Point de vue d'expert
La Saint-Valentin : expérience sociale et vision personnelle
La Saint-Valentin cogne aux portes des couples québécois. Certains s’en réjouissent; d’autres rechignent à se prêter à ce qu’ils considèrent comme une célébration de la consommation. Mais, au-delà des opinions personnelles, il est difficile de nier la place de la Saint-Valentin dans la société…
Entretien avec André Duhamel, professeur à la Faculté des lettres et sciences humaines. Parmi ses champs d’intérêts apparaissent l’éthique et le romantisme. Il donne notamment un séminaire à propos de l’amour.
Comment la pression sociale de la Saint-Valentin influence-t-elle le couple?
Les personnes qui attendent la Saint-Valentin pour faire un beau geste envers leur partenaire méritent peut-être cette pression! Est-elle si importante? Seules des études empiriques pourraient montrer à quel point. Mais il reste que, actuellement, la plupart des gens reconnaissent les pressions de ce genre et les prennent avec un grain de sel : vous vous en plaignez ou vous vous en moquez; vous vous les appropriez, les contournez ou les négligez carrément.
En ce sens, le conformisme des fêtes fait aussi place à l’inventivité… du moins peut-on l’espérer, car il y a d’autres types de pression sociale, non liés à des fêtes, qui sont autrement plus importants et dont la société parle moins, comme les normes d’apparence corporelle, dont souffrent tant de femmes aujourd’hui encore.
À travers les époques, les lieux ou les mœurs, d’autres manifestations ont-elles exercé les mêmes pressions?
La plupart des sociétés humaines, sinon toutes, célèbrent des moments significatifs de leur histoire par des fêtes, qu’elles soient religieuses, politiques ou autres. Certaines sont plutôt artificielles et ont disparu, comme la Journée des secrétaires; d’autres sont apparues récemment, telles que la Fête de la famille dans les provinces de l’Ouest, ou se maintiennent depuis des siècles.
Ces fêtes répondent à une tradition ou en instaurent une nouvelle. La tradition joue sur deux plans : la mémoire, avec sa fonction de rappel, et l’imagination, en ce qu’elle stimule la créativité. Les fêtes s’insèrent également dans les pratiques sociales dominantes de leur époque. C’est sur ce plan qu’elles diffèrent.
Par exemple, une fête d’origine religieuse comme Noël favorise d’abord la cohésion d’une communauté de croyants et croyantes… Mais cette cohésion dévie ensuite sur un autre plan, comme la célébration familiale ou commerciale, voire le simple congé de travail.
Comment la Saint-Valentin s’en rapproche-t-elle ou s’en distingue-t-elle?
Valentin était un martyr chrétien du 3e siècle, qui se serait opposé à une tentative impériale d’abolir le mariage. Même si le 14 février porte son nom, cet anniversaire est celui non du mariage ou de l’amour chrétien (la charité), mais du couple et de l’eros… comme le montre le Cupidon romain.
En ce sens, il s’agit d’une fête « païenne », comme celle de l’Halloween, la fête des monstres et des fantômes, qui vient avant la Toussaint. D’ailleurs, eros et thanatos ne sont pas des congés fériés… Mais célébrer le désir et l’amour, pourquoi pas?
Cela pourrait même servir de résistance aux pressions sociales, y compris à celle d’être en couple!
Que disent ces ressemblances et ses différences de la société actuelle?
Le désir et l’amour, quand vous les associez au meilleur des relations amoureuses et à la séduction qui en fait partie, semblent dirigés vers le partenaire. Ils se détachent des manœuvres reposant sur l’intérêt personnel. C’est justement cet intérêt qui vous agace peut être dans la fête de Saint-Valentin devenue occasion d’affaires : le désir de profit a alors une vitrine extraordinaire et participe à fausser votre idée du désir amoureux.
Voilà donc une bonne occasion de réfléchir à ce que devient l’amour – votre amour, son amour – dans ce contexte. Pourquoi ne pas associer l’amour à la liberté et au don plutôt qu’à la satisfaction que les autres en tirent?