Missions scientifiques en Arctique et en Antarctique pour la professeure Céline Guéguen et deux personnes doctorantes de l'UdeS
Traquer le carbone à la sortie des glaciers, du pôle Nord au pôle Sud
Photo : Marine royale canadienne (avec autorisation)
Plus rapide et intense aux pôles qu’ailleurs sur la planète, le changement climatique menace plusieurs équilibres océaniques essentiels au maintien des processus qui assurent la vie sur Terre. Si les eaux de l’Arctique font depuis quelque temps l’objet de recherches brossant un portrait de plus en plus précis de la situation prévalant au Nord, le Canada disposait jusqu’ici de peu de données permettant de faire des comparaisons avec celle du Sud. En se joignant à la mission CARE* (Canadian Antarctic Research Expedition) de la Marine royale canadienne, la professeure Céline Guéguen, du Département de chimie de l'Université de Sherbrooke, a pu ajouter l'Antarctique à son territoire de recherche en compagnie d'autres spécialistes des eaux nordiques, ouvrant du même coup d'importantes voies de collaboration et de partage scientifique avec les pays déjà présents sur le continent austral.
Photo : © Marine royale canadienne
La mission CARE : première mission scientifique entièrement canadienne en Antarctique
Réunissant un groupe sélect de chercheuses et de chercheurs de cinq universités canadiennes ainsi que des scientifiques de plusieurs ministères dont Environnement et Changement climatique Canada, la mission CARE de la Marine royale a vu le navire de patrouille extracôtier NCSM Margaret Brooke se transformer en base de recherche mobile en Antarctique pour ces spécialistes des eaux nordiques, dans le cadre d'une expédition d'un genre inédit qui marquait de nombreuses premières.
D’une durée d’un mois et dirigée par le professeur Thomas James, de la Commission géologique du Canada, la mission CARE a permis à ces scientifiques de récolter de précieuses données sur le terrain afin non seulement d’enrichir les connaissances canadiennes des phénomènes touchant les océans polaires, mais aussi de prêter main forte aux pays déjà engagés dans la protection de la région.
Photo : Marine royale canadienne (avec autorisation)
Pour Céline Guéguen, cette toute première mission scientifique soutenue par la Marine fut un véritable succès. « J’étais très enthousiaste de pouvoir saisir cette occasion de mener mes recherches en Antarctique en profitant des ressources de la Marine, explique-t-elle. Les équipes en place ont pu se mettre au travail rapidement dans un esprit de collaboration d’une grande efficacité, avec l’appui logistique impressionnant des membres d'équipage. Chacun faisait sa part et le sentiment collectif d’engagement et de réussite était perceptible. »
Un terrain d’une richesse exceptionnelle
Photo : Marine royale canadienne (avec autorisation)
Les scientifiques en place ont mobilisé leurs vastes connaissances des phénomènes touchant les eaux nordiques pour récolter des données sur la situation prévalant au Sud. La démarche fut ainsi très fructueuse pour Céline Guéguen, qui avait embarqué à même le Margaret Brooke l’équipement nécessaire à l’analyse des échantillons prélevés sur place. Les résultats ne se sont pas fait attendre. « Au Nord, l’eau de fonte des glaciers transporte avec elle quantités de matériaux dits « terrigènes » (issus de l’érosion, du ruissellement et d'autres processus naturels) comme le carbone, les microplastiques et différents produits chimiques. Ce sont ces matériaux que nous étions venus détecter. Mes recherches personnelles concernent la présence du carbone, dont les teneurs pourraient gravement perturber les processus océaniques. Grâce à notre capacité de nous approcher des fronts glaciaires, avec les embarcations mises à notre disposition par la Marine, mes collègues et moi avons pu procéder à des échantillonnages précis répondant à nos besoins de recherche. Et dans mon cas, la réponse n’a pas tardé : le carbone que je cherchais était bel et bien présent à la sortie des glaciers. »
« Les masses d’eau douce qui se jettent dans l’océan à partir des rives continentales ne se conduisent pas de la même façon que l’eau salée. L’augmentation des taux de carbone dans cette eau entraîne le risque de modifier substantiellement ces processus océaniques établis progressivement depuis des millions d’années. »
-Pre Céline Guéguen, Département de chimie
Photo : Wikipedia
Mission canadienne, bénéfices mondiaux
La mission réalisée sur la côte Ouest de la Péninsule Antarctique fut très propice aux collaborations internationales. En plus de démontrer leur capacité de faire équipe avec la Marine, ses membres furent invités à visiter des stations de recherche exploitées par le Chili, le Brésil et l’Angleterre, où elles et ils ont pu entrevoir le potentiel de joindre leurs efforts à ceux de ces nations déjà établies sur le continent. Abondamment documentée par plusieurs années d’observation scientifique, cette région présente l’avantage de favoriser la comparaison des données recueillies au fil du temps par les nombreux pays qui l'ont étudiée.
