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Nouvelle parution avec l’historien Serge Gaudreau

Le politologue Jean-Herman Guay revisite 150 ans d’élections au Québec

« Regarder les élections a été pour moi une manière globale de revivre les 150 ans du Québec. Les journaux, on les a cités abondamment, parce qu'on voyait là un parcours. On lisant l'ouvrage, on fait plus que comprendre les élections, on comprend l'histoire du Québec. »
« Regarder les élections a été pour moi une manière globale de revivre les 150 ans du Québec. Les journaux, on les a cités abondamment, parce qu'on voyait là un parcours. On lisant l'ouvrage, on fait plus que comprendre les élections, on comprend l'histoire du Québec. »
Photo : UdeS - Michel Caron

La 42e élection générale du Québec s'est terminée en portant un nouveau gouvernement caquiste au pouvoir. Que peuvent nous apprendre les précédentes campagnes électorales au regard de celle qui s'est terminée? Véritable genèse de l’histoire de la politique québécoise, le plus récent ouvrage du professeur Jean-Herman Guay, Les élections au Québec –150 ans d’une histoire mouvementée, coécrit avec l’historien Serge Gaudreau, porte un regard sur l’actuelle période politique à l’aune des grandes époques électorales l’ayant précédée. Du bipartisme séculaire à l’éclosion du nationalisme, en passant par la lutte souverainiste-fédéraliste, l’axe gauche-droite et le désenchantement, les auteurs passent au crible l’histoire politique de la province, de manière à mieux comprendre les défis et les enjeux du Québec d’aujourd’hui.

Un tel exercice n’ayant jamais été fait auparavant, l’idée de recenser 150 ans d’élections provinciales, dans la foulée de la dernière campagne, s’imposait pour le politologue Jean-Herman Guay. Sur la question des récentes élections, au-delà de la lorgnette de ce qui peut être observé dans l’instant, ce bilan constitue une contribution parachevée du premier directeur de l’École de politique appliquée de l’UdeS.

Le grand désenchantement

D’entrée de jeu, le professeur Jean-Herman Guay le reconnaît : nous traversons présentement une période difficile. Les gens aujourd’hui vivent un désenchantement, une lassitude à l’endroit de la politique. Plus que jamais, les élections, les partis politiques et leurs principaux acteurs font l’objet de critiques de toutes sortes. L’ensemble des organisations, que l’on pense à la mobilisation générale, aux syndicats, sont touchées par ce désenchantement public. Cette désillusion, qui s’explique par une accumulation de facteurs, s’observe d’ailleurs partout dans le monde occidental, et est loin de n’être propre qu’au Québec.

Toutes les démocraties occidentales sont frappées par un désenchantement partisan. Avec leurs discours globaux, les partis sont un peu trompeurs et les gens sont insatisfaits. Ils paient beaucoup de taxes, d’impôts, et les services ne sont pas à la hauteur espérée. La population est de plus en plus exigeante. L’État a pris une telle place qu’il est vu comme un bouc-émissaire lorsque les choses vont mal. Aujourd’hui, les enjeux sont pointus, sectoriels. La capacité à unir les gens autour d’idées, de projets globaux est très difficile.

« Tout ça va faire en sorte, c'est étrange, mais ce qui nous a préoccupé pendant 40 ans va être un peu mis de côté au profit d'enjeux très modernes, très postmodernes. »
« Tout ça va faire en sorte, c'est étrange, mais ce qui nous a préoccupé pendant 40 ans va être un peu mis de côté au profit d'enjeux très modernes, très postmodernes. »
Photo : UdeS - Michel Caron

Le désenchantement partisan de l’époque postmoderne dans laquelle nous nous trouvons contraste avec les périodes précédemment dépeintes dans l’ouvrage du politologue Guay et de l’historien Gaudreau. La montée de la démocratie, qui s’observe progressivement à compter de 1867 de même que la vivacité partisane, qui connaît un point culminant avec le projet de souveraineté, semblent à mille lieues de l’effondrement partisan d’aujourd’hui.

Auparavant, rappelle le professeur Guay, la politique était vue comme un lieu d’accomplissement. L’État apparaissait comme un véhicule de progrès pour l’avenir de la communauté, l’avenir même de la nation. Les gens étaient fiers d’afficher leur appartenance partisane.

L’État, la discussion publique, la démocratie… tout ça était vu positivement. Les gens portaient des macarons, avaient sur leur voiture des symboles rappelant leur appartenance politique. Aujourd’hui, dès qu’on mentionne le mot "politique", on voit là quelque chose de louche, de dangereux. On est rendus méfiants. Trompeusement méfiants.

Le poids des perceptions

Pour le professeur, en dépit du fait que l’on ait l’impression que le climat politique actuel ne soit pas sous de bons auspices, cette élection a quelque chose de très rafraîchissant. Il note qu’il se dégage une réelle vitalité lorsque l’on regarde, tous partis confondus, la classe politique d’aujourd’hui. Il mentionne la présence de quatre principaux partis, se situant tant à gauche qu’à droite sur l’échiquier politique, alors que le choix s’est longtemps fait entre deux seuls partis, sans égard à l’axe gauche-droite.

