Détresse relationnelle et violence entre partenaires intimes
Lancement de la première chaire de recherche en psychologie à l’UdeS
Sherbrooke, le 14 mai 2025 – Le cadre vous est familier : vous êtes dans la cuisine, au milieu des chaudrons, avec votre partenaire. Et vous êtes en désaccord. Le ton monte, les mâchoires se crispent. Puis c’est trop tard : les insultes s’invitent au souper. Peut-être aussi les coups sur la table, ou dans le mur. Les coups au cœur, assurément. Qu’est-ce qui pousse une personne qui en aime une autre à poser ces gestes-là, voire d’autres, encore plus graves?
Cette question guide les recherches menées par Audrey Brassard, professeure au Département de psychologie et titulaire de la nouvelle Chaire de recherche du Canada sur la détresse relationnelle et la violence entre partenaires intimes. « Lors de situations de violence entre partenaires intimes, la priorité, c’est toujours de protéger les victimes, à la fois les partenaires qui vivent la violence et les enfants qui en sont témoins », souligne Audrey Brassard.
Mais l’idéal, ce serait que ces situations ne se produisent pas du tout. Afin de les réduire, la professeure et son équipe s’intéressent aux gens qui les créent. « Comprendre ce qui, dans le parcours d’une personne, participe à ses comportements violents permet d’identifier des manières de l’outiller pour qu’elle agisse autrement. Ça reste un choix, la violence. Et c’est un peu ce qu’elles apprennent, en intervention, les personnes qui ont ces comportements-là : tu as toujours le choix de faire autrement », selon Audrey Brassard.
En effet, l’équation est simple autant qu’elle est complexe : plus une personne identifie ses comportements violents grâce à un accompagnement professionnel et comprend les contextes dans lesquels ils surviennent, plus elle peut développer des outils efficaces pour les éviter. Or la somme de ces actions dépasse, de loin, le seul individu. Elles affectent ses proches, d’abord, puis s’étendent à toute une collectivité.
Au Canada, les coûts sociaux de la violence entre partenaires intimes sont estimés à plus de 7,4 milliards de dollars par an. Les effets de la détresse relationnelle, eux, sont souvent moins observables et donc plus difficiles à chiffrer. Mais ils sont réels. « Être malheureux ou malheureuse dans sa relation intime, par exemple vivre beaucoup de conflits, c’est associé à plusieurs problèmes de santé physique et psychologique. C’est même lié à une espérance de vie plus courte », explique la chercheuse. De plus, violence comme détresse peuvent affecter les enfants, augmentant ainsi les risques que ces comportements se perpétuent d’une génération à l’autre.
Pourquoi parler de violence entre partenaires intimes plutôt que de violence conjugale?
La violence entre partenaires intimes permet de considérer les personnes de différentes orientations sexuelles, de statuts relationnels plus larges. Elle couvre aussi des comportements violents plus larges, par exemple sans objectif de contrôle sur l’autre, voire une violence exercée par les deux partenaires. Approcher la violence de cette façon élargit le champ d’études et d’actions.
Des facteurs de risque qui grugent les fondations
Les travaux de l’équipe d’Audrey Brassard montrent en effet que les traumas interpersonnels et les insécurités d’attachement développés lors de l’enfance accroissent les risques de vivre de la détresse relationnelle comme de perpétrer ou de subir de la violence.
Souvent vécus dans la famille d’origine, les traumas interpersonnels incluent la violence physique, psychologique et sexuelle autant que la négligence physique et émotionnelle. La liste est donc longue : ne pas pouvoir manger à sa faim ni prendre soin de son corps, ne pas sentir sa valeur aux yeux des autres, ni avoir sa place au sein de la famille… Finalement, les traumas interpersonnels comprennent aussi l’intimidation expérimentée à l’école, lors de l’enfance ou de l’adolescence.
« Les traumas interpersonnels, c’est un ensemble d’événements qui peuvent vraiment fragiliser la personne, puis interrompre l’acquisition de compétences qui l’aideraient en relation, comme l’expression et la connaissance de soi ou la capacité à réguler ses émotions », affirme Audrey Brassard.
Les insécurités d’attachement entre l’enfant et les figures stables de sa vie, notamment ses parents, influencent sa vision de lui-même et des autres. Elles sont susceptibles de compliquer ses relations à l’âge adulte, par exemple en exacerbant sa jalousie, son envie de contrôle ou sa méfiance envers autrui.
D’ailleurs, les insécurités d’attachement jumelées à des périodes particulièrement stressantes dans la vie de couple exacerbent également les risques de détresse relationnelle. Naissance d’un enfant ou épreuves de vie : ces périodes testent les liens entre partenaires et leur capacité à s’offrir du soutien. La clé?
