Enquête de l’Université de Sherbrooke sur les impacts psychosociaux de la pandémie
L’anxiété et la dépression : une deuxième catastrophe au Québec
Sherbrooke, le 29 septembre 2020 – De nouvelles données révèlent que la population québécoise se sent particulièrement secouée par la pandémie qui sévit, mais que des mesures de santé publique ciblées pourraient contribuer à amoindrir le choc.
En juin dernier, l’enquête internationale menée par une équipe de l’Université de Sherbrooke démontrait que l’anxiété et la dépression occasionnées par la pandémie étaient manifestes, quoique moins répandues au Canada et au Québec que chez nos voisins du Sud, les États-Unis. À l’aube de la saison automnale et des longs mois d’hiver, qu’en est-il de l’humeur de la population québécoise face à la pandémie? Sept directions régionales de santé publique ont souhaité obtenir un portrait de la situation actuelle ainsi que des recommandations adaptées à leurs réalités régionales.
Enquête complémentaire menée au Québec
- Enquête Web menée par la firme Léger auprès de 6 261 adultes du 4 au 14 septembre 2020.
- Sept régions sociosanitaires du Québec sont représentées : Mauricie-Centre du Québec, Estrie, Montréal, Laval, Lanaudière, Laurentides et Montérégie.
Sept régions sociosanitaires du Québec sous la loupe
Pour ce volet complémentaire à l’étude internationale, on remarque que l’anxiété et la dépression touchent un grand nombre de personnes au Québec. En effet, un adulte sur 5 aurait eu des symptômes compatibles avec un trouble d’anxiété généralisée ou une dépression majeure au cours des deux dernières semaines.
La situation se corse encore plus en zone urbaine, en particulier à Montréal, où pas moins d’un adulte sur 4 aurait eu des symptômes d’anxiété ou de dépression au cours de cette même période.
« Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que les niveaux de dépression et d’anxiété au Québec sont actuellement considérablement plus élevés que ce qui était observé en pré-pandémie. Ces chiffres s’apparentent aux niveaux observés dans la communauté de Fort McMurray, 6 mois après les feux de forêt de 2016 », illustre la professeure-chercheuse Mélissa Généreux de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke.
Les jeunes adultes, les anglophones et le personnel de la santé parmi les plus affectés
Dans l’ensemble des régions, certains groupes de personnes sont plus touchés par les impacts psychosociaux que d’autres. Les résultats de l’étude permettent d’en distinguer trois : les jeunes adultes, plus particulièrement ceux entre 18 et 24 ans, les anglophones et le personnel du milieu de la santé.
« On découvre que 37 % des adultes de 18 à 24 ans rapportent des symptômes anxieux ou dépressifs dans les deux dernières semaines. C’est troublant de voir qu’une portion significative de nos jeunes se porte mal. Il est tout aussi marquant de constater que les personnes anglophones ont un risque deux fois plus élevé que les francophones de présenter des symptômes anxieux ou dépressifs », explique la professeure Généreux.
Cette différence pourrait s’expliquer par des répercussions directes plus grandes de la pandémie, plus de stigmatisation, plus de méfiance envers les autorités, l’utilisation de différentes sources pour s’informer au sujet de la COVID-19 et plus de fausses croyances chez ces deux groupes de la population (jeunes adultes et anglophones).
Quelques faits saillants de l’étude :
- Les personnes qui ont des enfants à domicile et qui vivent des difficultés psychologiques liées à la pandémie sont touchées uniquement par l’anxiété, alors que celles dont le niveau d’éducation est faible sont plutôt touchées par la dépression.
- Le personnel de la santé est plus à risque de ressentir l’impact psychosocial de la pandémie, et les symptômes dépressifs (24,5 %) sont particulièrement fréquents chez ce groupe.
- La stigmatisation touche actuellement près d’un adulte sur 10. Les principales victimes de la stigmatisation sont les personnes ayant eu la COVID-19 ou ayant été contact avec un cas de COVID-19, les jeunes adultes, le personnel du milieu la santé, les personnes anglophones, les personnes immigrantes (surtout celles d’origine asiatique) et les Montréalais. Une telle stigmatisation double le risque d’anxiété ou de dépression.
