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Trois questions à David Koussens sur la laïcité au Québec

Si le Québec et le Canada sont laïques depuis déjà longtemps, la laïcité fait toujours l’objet de débats houleux, surtout lorsqu’il est question de signes religieux. À l’heure où la constitutionnalité de la Loi sur la laïcité de l'État (Loi 21) est discutée en Cour d’appel, il est certainement pertinent de se demander pourquoi notre épiderme est si sensible lorsqu’il est question de laïcité au Québec.

David Koussens est professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche Droit, religion et laïcité. Nous lui avons demandé de nous expliquer les enjeux qu’englobe le concept de laïcité.

Pourquoi y a-t-il autant de tension quand on parle de laïcité?

Pour comprendre les tensions qui gravitent autour du sujet de la laïcité, il faut revenir à la définition même de ce concept. « C'est quoi la laïcité? C'est un principe d'organisation politique, par lequel un État va se séparer progressivement des Églises, des religions, va être neutre à l'égard des différentes conceptions religieuses qui peuvent être présentes dans la sphère publique. Et tout ça pourquoi? Pour garantir au mieux la liberté de conscience et de religion des citoyens et de tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions religieuses. »

Cette définition, elle est née en 2005, dans le cadre d'une Déclaration universelle sur la laïcité qui a été signée par plus de 250 chercheurs travaillant sur la laïcité et issus de 30 pays différents. On retrouve en filigrane de ce concept quatre principes : la séparation des Églises et de l'État, la neutralité, la liberté de conscience et de religion, et l'égalité, principes qui étaient au cœur du rapport Bouchard-Taylor paru en 2008 au Québec et qu'on retrouve depuis 2019 dans la Loi sur la laïcité de l'État.

Mais ces quatre principes sont interprétés différemment selon les gouvernements et les contextes; c’est pourquoi les positions divergent et les tensions émergent.

La laïcité concerne-t-elle seulement les musulmans et l’islam?

Depuis qu’on parle de laïcité au Québec, on parle beaucoup de port de symboles religieux, notamment par les personnes de religion musulmane. Il y a donc une association qui se fait entre laïcité et islam. « Mais c’est une association qui est tout à fait réductrice », dénonce David Koussens, qui rappelle que les principaux acteurs de la religion et de la laïcité au Québec sont surtout les catholiques.

« La laïcité s'est construite à travers une lutte contre les prétentions cléricales de l'Église catholique et à travers une réappropriation par l'État de certaines institutions publiques comme l'éducation et les institutions sanitaires et sociales. »

Il y a donc bien d'autres groupes religieux que les musulmans qui peuvent être concernés par les questions de laïcité. Qu’on pense aux évangéliques qui sont de plus en plus présents dans les débats publics.

« Mais il n’y a pas que les groupes religieux qui sont concernés par les questions de laïcité. Il y a aussi des groupes laïques, comme les femmes, les communautés LGBTQ, par exemple, qui sont directement touchées par la laïcité, parce qu’elle leur permet de se séparer de la normativité religieuse qui leur a été défavorable. »

Quels sont les enjeux actuels de laïcité, hormis les symboles religieux?

« Les symboles religieux, ça n'est qu'un enjeu de laïcité, c'est le visible, c'est la face émergée de l'iceberg. Mais il y a toute une face immergée de l'iceberg laïque, ce qu'on ne voit pas et qui est aussi important, voire d'autant plus important. La laïcité au Québec, elle s'est construite à travers un principe de séparation des Églises et de l'État. On va le voir sur tout un ensemble de lois qui ne sont pas qualifiées comme laïques dans le débat social, mais qui pourtant sont d'importantes lois de laïcité ou d'importants moments de laïcité. »

La dépénalisation de l'avortement est un important enjeu de laïcité. En 2005, quand on ouvre le mariage aux conjoints de même sexe, c'était un important moment de laïcité pour lequel les principaux opposants ont d’ailleurs été les groupes religieux. Aujourd'hui, un des débats majeurs de laïcité, c'est tout ce qui concerne l'aide médicale à mourir, qui implique une dissociation de la loi religieuse et de la loi civile et à laquelle s'opposent d'ailleurs les groupes religieux.


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