« L’intimité améliore la qualité de la relation – et pas que l’intimité sexuelle, bien qu’elle y participe aussi. C’est plus au sens d’être capable de se dévoiler, d’accueillir et de ne pas juger l’autre. L’intimité est centrale à une adaptation souple du couple aux épreuves », ajoute Audrey Brassard. La bonne nouvelle? Ces facteurs de risque ne sont pas immuables. Ils peuvent tous s’atténuer.
Des interventions qui laissent la violence sur le seuil
La chaire collabore avec plusieurs organismes qui offrent des services aux couples vivant une situation stressante ou aux gens commettant des actes de violence, par l’entremise de l’association À cœur d’homme, notamment.
Son objectif est double : s’assurer que les équipes d’intervention ont accès aux connaissances les plus récentes et les appuyer dans la personnalisation de leurs interventions.
« Ce qu’on leur a proposé, c’est de développer ensemble un questionnaire d’accueil systématique, détaille la titulaire. Chaque personne qui vient chercher de l’aide y répond. Ensuite, mon équipe analyse l’information et retourne une synthèse à l’équipe d’intervention. »
Cette synthèse est un outil précieux pour adapter la manière de parler à l’individu en traitement. Elle permet d’explorer, avec lui, sa responsabilité dans les conflits et les actes qu’il pose. Elle facilite aussi le développement de stratégies de gestion de soi, notamment en tablant sur ses forces.
« Mon équipe traite entre 4000 et 5000 questionnaires par année. Nos échanges avec nos partenaires suggèrent que cette personnalisation-là donne de meilleurs résultats sur le terrain. Le moment est venu de tester, avec de rigoureux outils de recherche, si ça améliore l’efficacité de l’intervention », mentionne Audrey Brassard.
Des recherches qui ouvrent la porte à plus de guérison
Un des objectifs de la chaire est donc de valider scientifiquement plusieurs hypothèses liées à la personnalisation des soins et aux mécanismes de changement. Elle vise aussi à explorer si des personnes répondent mieux ou moins bien à l’intervention, afin de tenter d’améliorer son succès. Succès?
« Le succès, c’est arrêter la violence, oui. Et c’est aussi beaucoup plus que ça. La personne change en cours de processus. Elle change son regard sur elle-même, sur son ou sa partenaire. Mais elle prend aussi conscience des impacts de ses comportements sur ses enfants. Elle trouve là des leviers forts pour s’améliorer comme parent et comme partenaire », souligne Audrey Brassard.
Ainsi, comme elle redonne directement les fruits de ses recherches aux équipes d’intervention, la chaire rejoint les gens qui souffrent, contribuant ainsi à briser le cycle de transmission intergénérationnelle de la détresse et de la violence. De plus, Audrey Brassard et son équipe étudieront la situation de partenaires de la diversité sexuelle et de genre. Il y a fort à faire pour établir un portrait juste de leur réalité.
« En ce moment, la chaire documente leur expérience de transition à la parentalité. En quoi est-elle semblable? Différente? Par exemple, ces couples auront plus souvent recours à la procréation médicalement assistée. Qu’est-ce que ça change dans leur relation, dans leur stress? »
« Quand les gens issus de la diversité sexuelle et de genre viennent chercher de l’aide pour des gestes violents, ils délaissent l’intervention de façon plus précoce. On pense que c’est parce qu’ils ne se reconnaissent pas dans les services. Alors on veut savoir comment adapter les interventions pour qu’elles leur parlent davantage. »
– Audrey Brassard
La chaire agira aussi en prévention. Une partie de son mandat est d’évaluer une plateforme de sensibilisation en ligne, pour aider les gens à reconnaître et diminuer leurs comportements violents.
Aux yeux de la professeure et psychologue clinicienne, la Belle Province est un terreau fertile pour cette plateforme : « Au Québec, environ 30 % des personnes qui reçoivent des services y sont légalement tenues, contre 90 ou 95 % ailleurs dans le monde. La majorité est volontaire et veut changer. Ça parle de tous nos efforts de sensibilisation. Ça parle aussi de la plus faible acceptation sociale de la violence. »
« Mon rêve, c’est de voir la violence au sein des relations intimes diminuer, et que le Québec soit vraiment une figure de proue dans ce mouvement-là. » Assurément, la chaire d’Audrey Brassard participera à ce que son rêve se réalise… comme un paratonnerre en plein milieu de nos cuisines.
Chaire de recherche du Canada en détresse relationnelle et violence entre partenaires intimes
En combinant des méthodes de pointe avec des partenariats communautaires établis, la chaire vise à fournir des données indispensables à l’évaluation et à l’amélioration des programmes de prévention et de traitement, pour réduire la détresse relationnelle et la violence entre partenaires intimes. Première chaire au Département de psychologie de l’Université de Sherbrooke, elle reçoit un financement sur sept ans, pour un montant total de 1,4 M$, octroyé par le Programme des chaires de recherche du Canada.
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Renseignements :
Isabelle Huard, conseillère en relations médias
Service des communications | Université de Sherbrooke
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