Au Québec, les luttes se sont souvent faites entre deux partis : conservateurs et libéraux, Union nationale et libéraux, ensuite péquistes et libéraux. On était coincés dans le débat Québec-Canada. Là, on peut compter sur quatre partis. Quatre! Sur les quatre, on a plus de chances d’avoir confiance en un parti.

« On entend parfois qu'il y a beaucoup de corruption aujourd'hui. Il y en a pourtant moins qu'avant! Au début, vers 1867 jusque vers 1930, la corruption, c'était normal. La culture de l'époque, c'était de donner des contrats aux amis du pouvoir, c'était la pratique régulière. »
« On entend parfois qu'il y a beaucoup de corruption aujourd'hui. Il y en a pourtant moins qu'avant! Au début, vers 1867 jusque vers 1930, la corruption, c'était normal. La culture de l'époque, c'était de donner des contrats aux amis du pouvoir, c'était la pratique régulière. »
Photo : UdeS - Michel Caron

Jean-Herman Guay mentionne à cet effet que les partis politiques doivent se renouveler pour regagner cette confiance de la population. Il se désole que les militants aient trop souvent  l’impression de ne pas avoir leur mot à dire. La ligne de parti doit s’assouplir considérablement. Au-delà de ce qui peut se dire en caucus et derrière les portes closes, les députés doivent pouvoir questionner plus ouvertement le gouvernement et avoir plus de poids à l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui et pour l’avenir, les partis politiques doivent changer. On ne peut pas juste dire que les gens se trompent. Les partis politiques ont la responsabilité, au cours des prochaines années, de faire des changements, comme ils en ont été capables par le passé. Ils doivent changer à nouveau.

S’il reconnaît que le bilan actuel politique n’est pas parfait, le politologue soutient que nos dirigeants politiques sont, dans la très grande majorité des cas, des personnes de bonne foi, qui souhaitent être au service de leurs concitoyens et défendre leurs idées. Il se désole que la plupart des citoyens ne les voient pas directement, mais plutôt par l’intermédiaire médiatique de la télévision, des journaux. Ils en ont une image négative, alors que ce sont des gens qui s’engagent dans la communauté. Les enquêtes démontrent également que, somme toute, la plupart des politiciens accomplissent leurs promesses.

Je souhaite que les médias fassent leur part également. Ils doivent arrêter de chercher la querelle, l’erreur. Il faut qu’ils acceptent des débats plus ouverts au sein des partis, qu’ils arrêtent de voir une possible mutinerie lorsqu’il y a contradiction par rapport au chef. Si à court terme c’est profitable, à long terme, ça ne l’est pas.

Apprendre de notre histoire

À la lecture de l’ouvrage, l’on fait plus que comprendre les élections provinciales, l’on comprend l’histoire du Québec. Les élections ne sont qu’un sous-ensemble d’une histoire plus vaste. Notre histoire, rappelle le politologue Guay, est faite de cycles et de mouvements de toutes sortes. L’espace a été redéfini plusieurs fois. Le Québec a changé au fil des années et continuera vraisemblablement de changer encore.

J’espère qu’au fil du temps, le livre aura pour effet que les gens voient que si les choses ont tant changé, elles peuvent encore changer. Le système politique n’est pas un ensemble fixe, statique. Ça bouge. À l’échelle de nos collectivités, ça bouge.

Si la période actuelle est plus difficile pour les partis, le professeur ajoute qu’ils doivent apprendre de ce qui se passe aujourd’hui pour se reconstituer. Autrefois, le nationalisme québécois était catholique, puis il s’est transformé pour devenir laïc. Des partis ayant connu la gloire sont maintenant disparus, tandis que de nouveaux partis ont émergé. L’accès au vote a également été permis pour les plus jeunes, les autochtones, les femmes, les locataires. Pendant les années les plus politiques, un demi-million de Québécois étaient membres d’un parti. En peu de temps, le Québec a connu de grands mouvements.

Il faut trouver une façon de revitaliser la vie partisane pour que les gens reprennent goût à la vie politique, à s’engager, à voir autrement les candidats, qu’ils reprennent goût à financer les partis politiques, à faire du bénévolat, aller dans les assemblées, participer aux discussions. Les citoyens doivent quitter un certain cynisme dans lequel ils se sont avancés. On gagne peu de choses à déserter la place publique.

Dans toute cette aventure, le politologue fonde beaucoup d’espoir en la capacité des nouvelles générations à être des acteurs de changement, qui retrouveront plaisir à s’occuper de la politique afin d’en faire un véhicule de progrès pour la société. Après tout, cela s’est déjà vu par le passé, comme nous l’apprend l’ouvrage Les élections au Québec –150 ans d’une histoire mouvementée, et il n’y a pas de raison de baisser les bras et de croire que rien ne peut changer.


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