L'un des textes gagnants du Concours de vulgarisation scientifique 2020
Prostitution juvénile ou exploitation sexuelle? Un dilemme pour les professionnels des milieux de réadaptation
Noémie, 15 ans, est de retour en centre de réadaptation en raison de comportements de prostitution. André, son intervenant, a remarqué des changements importants chez Noémie depuis son dernier placement, et s’inquiète de son état. Il a l’impression qu’elle s’isole et qu’elle évite les discussions sur ce qui s’est passé à l’extérieur du centre de réadaptation. Elle est constamment en état d’alerte, dort peu et semble épuisée. André se questionne sur l’approche à privilégier pour intervenir auprès de Noémie. Devrait-il tenter de la responsabiliser face à ses comportements de prostitution, ou plutôt l’accueillir comme une victime d’exploitation sexuelle?
Un changement majeur dans l’approche des victimes
La situation de Noémie est complexe et présente un défi important pour les intervenants. Jusqu’à récemment, les comportements de prostitution juvénile étaient perçus comme un trouble du comportement, insistant sur la responsabilité des jeunes dans une telle situation. Mais de nos jours, on parle plutôt d’une forme d’exploitation sexuelle, soulignant le contexte de vulnérabilité dans lequel ces comportements ont lieu. Ainsi, tout acte sexuel commis par une personne mineure dans un contexte où un individu ou un groupe tire un avantage d’une situation de pouvoir et implique une compensation quelconque (argent, hébergement, nourriture, drogues, etc.) est désormais reçu comme une forme d’exploitation. Dès lors, il est possible d’imaginer toutes sortes de conséquences psychologiques de l’exploitation sexuelle à l’adolescence. Qu’advient-il de ces adolescentes lorsqu’elles entrent dans la vie adulte? Est-ce que ces séquelles persistent?
Des conséquences à long terme
Pour mieux comprendre les effets traumatiques à long terme de l’exploitation sexuelle à l’adolescence, les professeures Nadine Lanctôt (Université de Sherbrooke), Joan A. Reid (University of South Florida) et Catherine Laurier (Université de Sherbrooke) ont rencontré 125 adolescentes nouvellement admises en centre de réadaptation et les ont suivies jusqu’à leur transition à l’âge adulte. La plupart des adolescentes rencontrées ont rapporté avoir été exposées à d’autres types d’évènements traumatiques au cours de leur enfance (abus physiques, émotionnels, sexuels; négligence). Leurs résultats indiquent qu’au même titre que les abus sexuels vécus avant l’âge de 13 ans et que les symptômes traumatiques subis au début de l’adolescence, l’exploitation sexuelle durant l’adolescence a significativement contribué au développement de symptômes traumatiques présents au début de l’âge adulte de ces jeunes femmes. Ces résultats suggèrent que les adolescentes ayant subi de l’exploitation sexuelle ont vécu des évènements traumatiques qui excèdent les moyens dont elles disposent pour y faire face et contribuent au développement de symptômes persistant jusqu’à l’âge adulte. Ces symptômes incluent l’hypervigilance (avoir constamment peur que quelque chose de grave se produise), les pensées intrusives (revivre les évènements traumatiques, cauchemars), l’évitement (éviter tout ce qui fait penser aux évènements traumatiques) et la dissociation, une réaction qui amène la personne à se détacher de son expérience, car trop difficile à supporter.
Intervenir, mais comment?
Le fait de comprendre l’exploitation sexuelle comme une forme de traumatisme permet d’aider plus adéquatement les jeunes filles comme Noémie. Pour améliorer les services qui leur sont offerts, les chercheuses recommandent, entre autres, d’éviter la culpabilisation et de favoriser les expériences positives en s’assurant d’établir un climat chaleureux, des relations saines ainsi que des alliances thérapeutiques constructives. En plus de ces recommandations axées sur la promotion d’un environnement sécurisant, il y a lieu de se demander quelles forces chez les adolescentes pourraient être mobilisées pour favoriser leur rétablissement. Par exemple, malgré les difficultés de Noémie, André a remarqué sa grande persévérance et a choisi de mettre cette force de l’avant dans son plan d’intervention.
Une voie plus humaine, qui contribuera au développement et à la mise en place de pratiques plus efficaces pour faciliter la réadaptation de ces jeunes en difficulté.
À propos d'Anne-Marie Ducharme
Étudiante au doctorat en psychoéducation à l'université de Sherbrooke, sous la co-supervision de Catherine Laurier et de Nadine Lanctôt, son projet de thèse porte sur les conséquences traumatiques à long terme de l'implication dans un gang de rue chez les adolescentes en difficulté.
À propos de Mégan Rollin
Étudiante à la maîtrise en psychoéducation à l’Université de Sherbrooke, sous la supervision de Katherine Pascuzzo, son projet de mémoire porte sur l’influence de la relation avec les parents sur l’alliance thérapeutique et le climat de groupe chez les adolescentes hébergées en centre de réadaptation.
À propos du concours
L’Université de Sherbrooke tient annuellement le Concours de vulgarisation scientifique, dont les objectifs sont de stimuler des vocations en vulgarisation scientifique et d’augmenter le rayonnement des travaux de recherche qui s’effectuent à l’Université, qu’ils soient de nature fondamentale ou appliquée.