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Acfas 2021

Finances publiques et COVID-19 : va-t-on s’en remettre?

Avec la coûteuse gestion de la pandémie, sommes-nous en train d'hypothéquer le futur de nos enfants?
Avec la coûteuse gestion de la pandémie, sommes-nous en train d'hypothéquer le futur de nos enfants?
Photo : Michel Caron UdeS 2018

La COVID-19 bouleverse nos vies. Imaginez à quel point elle bouleverse les finances publiques! Va-t-on s’en remettre, comme société? La situation est préoccupante, mais elle n’est pas alarmante, nous disent deux expertes.

Lorsqu’on discute avec des expertes en finances publiques comme la professeure Lyne Latulippe et la professionnelle de recherche Julie St-Cerny-Gosselin, on est soulagé d’apprendre que les enjeux et les défis économiques liés à cette pandémie sont multiples, mais qu’il existe des solutions. Même si on n’avait rien vu de tel depuis la fin de la Première Guerre mondiale! Sauf que les enjeux qui étaient là avant la crise ne disparaitront pas, comme le vieillissement de la population et les changements climatiques.

Pre Lyne Latulippe, chercheuse principale à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques.
Pre Lyne Latulippe, chercheuse principale à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques.
Photo : Fournie

Les deux chercheuses qui évoluent au sein de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques organisent le colloque Finances publiques et défis sociétaux dans le contexte de « l’avec-COVID ». Une occasion unique pour comprendre dans quoi on s’embarque.

Comme dans une cellule de crise

Julie St-Cerny-Gosselin, professionnelle de recherche à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques.
Julie St-Cerny-Gosselin, professionnelle de recherche à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques.
Photo : Michel Caron UdeS

Jour 1 de la crise en mars 2020, l’équipe de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques a déjà compris que de profonds bouleversements se pointent à l’horizon. Elle passe les semaines et les mois suivants à surveiller les décisions des gouvernements, ici et ailleurs, les besoins des populations, les nouvelles politiques, leur impact sur l’économie. « Au début, c’est certain que l’impact a été considérable puisqu’on a fermé l’économie. Mais tous les pays sont dans le même bateau. Ce n’est pas alarmant parce que tout le monde rame dans le même sens », nous rassure la professeure Latulippe, qui est la chercheuse principale de la Chaire.

En fait, il y a une partie de la crise économique qui vient du fait qu’on met des mesures sanitaires en place. Lorsque ces mesures seront retirées, l’économie reprendra, tout simplement. « C’est une grosse crise économique et sanitaire, qui entraine un choc au niveau des finances de l’État : moins de recettes, augmentation des dépenses, augmentation de la dette. Mais une fois que la crise sera terminée, l’économie devrait revenir assez rapidement à la normale », soutient Julie St-Cerny-Gosselin.

Mais ce qui ne rentrera pas dans l’ordre comme par magie, ce sont les problèmes qui étaient là avant, et que la crise a exacerbés : les inégalités, le vieillissement de la population, les changements climatiques, les GAFAM qui ne participent pas à l’effort collectif.

C’est tout un casse-tête, qui nécessite des analyses et des experts tous azimuts, pour comparer les décisions prises par nos gouvernements avec celles des autres pays et celles des crises antérieures, faire des projections concernant les impacts sur les finances publiques, sur les communautés, sur les femmes, sur les ménages défavorisés, sur les générations futures, etc.

Le problème des changements climatiques ne se résoudra pas comme par magie après la pandémie.
Le problème des changements climatiques ne se résoudra pas comme par magie après la pandémie.
Photo : Fournie

Or ce casse-tête, c’est la recherche qui permet de le résoudre. Pas étonnant que les décideurs politiques fassent partie de l’audience de la Chaire en fiscalité et en finances publiques. « L’objectif de la Chaire, c’est toujours d’éclairer le débat et la prise de décision. Nous menons des recherches fondamentales, mais nous assurons aussi un suivi de ce qui se passe, explique la professeure Latulippe. Le colloque va nous permettre d’échanger avec les collègues d’autres universités, de les amener dans cette discussion avec nous, de voir des angles que nous regardons moins, de voir d’autres expertises. Cet échange a une valeur incroyable, qui apporte beaucoup à la réflexion. »

Que doit-on faire avec les gourmandes multinationales?

