Lancement de LibreQDA
Un logiciel d’analyse qualitative développé pour et par la communauté de recherche

Photo : Michel Caron UdeS
La recherche en sciences humaines et sociales est intimement associée à la collecte et l’analyse de données qualitatives. Or les logiciels d’aide à l’analyse qui dominent le marché ne répondent plus correctement aux besoins des chercheurs et chercheuses. En plus de s’empêtrer dans des fonctionnalités séduisantes mais lourdes et superflues, ils s’éloignent de plus en plus des bonnes pratiques de recherche.
À force d’entendre les doléances de la communauté de recherche, une équipe de l’UdeS a décidé de remédier au problème et lance ces jours-ci LibreQDA (pour Qualitative Data Analysis), un logiciel gratuit et performant, qui respecte les besoins de la recherche qualitative, se concentre sur les bonnes pratiques et ramène au premier plan les principes de rigueur scientifique, de recherche collaborative, de protection des données et d’écoute de la communauté de recherche.
Typiquement, ce genre de logiciel est utilisé pour charger des corpus, puis sélectionner des extraits et les étiqueter selon différents schèmes pour pouvoir ensuite les retrouver et les analyser. En santé, par exemple, à partir de verbatims d’entrevues patient-médecin, il est possible d’étiqueter des propos pertinents selon différents objectifs de recherche. En communication, à partir d’une veille médiatique, le logiciel permet l’étiquetage selon différents thèmes, sujets ou objectifs.
Doter la communauté de recherche d’un outil rigoureux et performant
La recherche qualitative dépasse largement les sciences humaines et sociales, et le bassin des usagers et usagères est beaucoup plus grand que ce qu’on pourrait imaginer, selon le professeur François Claveau, directeur scientifique de la Plateforme en humanités numériques (PHuN) et initiateur du projet LibreQDA. Pourtant, cette communauté de recherche est moins encline à se doter de solutions logicielles.
En recherche quantitative, il y a toute une communauté qui soutient le développement de logiciels, tandis qu’en recherche qualitative, la plupart des chercheurs et chercheuses ne sont pas spécialistes en programmation. C’est justement la raison d’être de la Plateforme en humanités numériques, qui vient répondre à ces besoins formulés par la communauté de recherche.
Professeur François Claveau, directeur scientifique de la Plateforme en humanités numériques de l’UdeS
Si les solutions payantes existent bel et bien pour l’analyse qualitative, comme NVivo, ATLAS.ti, QDA Miner, elles sont loin de faire l’unanimité dans la communauté de recherche. Avec ces logiciels propriétaires, on remarque un glissement de la recherche qualitative vers des méthodes quantitatives, sans le recul méthodologique nécessaire pour une recherche rigoureuse.
Les utilisateurs et utilisatrices vont jusqu’à dire qu’il faut se battre contre les amalgames que le logiciel suggère; un réel enjeu pour la relève en recherche, qui n’a pas l’expérience nécessaire pour évaluer ces propositions séduisantes de prime abord. Peut-être s’agit-il du résultat d’une course à la surenchère menée par les entreprises de logiciels qui ont intérêt à attirer une clientèle.
Le chargé de projet responsable de LibreQDA, Jérémie Dion, résume :
NVivo est sur les stéroïdes! Par exemple, le logiciel va proposer de générer automatiquement des mesures de similarité et quantifier des choses qui ne devraient pas l’être. De telles méthodes avancées viennent avec leurs enjeux de validité, qu’on perd de vue avec les fonctionnalités “clés en main” des logiciels propriétaires.
Autre problème soulevé par la communauté de recherche : les logiciels propriétaires comme NVivo sont très lourds à utiliser sur un ordinateur personnel en raison de toutes leurs fonctionnalités. Or en recherche qualitative, on veut pouvoir naviguer rapidement entre les documents et les extraits.
LibreQDA répond à ces nombreux problèmes, en plus d’être simple d’utilisation. Des tutoriels sont intégrés à même le logiciel et le personnel hautement qualifié de la plateforme PHun peut offrir des formations et de l’accompagnement personnalisé.
