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Texte tiré du magazine Paroles de droit – Hiver 2016

Pour une recherche fondamentale socialement pertinente sur la laïcité

Safa Ben Saad, chercheure postdoctorale, et Daniel Chevalier, doctorant en études du religieux contemporain, en compagnie du titulaire de la Chaire, David Koussens.
Safa Ben Saad, chercheure postdoctorale, et Daniel Chevalier, doctorant en études du religieux contemporain, en compagnie du titulaire de la Chaire, David Koussens.
Photo : Université de Sherbrooke

Alors même qu’on avait longtemps pensé que la religion serait évacuée de la société avec les progrès de la science et du savoir, les prédictions sécularistes ne se sont pas réalisées et la modernité elle-même a constitué un terreau fertile aux transformations et à la prolifération des formes de croyance. Les systèmes de croyance n’ont pas disparu, ils se sont transformés. Certes, le paysage religieux n’est pas bouleversé pour autant, mais l’apparition de nouvelles quêtes de sens que la modernité n’aurait pas permis de combler ou l’arrivée de croyances culturellement ancrées dans des territoires étrangers via les flux migratoires en sont désormais des composantes incontestables. La multiplication des groupes religieux minoritaires ayant pignon sur rue dans les grandes villes occidentales, l’attraction croissante suscitée par les groupes évangéliques, la montée des courants charismatiques et la visibilité de certaines pratiques orthodoxes juives ou musulmanes sont ainsi autant de phénomènes qui interrogent désormais l’État et le droit en termes de régulation de la diversité religieuse.

Comprendre les aménagements de la laïcité

La popularisation du mot « laïcité » est à la fois récente et rapide en contexte québécois. Son usage dans le langage courant était en effet encore quasiment inexistant dans les années 1990 et ce n’est que depuis une dizaine d’années que ce mot acquiert une certaine notoriété publique dans la province. Le plus souvent, c’est alors dans des contextes de tensions liées à la visibilité d’un religieux qui n’est pas normalisé dans la culture de la société, voire de la nation, et par là-même de situations de conflits entre des valeurs en opposition – ou présentées comme telles dans les débats publics – que ce mot « laïcité » est le plus fréquemment employé. Au Québec, il rencontre donc une première notoriété publique à partir de la crise des accommodements raisonnables en 2006, puis rejaillit ensuite fortement dans le débat public québécois, en 2013, avec l’annonce par le ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne du Québec d’un projet de « Charte affirmant les valeurs de laïcité ».

La pluralité des origines philosophiques, la complexité de son parcours historique et l’absence de toute définition juridique de la laïcité ne permettent que difficilement aux citoyens de s’en saisir. En témoignent les récentes enquêtes d’opinion attestant de la multiplicité des contenus attribués par les citoyens à la notion, et par conséquent de la difficulté de s’accorder pour définir ce qu’ils considèrent néanmoins être aujourd’hui une valeur partagée. À l’heure où la laïcité est un sujet fortement débattu dans la société (au Québec, mais aussi dans de nombreux États européens), la Chaire de recherche Droit, religion et laïcité a pour but d’alimenter la recherche fondamentale en analysant les représentations sociales véhiculées dans les débats sur la laïcité et les dispositifs juridiques de régulation de la diversité religieuse. Ces recherches, menées dans une perspective comparatiste et interdisciplinaire, permettent ainsi de retracer les corrélations ou les divergences entre les conceptions de la laïcité que l’on peut déceler dans le champ narratif et la réalité des aménagements juridiques qui régulent le religieux dans la société.

Contribuer à la vie scientifique de la Faculté de droit

La Chaire de recherche Droit, religion et laïcité contribue activement à la vitalité scientifique de la Faculté de droit en organisant de nombreux évènements qui associent des chercheurs de renommée internationale, des représentants des milieux politiques, institutionnels ou communautaires, des leaders religieux et des étudiants pour réfléchir aux nouveaux défis suscités par la pluralité des valeurs en présence dans nos sociétés contemporaines : port du voile intégral, débat sur la « Charte des valeurs », polygamie, place de la religion en entreprise. Pour mieux saisir ces nouveaux enjeux qui dépassent souvent nos frontières nationales, de nombreuses collaborations ont été mises en place au cours des dernières années avec plusieurs universités au Québec, bien sûr, mais aussi en Amérique du Nord et en Europe.

Développer un savoir pertinent socialement

Au cours des dernières années, la Chaire s’est engagée activement dans les débats sur la laïcité qui ont animé le Québec. Pourquoi un tel engagement est-il aussi indispensable? La plupart des débats ont évacué les expertises qui, en droit, en sciences de l’éducation ou en sciences sociales, auraient permis une ouverture plus sereine de la discussion. Ces expertises sont pourtant indispensables sur un sujet aussi sensible qu’est celui de la laïcité, non seulement en raison de la complexification croissante du champ religieux mais aussi de l’importance pour l’État laïque d’en comprendre les manifestations pour garantir le plus adéquatement la liberté de conscience et de religion des citoyens. La neutralité de l’État à l’égard des conceptions de la vie bonne nécessite en effet une approche objectivée du champ religieux, ce qui souvent fait défaut dans le débat public. L’engagement de la Chaire permet ainsi de rappeler l’importance des recherches menées au Québec sur la laïcité, mais aussi de défendre la mission universitaire consistant à produire et transmettre des savoirs ouverts ainsi qu’un esprit critique participant aux transformations de la société. C’est là que réside en effet la double mission des enseignants-chercheurs : favoriser la transmission des connaissances et l’émergence d’une réflexion ancrée dans l’histoire et prenant en compte les contextes sociopolitiques et juridiques dans lesquels nous vivons. C’est donc également par une présence active dans la collectivité, en partenariat constant avec les milieux institutionnels et communautaires, que la Chaire contribue à produire un savoir socialement pertinent, à lutter contre les préjugés et à promouvoir les droits fondamentaux pour favoriser un meilleur vivre-ensemble.


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