Briser les tabous : l’engagement humain et novateur de Samar Muslemani en ergothérapie

Samar Muslemani, ergothérapeute et candidate au doctorat en recherche en sciences de la santé, incarne l’union parfaite entre science et humanité. Avec son approche profondément empathique et innovante, la jeune femme redéfinit la prise en charge des maladies neuromusculaires. Dans un domaine souvent entouré de tabous, son engagement redessine les contours de la réadaptation et illustre une vision où chaque aspect de la vie du patient ou de la patiente compte.
Originaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, une région où la prévalence des maladies rares est élevée, cette scientifique a été sensibilisée très tôt à des réalités souvent négligées en réadaptation. Sous la direction de la professeure Cynthia Gagnon, directrice scientifique du CIUSSS du Saguenay–Lac-Saint-Jean, elle s’est vu proposer pour son projet de maîtrise professionnelle un sujet délicat, mais crucial : la sexualité dans le contexte des maladies neuromusculaires.
« En assistant à des congrès et en travaillant auprès des patients, [la professeure Gagnon] a réalisé qu’il y avait beaucoup de questions sans réponse. Mais c’est un domaine tellement unique et émergent que ce n’est pas facile d'avoir du financement. Elle a donc décidé de confier le sujet de recherche à des étudiants », explique Samar en relatant la genèse du projet.
Samar a vu dans cette proposition la possibilité de se consacrer à une facette oubliée de l’accompagnement thérapeutique : la dignité et l’intimité des patients et patientes.
Un guide pour briser les silences
Le projet phare de cette étudiante à la recherche et de ses collègues de classe prend alors la forme d’un guide de pratique destiné aux ergothérapeutes. Celui-ci aborde la sexualité, un sujet souvent ignoré dans les évaluations cliniques des patients et patientes.
« Je trouvais ça injuste parce que la sexualité, souvent, on pense que les personnes en situation de handicap n’en ont pas. Alors que c'est complètement faux. Pour moi, c'était bien important d'aller au fond des choses », explique-t-elle avec conviction.

Photo : fournie (Amélie Fournier, photographe)
Fruit d’une méthodologie collaborative, ce guide s'appuie sur des entrevues et des groupes de discussion avec des ergothérapeutes, et des validations par une sexologue. Les pratiques adaptées à d’autres contextes, comme les blessures médullaires ou l’arthrite, ont été utilisées pour élaborer les premières versions du guide. L’objectif est clair : fournir des outils concrets pour surmonter les barrières qui empêchent de discuter de sexualité en contexte clinique.
Cette innovatrice insiste sur l’importance de l’autonomie des patients et patientes :
C’est de l’empowerment. Je dis toujours que les patients sont les experts de leurs conditions. Moi, je suis plus une guide, une conseillère. J’aime être capable d’offrir les outils, puis les rendre accessibles.
Samar Muslemani, ergothérapeute et candidate au doctorat en sciences de la santé
Une approche ancrée dans la réalité des patients et patientes
Au-delà de ses recherches, Samar se démarque par sa participation à des conférences pour les patients et patientes et leur famille. Ces événements sont conçus pour rendre l’information accessible à ceux qui en ont le plus besoin, au-delà des cercles scientifiques.
« Mes présentations préférées sont celles que j’offre aux personnes atteintes de la maladie et aux familles : c’est ce qui est le plus significatif pour moi », affirme-t-elle.
Lors d’une conférence sur la dystrophie myotonique de type 1, Samar a été profondément marquée par le témoignage d’un jeune homme. Ce dernier décrivait la détresse qu’il ressentait en sachant qu’il était relativement apte à accomplir une tâche physiquement, mais qu’il se sentait mentalement bloqué pour la réaliser. Cette maladie, souvent mal comprise, engendre des atteintes non seulement physiques, mais aussi cognitives, parfois qualifiées de handicaps invisibles. Ces symptômes, comme la difficulté à amorcer des tâches ou à se mettre en action, sont souvent mal interprétés, et les personnes touchées peuvent être injustement perçues comme paresseuses ou désintéressées. Ce témoignage poignant souligne à quel point l’incompréhension des symptômes cognitifs peut peser sur la vie des personnes atteintes de la maladie.
Ces échanges renforcent sa conviction : il faut continuer à faire de l’éducation pour éliminer les préjugés et offrir des solutions concrètes.
L’ergothérapeute se souvient également d’un moment marquant où un de ses patients s’est tourné vers elle grâce au guide pour lui demander des conseils et découvrir des solutions adaptées à ses besoins en matière de sexualité. « On a pu regarder ensemble les différents objets sexuels ou adaptations qui pourraient lui convenir. […] Il y a des ergothérapeutes qui ne sont pas à l’aise d’aborder la sexualité, et c’est super correct, mais l’information est disponible », partage-t-elle.
Un impact en expansion
Le guide, bientôt traduit en anglais grâce à une subvention d’Héritage Canada, répond à une demande croissante en Amérique du Nord. En parallèle, Samar envisage de développer un outil directement conçu pour les patients et patientes, afin de leur permettre de gérer leurs besoins intimes en toute autonomie.
« Si on veut contribuer à l'amélioration des soins et des services, il faut rendre les produits finaux accessibles », souligne-t-elle.
L’Oréal réinvente la beauté : la science féminine à l’honneur
En 2024, Samar a reçu la prestigieuse bourse L’Oréal Canada – UNESCO pour les femmes en science, une distinction qui célèbre les chercheuses et leur contribution exceptionnelle. « C'était merveilleux d'être reconnue pour une cause aussi importante que la place des femmes, la représentation des femmes en science », partage-t-elle avec émotion. Inspirée par ses deux directrices de doctorat, qu’elle considère comme des modèles, soit la professeure Cynthia Gagnon de l’Université de Sherbrooke et la professeure Nathalie Bier de l’Université de Montréal, Samar souligne l’importance de relever les défis encore présents, comme l’équité salariale et l’accès aux rôles de leadership.

Photo : Fournie
Cette reconnaissance met aussi en lumière son travail sur les maladies rares et lui a offert une plateforme pour faire connaître ce domaine. « Grâce à l’expertise développée, nous avons pu annoncer que notre CIUSSS était officiellement le premier à obtenir la désignation de Centre de référence régional interdisciplinaire pour les soins et la recherche en maladies rares », explique-t-elle fièrement. Cette reconnaissance est une occasion de démontrer que non seulement les femmes peuvent briller dans des domaines complexes comme les sciences, mais aussi qu’il est possible de bâtir des carrières et des expertises au féminin, et ce, dans des spécialités aussi exigeantes que les maladies rares.
Une pionnière en ergothérapie et en sciences humaines
Samar Muslemani représente une nouvelle génération de femmes, médecins et chercheuses qui repoussent les limites de leur discipline. Par son travail, elle rappelle que l’ergothérapie est bien plus qu’une pratique médicale : c'est un engagement envers l’humain, un pont entre science, dignité et autonomie. Cette démarche l’a d’ailleurs par la suite motivée à poursuivre un doctorat, qui lui permet de travailler sur des outils innovants pour répondre aux besoins des personnes atteintes de maladies neuromusculaires.
Son parcours est une source d’inspiration pour les personnes professionnelles et étudiantes qui aspirent à transformer les soins par une vision globale et profondément humaine. Avec des projets toujours plus ambitieux, Samar continue d’élargir les horizons de l’ergothérapie, redéfinissant ce que signifie véritablement soigner.