Chaire de recherche du Canada
À la rescousse des eaux souterraines
Il s’en passe des choses là-dessous, pas loin, juste en dessous de nos pieds : les micro-organismes, les minéraux et la matière organique s’amusent à longueur de journée dans les profondeurs terrestres souterraines dans une gymnastique bouillonnante de circulation, d’échanges et de transferts. Et quand cette activité souterraine a une influence directe sur la sécurité alimentaire et l'approvisionnement en eau potable de plusieurs populations, la recherche prend toute son importance. Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biogéochimie de l'environnement et des sols, la professeure Debra Hausladen a des projets pour des décennies. Glissons-nous dans son agenda des cinq premières années.
Les sols jouent en effet un rôle crucial dans les défis environnementaux à l’ordre du jour de notre époque : ils stabilisent le plus grand réservoir terrestre de carbone dynamique de la planète et fournissent de l'eau potable par filtration naturelle à une grande partie de la population. En effet, les eaux souterraines constituent la source d’eau potable d'environ 30 % de la population canadienne. Par le contrôle qu’ils pourront exercer sur les cycles biogéochimiques naturels, les travaux de la Chaire visent justement à contribuer à la diminution des gaz à effet de serre provenant des sols et à la préservation des ressources en eau douce. Deux grands objectifs qui guideront les activités à l’agenda.
On veut tout d’abord arriver à comprendre comment les interactions entre les micro-organismes, les minéraux et la matière organique dans les sols jouent un rôle dans le transport des contaminants, lesquels menacent la qualité des eaux souterraines. L’autre objectif qui nous occupera sera de comprendre le rôle des minéraux – en particulier les oxydes de manganèse – dans le cycle du carbone dans le sol. Ces observations nous aideront notamment à mieux prédire et mieux gérer les émissions de CO2 provenant du sol.
Professeure Debra Hausladen
Les organismes vivants, pour assurer leur subsistance, ont besoin de l'apport constant de certains éléments essentiels, notamment le carbone, l'hydrogène, l'oxygène, l'azote, le phosphore et le soufre. Ces éléments se retrouvent dans le sol, dans l'atmosphère, dans l'eau ainsi que dans les tissus vivants. Les éléments circulent continuellement d'un milieu à l'autre, d'une forme à une autre. C'est cette circulation continuelle que l'on nomme cycle biogéochimique.
Réduire l'exposition de la population à des formes de contaminations potentiellement toxiques
Les contaminants naturellement abondants dans les sols et les sédiments se retrouvent inexorablement dans les eaux souterraines. La libération de ces contaminants naturels est principalement causée par des changements portés aux conditions géochimiques et hydrologiques de l’endroit – par exemple en modifiant un rythme de pompage ou d’irrigation ou en changeant la teneur en carbone organique. On peut dès lors observer une nouvelle activité des contaminants, eux qui étaient tout à fait stables auparavant dans leur environnement solide!
Afin de préserver la qualité de notre eau potable, les mesures apportées doivent donc prioriser les conditions géochimiques qui favorisent le maintien de ces contaminants sur les solides de l'aquifère, explique la chercheure. C’est souvent assez difficile, car ces conditions sont spécifiques à chaque contaminant.
En plus de ces contaminants présents dans les eaux souterraines, on peut aussi noter la présence de contaminants anthropiques — provoquée directement ou indirectement par l'action de l'homme — qui s’ajoutent à ceux déjà présents. Les mines de métaux, les fonderies, le traitement des eaux usées, l’agriculture et l’élimination des déchets ont en effet accentué le problème de contamination des réserves d’eaux souterraines.
Les ressources en eau de surface sont quant à elle limitées et ne pourront pas répondre à la demande accrue en eau domestique, agricole et industrielle. Et le défi n’en devient que plus grand avec les effets des changements climatiques qui se mettent de la partie. En comprenant et en gérant bien les importants processus dynamiques souterrains capables de dégrader ou d’immobiliser des contaminants, on pourra ainsi mieux contrôler leur mobilité, identifier les zones vulnérables à surveiller et réduire l'exposition de la population à différentes formes de contamination potentiellement toxiques.
Garder le carbone prisonnier
Un autre objectif de la Chaire vise à comprendre le rôle des minéraux — comme l’oxyde de manganèse — dans le cycle du carbone du sol. Les interactions de ce carbone au cours de son cycle global avec les minéraux et les contaminants présents dans le sol ont un impact direct sur la conservation ou non du carbone dans le sol. Et si on comprenait mieux par exemple comment le manganèse a une influence sur la vitesse de relâchement du CO2 et les conditions inhérentes, on pourrait développer des systèmes naturels qui permettraient de mieux séquestrer le carbone.
Les interactions entre les minéraux et la matière organique aident à séquestrer le carbone dans les sols en limitant son accès aux microbes qui mangent ce carbone et qui le transforment en CO2. Cependant, nous nous concentrons sur les oxydes de manganèse parce qu'ils pourraient en fait avoir l'effet inverse en oxydant la matière organique du sol en des formes de carbone plus « mangeables ». Le cycle de ces éléments est directement lié aux réactions de transfert d'électrons, ou ce qu’on appelle les processus redox biogéochimiques. La compréhension de ces processus est aussi importante pour prédire la santé de l'environnement et offre des opportunités innovantes pour les stratégies de remédiation artificielles. Ce sont ces processus redox qui contrôlent la spéciation chimique, la biodisponibilité, la toxicité et la mobilité de nombreux contaminants. Il y a des bactéries dans le sol qui peuvent respirer les métaux tout comme nous respirons l'oxygène. Dans certains cas, cela peut réduire la toxicité des métaux, mais, dans d'autres cas, ces processus microbiens peuvent être à l'origine de la présence de contaminants dans les eaux souterraines.
Professeure Debra Hausladen
Il est donc vraiment important de mieux contrôler la dynamique du carbone, principalement dans les sols agricoles, dans les forêts boréales et dans les tourbières du Nord, l'un des plus grands réservoirs de carbone de la biosphère. Les sols abritent un réservoir de carbone beaucoup plus grand que l'atmosphère et la biosphère ensemble. Chaque année, les sols libèrent environ 9 fois plus de CO2 que les sources anthropogènes. Ainsi, même de petits changements dans le réservoir de carbone du sol peuvent avoir des effets importants sur les changements climatiques.
Solutions inspirées de la nature
Au Québec, on a une géologie très riche, alors c’est d’autant plus important de comprendre l’interaction des minéraux avec le carbone et les micro-organismes. Le manganèse, l'arsenic, le chrome, l'uranium, le vanadium et le sélénium sont tous des contaminants géogéniques courants. Dans certaines régions du Québec, on peut par exemple retrouver du chrome dans le sol qui, en se mariant à l’oxyde de manganèse aussi présent, passe du statut de nutriment à celui de composé cancérigène très soluble.
Et si on aidait tous ces micro-organismes à bien « réagir » en influençant les processus naturels?
En favorisant une approche systémique, la chercheure veut comprendre les différents cycles qui s’entrecroisent, et ce, à différentes échelles, de la molécule à l’échelle terrain. On se rapproche ici du génie de l’environnement.
On s’inspire de la nature, de son fonctionnement naturel pour proposer des solutions plus durables et vertes, poursuit la chercheure. Tous les systèmes microbiotiques souterrains déjà en place sont là pour nous guider. Par les travaux de la Chaire, j’espère aussi réussir à ce que les communautés scientifiques et du génie pensent ensemble de façon plus systémique, pensent le tout comme un système intégré et non morcelé. Ce qui permettra assurément de mettre en place des solutions d’ingénierie innovantes.