... et troublantes

Or, dans sa pratique, il constate que plusieurs parents ne font pas vacciner leur enfant. Et après avoir perdu un petit patient âgé de six mois à cause d'une méningite, Arnaud Gagneur questionne la mère. Ses réponses le troublent. Elle ne savait pas à quel point cette maladie était dangereuse et qu'un vaccin était disponible pour la prévenir. Pire encore, le médecin découvre que la mère avait... acheté le vaccin, et qu’il était dans son réfrigérateur!

Le système de vaccination français est différent du système québécois : les parents ressortent de la maternité avec des prescriptions et doivent acheter les vaccins et les conserver au réfrigérateur en prévision de leur rendez-vous médical de deux mois, où le médecin vaccine l’enfant avec le vaccin acheté par les parents.

La médecine curative et les soins intensifs ont leurs limites. La médecine préventive, elle, a toute sa place, mais encore faut-il le savoir!

Professeur Arnaud Gagneur

ll entreprend de sensibiliser les parents au sujet de la vaccination et de répondre à leurs préoccupations. C’était le début de ses premiers projets de recherche en vaccination.

En 2006, Arnaud Gagneur pilote une étude pour tester l’efficacité du nouveau vaccin contre la gastroentérite pour réduire les hospitalisations en France. L’équipe constate que les parents ne veulent pas faire vacciner leur enfant. Comme il s’agit d’un nouveau vaccin, les parents veulent prendre le temps d’y penser.

Or, pour être efficace, ce vaccin doit être donné dans une fenêtre de temps spécifique. Le temps que les parents prennent leur décision, il est trop tard. L’idée d’en parler dès la maternité est donc évoquée, car parler de vaccination avec les parents en maternité leur donne le temps idéal pour y réfléchir. C’est alors qu’une équipe rencontre et informe les parents qui font un séjour en maternité sur ce nouveau vaccin. L’impact est fantastique. Les parents ont eu le temps de réfléchir, et la campagne de vaccination est un succès. Et dans les faits, les hospitalisations sont moins fréquentes chez les enfants pour des gastroentérites.

Et si ça fonctionne pour un nouveau vaccin, qu’en est-il des vaccins plus traditionnels?

Arnaud Gagneur arrive en Estrie en 2008, à titre de médecin, de chercheur et de professeur. La Santé publique veut alors développer un projet de promotion de la vaccination. Le professeur y va d'une proposition d'intervention en maternité.

 Tout le problème réside dans le manque d’information.

Professeur Arnaud Gagneur

L'adhésion à la vaccination passe d'abord par l'écoute et l'échange d'information, plutôt que de tenter de convaincre à tout prix, selon le professeur Gagneur.
L'adhésion à la vaccination passe d'abord par l'écoute et l'échange d'information, plutôt que de tenter de convaincre à tout prix, selon le professeur Gagneur.
Photo : UdeS

Il explore ainsi l’entretien motivationnel. Il applique les principes de cette discipline, empruntés à la psychologie, à sa stratégie de vaccination. Une équipe-conseil en matière de vaccination rencontre les parents quelques heures après la naissance de leur enfant, pour leur parler des vaccins, sans porter de jugement sur leur opinion, qu'ils soient pour ou contre la vaccination. Il ne s’agit pas de convaincre, il s’agit d’écouter, d’informer et de répondre aux hésitations. Il n’y a aucune prise de décision. Et la réponse des parents se révèle... exceptionnel. La stratégie PromoVac est née!

L’entretien motivationnel est défini comme un style de communication collaboratif et centré sur un objectif, avec une attention particulière au langage de changement. Il est conçu pour renforcer la motivation d’une personne et son engagement, en faveur d’un objectif spécifique, en faisant émerger et en explorant ses propres raisons de changer dans une atmosphère de non-jugement et d’altruisme.

La naissance du programme EMMIE

Cette stratégie unique destinée aux parents, PromoVac, a permis de réduire les hésitations concernant la vaccination des enfants et d'augmenter le taux de vaccination. Après plusieurs études de validation, la stratégie PromoVac a donné naissance, en collaboration avec le ministère de la Santé et de Services sociaux, au programme EMMIE (Entretien Motivationnel en Maternité pour l’Immunisation des Enfants). Au terme de 2021, EMMIE aura été implantée dans toutes les maternités du Québec.