Pour que la recherche collaborative soit possible
Beaucoup de recherches qualitatives se font en collaboration avec des cochercheurs et cochercheuses de milieux non universitaires. Les créateurs de LibreQDA ont aussi voulu régler les problèmes engendrés par les solutions payantes et leurs mises à jour coûteuses.

Photo : Michel Caron UdeS
Il y a des frustrations parce que, pour travailler ensemble, il faut que toutes les personnes aient la même licence, la même version du logiciel. Il y a des problèmes de compatibilité ridicules, qui nous ramènent dans les années 90. Sans compter les enjeux de corruption de données.
Professeur François Claveau
Le plus grave selon lui, c’est qu’il faut une licence pour utiliser les données et participer aux travaux, ce qui n’est pas dans les moyens par exemple des milieux communautaires, souvent partenaires de recherche. Les moyens pris pour contourner ces problèmes d’accès entraînent de mauvaises pratiques de recherche, comme le partage de données sans protection.
Pour la recherche collaborative, LibreQDA constitue donc une grande avancée. Avec la version web, toute personne qui a une adresse courriel acceptée par le système peut être collaboratrice avec plusieurs droits sur le projet, et ce, sans devoir s’abonner à un logiciel.
Sécuriser les données de recherche
Enfin, en ce qui a trait à la gestion des données de recherche, LibreQDA offre une solution serveur avec des copies de sauvegarde quotidiennes. « C’est effarant la quantité de personnes qui perdent leurs données avec les logiciels comme NVivo. En plus, avec un logiciel propriétaire, les options d’exportation de vos données annotées sont limitées, ce qui nuit à leur réutilisation », se désole le professeur Claveau.
Les créateurs de LibreQDA ont tout prévu : il peut s’installer en version locale sur son ordinateur ou être utilisé en version web. « Et la version web est hébergée sur des serveurs universitaires canadiens, ce qui respecte les recommandations habituelles des comités d’éthique de la recherche. »
Et parce qu’on a conscience que cette solution peut encore être améliorée avec la contribution des milieux de recherche, il a été décidé de développer le logiciel en code source ouvert (open source) pour permettre une rétroaction de la communauté, mais surtout sa participation dans le développement de LibreQDA.
Le virage qu’on fait en code source ouvert a été extrêmement bénéfique pour d’autres domaines de recherche. On voit le potentiel avec le logiciel de référence bibliographique Zotero. Lorsque la communauté de recherche se met derrière, ça donne des logiciels qui sont hautement performants et vraiment à l’écoute des besoins. Notre propre logiciel est ce qu’on appelle une ‘fourche’ du logiciel Taguette, et nous collaborons avec ses créateurs pour maximiser nos retombées.
Professeur François Claveau
LibreQDA est désormais offert à la communauté de recherche internationale, et son infrastructure devrait supporter l’engouement qu’il connaîtra certainement.
Le projet LibreQDA est rendu possible par le programme de financement pour le développement des activités des plateformes institutionnelles du Vice-rectorat à la recherche et aux études supérieures de l’Université de Sherbrooke. Le logiciel est gratuit et les données de recherche qui y sont stockées sont hébergées sur les serveurs sécurisés de Calcul Québec. Pour réaliser ce projet, la Plateforme en humanités numériques (PHuN) a fait équipe avec une autre plateforme de recherche, le Centre de calcul scientifique (CCS) de l’Université de Sherbrooke, qui offre du soutien en informatique pour la recherche depuis une vingtaine d'années, notamment dans les domaines de la simulation numérique, du stockage et du traitement des données et des logiciels.
Le projet est également appuyé par Olivier Champagne-Poirier, professeur spécialisé en méthodes qualitatives au Département de communication de l’Université de Sherbrooke, qui collabore activement avec l’équipe de la PHuN pour développer une communauté axée sur la pratique et la formation. L’équipe tient à honorer la mémoire de Didier Dupont, consultant en méthodes qualitatives et en logiciels QDA et collaborateur de la première heure pour LibreQDA.