Les trajectoires de vie des animaux sauvages : une nouvelle perspective sur la biodiversité

Photo : Fournie
Les écologistes savent que les individus au sein d’une même population animale peuvent présenter des différences notables. Dans certaines espèces, ces variations sont particulièrement marquées. Prenons l'exemple des saumons quinnats, où les mâles se distinguent en deux formes bien définies : les Jacks, plus petits, qui adoptent des stratégies d’accouplement discrètes, et les hooknoses, plus grands, qui dominent lors des batailles reproductives classiques.
Cependant, chez d’autres espèces, ces différences ne sont pas toujours visibles à l’œil nu, ce qui rend difficile l’identification de groupes d’individus ayant des capacités distinctes en matière de reproduction et de survie. Benjamin Larue, diplômé au doctorat en biologie sous la supervision de la Pre Fanie Pelletier et du Pr Marco Festa Bianchet, en collaboration avec la Pre Sandra Hamel de l'Université Laval, a réalisé des travaux qui ont permis de faire une découverte clé : il est possible de classer les femelles de mouflons en quatre groupes distincts, en fonction de leur masse corporelle, de leur succès reproductif et de leur taux de survie tout au long de leur vie.
Les brebis du groupe le plus performant commencent leur vie avec une masse plus élevée et ont un meilleur taux de reproduction et de survie que celles des autres groupes. Ces brebis bénéficient probablement d'un effet cuillère d'argent, un phénomène où les individus développés dans des conditions optimales conservent des avantages tout au long de leur vie.
En revanche, les brebis des autres groupes ont dû compenser un retard de croissance, ce qui a limité leurs capacités reproductives précoces. Les brebis du quatrième groupe, quant à elles, ont démarré leur vie dans des conditions particulièrement défavorables, ce qui a conduit à une mortalité précoce : la majorité d'entre elles mouraient avant l'âge de six ans.
Les implications de cette étude, publiée dans PNAS, sont cruciales mieux comprendre l’effet de la diversité individuelle dans l’écologie des populations animales. L'équipe de recherche a démontré que la contribution à la croissance d’une population varie considérablement en fonction des groupes d’individus présents. Par exemple, une population comprenant un grand nombre de brebis issues du groupe « cuillère d’argent » connaîtrait une augmentation démographique bien plus rapide qu’une population où la majorité des individus appartiendraient aux groupes les moins performants.
Ces travaux ouvrent la voie à une nouvelle approche pour identifier les groupes d’individus ayant des trajectoires de vie, et offrent des perspectives prometteuses pour de prochaines études puisque les modèles classiques de dynamique de population n’intégrèrent généralement pas le niveau de variabilité de cette présente étude. La plupart des recherches incluent généralement seulement les différences en âge et sexe. Ignorer ces différences masque donc des dynamiques essentielles et les processus évolutifs à l’œuvre dans la population sauvage.
Benjamin Larue est maintenant au postdoctorat à l’Université du Montana.