L’approche utilisée par EMMIE est allée à l’encontre de toutes les idées préconçues de santé publique. Pour promouvoir la vaccination, les stratégies traditionnelles sont basées sur des approches globales, avec des messages et des contacts populationnels ainsi que des campagnes de masse.

En martelant des messages forts liés à ce qu’il devrait être fait, EMMIE suggère une approche individualisée et repose sur une stratégie où chaque parent est rencontré de façon personnalisée. L’utilisation d’une approche empathique autonome cherche à rassurer le parent que sa décision sera respectée, et que l’équipe est en place pour répondre aux questions et aux préoccupations, tant sur la vaccination que sur les maladies. La décision ultime revient aux parents, dans le respect.

Évidemment, l’équipe-conseil en vaccination est transparente. Elle se positionne en faveur de la vaccination, m ais elle comprend aussi les craintes des parents et elle en discute. D’ailleurs, plusieurs parents nous ont dit que c’était la première fois qu’ils se sentaient écoutés. C’est cette façon de faire qui est nouvelle, ça n’a jamais été fait. Et ça fonctionne!

Professeur Arnaud Gagneur

Le taux de vaccination, sans retard à 6 mois, a augmenté de 6 % de 74 à 80 %.

Dix ans après avoir lancé son projet de recherche, Arnaud Gagneur n’est pas peu fier. Promovac est un programme de recherche qui aboutit à un programme de santé publique et à une nouvelle politique de soin.

Comme chercheur, on veut changer les choses; comme docteur, on souhaite améliorer les soins. EMMIE a réussi! 

Professeur Arnaud Gagneur

Et il y a une suite pour EMMIE. Arnaud Gagneur est en train de rédiger pour l’Agence de santé publique du Canada des recommandations pour implanter un tel programme dans les services de santé publique. À l’international, plusieurs pays se sont montrés intéressés à tester l’approche. C’est le cas de l’Autriche, de la Belgique, de la Roumanie, de l’Australie et des États-Unis. D’ailleurs, un programme devait être testé en 2020 en France, à Marseille. En raison de la COVID-19, le projet a pris du retard. Il y a aussi un projet en Côte d’Ivoire, dans un contexte de vaccination dans un pays en développement.

En contexte de pandémie

Est-il possible de mettre sur pied un programme qui utiliserait les techniques d'entretien motivationnel - le cœur du programme EMMIE - pour répondre aux préoccupations des adultes concernant la vaccination ou même d’autres préoccupations? Tout à fait! D’ailleurs, le professeur Gagneur a obtenu une subvention du Comité de coordination de la recherche au Canada (CCRC), du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), par l’entremise du programme Fonds Nouvelles frontières en recherche (FNFR), pour participer au projet JIU-JITSU avec désinformation à l'ère de la COVID : utiliser l'apprentissage basé sur la réfutation pour améliorer l'adoption des vaccins et les connaissances des professionnels de la santé et du public. Ce projet, mené par une équipe de psychologues au Royaume-Uni et en Allemagne, vise à former les professionnels de la santé à avoir un discours réfutationnel empathique avec leurs patients, pour lutter contre les fake news, principalement en lien avec la vaccination.

Arnaud Gagneur apportera là toute son expertise avec la composante motivationnelle. Il aidera à monter les formations et il participera aux tests, qui visent un meilleur dialogue avec les patients.

Ce sujet a piqué votre curiosité?
Le colloque Vaccination et pandémie : impact sur le système d'immunisation et perception d'un vaccin contre la COVID, pour lequel le professeur Arnaud Gagneur est coresponsable, sera présenté en ligne dans le cadre du prochain congrès annuel de l’Acfas, plus grand rassemblement multidisciplinaire du savoir et de la recherche de la francophonie, qui se tiendra du 3 au 7 mai 2021.

À propos des travaux d'Arnaud Gagneur 
Dans son récent ouvrage Think Again, Adam Grant consacre le chapitre 7 aux travaux d’Arnaud Gagneur. Il est aussi possible de lire sa chronique à ce sujet dans le New York Times 
Le journaliste Eric Boodman a aussi interviewé Arnaud Gagneur, qu’il surnomme le The Vaccine Whisperer, pour discuter de son projet.


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