En cultivant de telles collaborations, le Canada sera en mesure de faire profiter la communauté de recherche mondiale de ses vastes connaissances de la situation en Arctique, auxquelles la professeure Guéguen et ses équipes d’étudiantes et d’étudiants au doctorat contribuent depuis plusieurs années. Le pays se positionne ainsi avantageusement dans ses efforts pour obtenir une représentation au sein du Traité sur l’Antarctique, qui protège le continent de toute revendication territoriale et permet à différents pays d’y réaliser des recherches scientifiques, depuis 1959.
En plus de cette première scientifique et diplomatique, le NCSM Margaret Brooks a franchi un jalon historique en devenant le tout premier navire canadien à contourner l’Amérique du Sud pour atteindre l’Antarctique.
Photo : Fournie
Deux personnes doctorantes de l’UdeS poursuivent le travail au Nord
À peine rentrée de sa participation à la mission CARE en Antarctique, Céline Guéguen s’apprête à renouer avec le Nord par le truchement de deux personnes qu’elle dirige au doctorat en chimie, qui effectueront d’importantes missions de recherche au cours des prochains mois.
Dès le 7 août, Clément Fériot entreprendra une double expérience terrain qui s’annonce très formatrice, lui qui partira traquer le carbone terrigène pendant un mois dans la Mer de Baffin à bord du NGCC Amundsen. Cette mission, qui sera suivie d’une seconde équipée dans la Mer de Fox, du 2 au 20 octobre, inspire à Clément un mélange de fierté et de fébrilité, lui qui sera entièrement autonome scientifiquement pendant ces deux périodes d’un mois en mer – une première dans son cas. « Je me sens tellement privilégié de pouvoir participer à un tel projet et de faire mon doctorat dans ce contexte unique au monde, entouré de spécialistes extraordinaires », explique celui qui a déjà déposé tout le matériel nécessaire à bord de l’Amundsen, qu’il rejoindra d’abord à Iqaluit, puis, à Resolute Bay.
Photo : Wikipedia
Sa recherche s’intéresse principalement à la traque optique de la matière organique dissoute dans l’eau, bien que sa détection chimique fasse également partie de ses démarches. « Je suis très heureuse pour Clément, qui est pleinement à la hauteur de ce défi, commente la Pre Guéguen. Je n’ai aucun doute qu’il réalisera ses projets avec compétence et vivra des moments marquants, inoubliables. »
Photo : Fournie
Une autre doctorante dirigée par Céline Guéguen s’apprête d’ailleurs à vivre une expérience semblable, à bord cette fois du NGCC Louis S. St-Laurent. Dès la mi-septembre, et pour une durée de six semaines, Magali Pucet partira vers le Nord en compagnie de la professeure Guéguen pour y mener ses propres recherches sur le carbone issu des rivières – un second voyage du genre en ce qui la concerne. « Tout notre équipement est déjà sur le navire. Ce sera une mission très exigeante, car Céline et moi partagerons les journées en deux quarts de travail que nous occuperons successivement. Mais je suis tellement heureuse d’avoir le privilège d’y retourner. C’est une chance extraordinaire pour une jeune chercheuse comme moi », explique celle qui devra entretemps franchir une étape importante de son doctorat, le 5 août prochain : un séminaire d’évaluation lors duquel elle devra démontrer sa capacité de vulgariser son sujet et de synthétiser et présenter ses résultats. « Ça fait longtemps que je m’y prépare et je suis très confiante, confie-t-elle, même si j’ai déjà un peu la tête au Nord. »
On la comprend.
Les résultats des recherches réalisées par la professeure Guéguen et ses partenaires scientifiques de la mission CARE seront présentés à Calgary en décembre 2025 à l’occasion de la prochaine conférence Arctic Net, ce grand réseau canadien de centres d’excellence qui réunit scientifiques et professionnels de plusieurs horizons pour étudier les effets des changements climatiques dans le Nord du Canada.
*La mission CARE fait partie de l'opération PROJECTION 2025 de la Marine canadienne, qui vise à recueillir des données cruciales sur le changement climatique et à contribuer à la protection de l'environnement mondial.