- À l’heure actuelle, seuls 2 adultes sur 3 seraient prêts à recevoir un vaccin homologué contre la COVID-19, alors que 16 % le refuseraient et 19 % hésiteraient à le recevoir. La proportion de refus est en hausse depuis le début de l’été et est nettement plus élevée que ce qui est habituellement observé pour la vaccination de la petite enfance (moins de 5 %).
- Les facteurs associés aux troubles de santé mentale en temps de pandémie sont les mêmes que ceux associés au refus de la vaccination. En agissant sur ceux-ci, on peut donc espérer lutter à la fois contre les problèmes de santé mentale, mais aussi éventuellement contre la transmission du virus (par de meilleurs taux de vaccination dans la population).
Quels sont les facteurs qui provoquent ces troubles de santé mentale?
En temps de pandémie, plusieurs facteurs peuvent augmenter ou réduire les chances de développer un trouble de santé mentale.
« D’abord, le sentiment de cohérence, qui est la capacité de comprendre, de maitriser et de donner du sens aux événements stressants. Ce premier facteur est de loin le plus fortement lié à la santé psychologique en temps de pandémie. Les personnes qui disposent d’un sentiment de cohérence élevé sont 4 fois moins à risque de souffrir d’une dépression majeure.
Le sentiment de cohérence joue un rôle dans la manière dont les individus s’approprient l’information véhiculée à travers les différents canaux au sujet du coronavirus. Ainsi, les personnes ayant un faible sentiment de cohérence adhèrent davantage à de fausses croyances, ce qui alimente leur anxiété et leur dépression », précise la professeure Généreux.
En plus du sentiment de cohérence et des fausses croyances, des facteurs comme se sentir victime de stigmatisation, avoir un faible niveau de confiance envers les autorités, percevoir la COVID-19 comme une menace élevée pour soi-même ou sa famille et utiliser régulièrement Internet comme source d’information au sujet du coronavirus peuvent provoquer l’apparition de symptômes anxieux ou dépressifs.
Pour minimiser l’impact de la pandémie sur le moral
Outre recueillir des données, l’équipe responsable de cette enquête émet des recommandations visant à lutter contre les impacts psychosociaux de la pandémie. « Il est primordial de reconnaitre l’ampleur des impacts psychosociaux de la pandémie au Québec, ce que plusieurs appellent la deuxième catastrophe, soutient la professeure Généreux. Des solutions efficaces existent pour les minimiser. Il suffit d’y consacrer suffisamment d’effort et de ressources. »
Quatre pistes d’action recommandées
- Déployer des équipes spécialisées en psychiatrie au sein de la population.
- Mieux outiller les services de première ligne, et mettre sur pied un réseau citoyen sentinelle formé en premiers soins psychologiques.
- Renforcer le soutien communautaire en offrant, entre autres, un meilleur soutien aux travailleuses et aux travailleurs essentiels, en particulier dans le milieu de la santé.
- Adapter les services de base, par exemple, en implantant des mécanismes pour répondre aux besoins psychosociaux des groupes en situation de vulnérabilité (ex. : insécurité alimentaire, itinérance).
À propos du projet de recherche
Une équipe multidisciplinaire de l’Université de Sherbrooke mène une analyse comparative internationale de l’influence des stratégies de communication et des discours dans les médias sur la réponse psychologique et comportementale des populations face à la COVID-19. Cette équipe est composée des professeurs Gabriel Blouin-Genest (politique), Marie-Ève Carignan (communication), Olivier Champagne-Poirier (communication), Marc D. David (communication), Mélissa Généreux (santé publique) et Mathieu Roy (santé publique), complétée par des chercheuses et des chercheurs internationaux provenant de sept autres pays. L’équipe est appuyée par le professeur Jean-Herman Guay (politique) et par la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents, notamment par son cotitulaire, le professeur David Morin (politique).
L’objectif principal du projet est d’analyser la perception et l’interprétation des messages de santé publique (Organisation mondiale de la santé et gouvernements) et d’autres sources d’information (médias et autres) par les citoyennes et les citoyens ainsi que les effets psychosociaux de la crise de la COVID-19 sur ceux-ci.
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Renseignements :
Geneviève Lussier, conseillère en relations médias
Service des communications | Université de Sherbrooke
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