S’il existe des privilégiés de la pandémie, les géants de l’économie numérique en font partie. La société civile et les activistes avaient sonné l’alarme bien avant la crise actuelle. Sauf que maintenant que tous les pays font face à une hausse des dépenses publiques, conjuguée à la diminution des recettes fiscales, comment s’assurer que les GAFAM payent leur juste part, jouent un rôle positif dans l’après-COVID, sans refiler la facture aux consommateurs?

L’OCDE arrive avec des propositions très intéressantes, dont la mise en place d’un impôt minimum global.

Mais qui va payer en bout de ligne? Est-ce que ce sera le consommateur à qui on refilera la facture? Est-ce qu’on est conscient de ça? Est-ce qu’on peut l’évaluer? Est-ce qu’on est d’accord avec ça?

Professeure Lyne Latulippe

Julie St-Cerny-Gosselin en connait long sur ce sujet. Dès son arrivée à la Chaire en 2015, elle s’est intéressée à la quantification des pertes de recette fiscales liées aux activités de transfert de bénéfices par les multinationales. « Notre rôle est surtout d’essayer de comprendre et d’éclairer le débat. La fiscalité internationale peut être assez complexe. Moralement, on veut que les multinationales paient leur juste part, mais dans les faits, ce sont des recettes fiscales assez minimes pour chacun des pays. Rappelons-nous que l’impôt sur le revenu des sociétés ne finance qu’une petite partie des services publics. C’est donc beaucoup d’efforts pour peu de retombées... Mais ce paradoxe est intéressant. »

Les fossés qui se creusent

C’est une évidence, la pandémie a creusé le fossé des inégalités. Or le Québec fait plutôt bonne figure en matière d’équité. « L’état des lieux nous permet de voir où se situait le Québec avant la crise et où il se situe maintenant. En général, on constate que le système québécois fait mieux que celui des autres provinces. Il y a une meilleure redistribution des revenus, notamment avec notre système fiscal assez progressif », explique Julie St-Cerny-Gosselin.

D’ailleurs la pandémie a ramené le débat au sujet du revenu minimum garanti. C’est un sujet plus complexe qu’il n’y parait. Qu’est-ce qu’on entend par protection sociale? Qui sont les gagnants et les perdants d'un tel système?

Avec toutes les mesures d’aide et la gestion coûteuse de la pandémie, sommes-nous en train de pelleter le problème dans la cour de nos enfants? C’est toute la question de l’équité intergénérationnelle à laquelle s’intéresse aussi la recherche. Julie St-Cerny-Gosselin est inquiète.

Si la croissance économique ne permet pas de réduire la dette, c’est sûr qu’on va léguer à nos enfants une dette importante. Et si on n’aborde pas rapidement comme société les problèmes de changements climatiques, qu’est-ce qu’on va léguer à nos enfants?

Julie St-Cerny-Gosselin

Les crises font des gagnants et des perdants. Elles sont souvent aussi l’occasion de transformer le système fiscal. « Si le changement, c’est d’imposer davantage les plus fortunés, il serait probablement inadéquat de considérer ceux-ci comme des perdants dans l’équation », conclut la professeure Latulippe.

Ce sujet a piqué votre curiosité? Le colloque Finances publiques et défis sociétaux dans le contexte de « l’avec-COVID » se tiendra le 3 mai dans le cadre du congrès annuel de l’Acfas, le plus grand rassemblement multidisciplinaire du savoir et de la recherche de la francophonie, qui se déroulera cette année du 3 au 7 mai  2021.