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Ménopause et brouillard mental : une image vaut mille mots

Photo : Mathieu Lanthier - UdeS
Trous de mémoire, problèmes de concentration, difficulté à trouver les mots justes… le brouillard mental dont se plaignent plusieurs femmes à la ménopause serait causé par un léger déclin de la santé cérébrovasculaire que la prise d’hormones est susceptible de traiter. C’est l’hypothèse que tenteront de démontrer un professeur-chercheur et une étudiante de l’Université de Sherbrooke en recourant à l’imagerie médicale.
Il est grand temps que la science s’intéresse aux symptômes éprouvants associés à la ménopause, diront certaines. Jusqu’alors, la médecine s’est surtout préoccupée des risques accrus de cancers et de maladies cardiovasculaires chez la femme ménopausée. Le professeur Kevin Whittingstall et son étudiante à la maîtrise Zöe Gandey se pencheront sur le phénomène trop peu documenté du brouillard cognitif, en utilisant l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour fournir des données claires sur cet état affligeant.
On va faire une des premières études au monde qui comparera des images du cerveau avant et après la prise d’hormonothérapie, afin de voir si on note une amélioration et si cela corrèle avec le fait que les femmes se sentent mieux.
Professeur-chercheur Kevin Whittingstall, Faculté de médecine et des sciences de la santé

Photo : Mathieu Lanthier - UdeS
Le point de départ de cette étude remonte à environ huit ans. Samantha Côté, une doctorante qui travaillait sur le cycle menstruel, avait découvert que les hormones sexuelles semblaient avoir un effet protecteur sur la santé des vaisseaux sanguins qui irriguent le cerveau.
Une femme a en moyenne 300 cycles menstruels au cours de sa vie. L’exposition aux hormones varie d’une femme à l’autre, en fonction notamment des grossesses, de l’âge de l’apparition des premières règles et de la prise d’anovulants.
« Nous avions examiné le cerveau de plus de 9000 femmes, et c’est devenu extrêmement clair que, plus une femme est exposée aux hormones durant sa vie, meilleure se porte sa santé cérébrovasculaire une fois en ménopause », explique le professeur Whittingstall.
Cette nouvelle étude, menée au Centre de recherche du CHUS par l'étudiante à la maîtrise Zöe Gandey, vise à fournir des réponses aux femmes qui vivent, en silence, les effets dévastateurs du brouillard mental sur leur qualité de vie.
Cerveau 101
Le cerveau ne représente que 2 % de la masse totale du corps humain. Pourtant, il utilise 20 % de l’énergie que nous consommons. « C’est un organe qui a besoin d’une bonne circulation sanguine pour utiliser le sucre et l’oxygène », explique le professeur Whittingstall. « Dès qu’il y a une petite interruption [d’hormones], il y a un manque de circulation, un manque d’énergie cérébrale qui cause les symptômes du brouillard mental. »
Non, ce n’est pas entre vos deux oreilles

Photo : Mathieu Lanthier - Udes
Le brouillard cognitif nuit fortement à la qualité de vie. « On a tous des trous de mémoire, explique Zöe. Mais, durant la périménopause et la postménopause, ça s’accélère, en particulier au cours de la périménopause, où il y a vraiment un dérèglement hormonal, avec une fluctuation d’œstrogène et une baisse de progestérone. C’est quand le taux d’hormones est très bas que les femmes expérimentent les symptômes du brouillard mental. »
Les symptômes sont parfois si intenses que certaines femmes en viennent à penser qu’elles sont gravement malades.
« Un jour, une femme m’a carrément dit qu’elle pensait souffrir de démence précoce tellement le brouillard mental était épais et qu’elle était incapable de se souvenir des choses », témoigne le professeur Whittingstall.
Selon Zöe, le manque d’information claire sur le phénomène accentue la frustration et la souffrance des femmes : « Elles pensent que ce sont elles, le problème, alors que ce sont les hormones qui sont en cause. »
Périménopause, ménopause et postménopause : explications
La périménopause fait référence au début de la dérégulation hormonale chez la femme. L’œstrogène commence à fluctuer avec des pics très hauts et très bas, et la production de progestérone est plus faible en raison des ovulations moins fréquentes.
La ménopause se caractérise par une période de 12 mois sans menstruation. La concentration d’œstrogène et de progestérone descend à de très bas niveaux.
La période qui suit la ménopause s'appelle postménopause. À ce stade, la concentration d’hormones se stabilise, mais elle reste basse, sauf si les femmes commencent à prendre de l'hormonothérapie.
L’étude menée par Zöe Gandey et le professeur Kevin Whittingstall portera sur des femmes qui sont en postménopause depuis peu.
Étude clinique
La santé des vaisseaux sanguins qui irriguent le cerveau de femmes en postménopause sera au cœur d’une étude clinique qui sera lancée à l’été 2025.
On veut regarder les IRM avant qu’elles commencent l’hormonothérapie, et deux mois après avoir commencé la prise d’hormones. Nous voulons des résultats préliminaires dans le but de faire des études longitudinales, pour avoir éventuellement plus de participantes et mieux connaître les effets à long terme de l’hormonothérapie sur le cerveau.
Zöe Gandey, étudiante à la maîtrise, Faculté de médecine et des sciences de la santé

Photo : Mathieu Lanthier - UdeS
Cette étude se veut ainsi la première phase d’une recherche de plus grande envergure. Le duo travaillera avec Annie Ouellet et Amélie Bertrand, deux cliniciennes-chercheuses rattachées au Département d’obstétrique-gynécologie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé.
Pour ce projet, les femmes à l’étude prendront de l’estradiol transdermique (timbre) et de la progestérone micronisés (comprimé), des hormones dites bio-identiques. « Plusieurs types d’hormonothérapies sont offertes, mais ces deux-là sont devenues le standard, plusieurs études ont montré qu’elles avaient moins de risques de causer le cancer du sein, par exemple, et qu’elles étaient meilleures pour la santé cardiovasculaire », explique Zöe.
L’étude se divisera en trois étapes, qui comprendront un questionnaire avant et après l’hormonothérapie et une analyse sanguine. « Pour la dernière partie de l'étude, nous allons recourir à l’IRM, une avant l'hormonothérapie et une après, indique la jeune chercheuse. Cela nous permettra d'évaluer différents biomarqueurs de la santé cérébrovasculaire. »
Les résultats attendus comprennent une augmentation du débit sanguin cérébral ou une augmentation de la vasodilatation des vaisseaux dans le cerveau. Le but de l’étude est de fournir de l’information aux femmes en ajoutant des données scientifiques « dans l’écosystème » : « Nous ne voulons pas donner de faux espoirs! », mentionne le professeur Whittingstall, en précisant que l’amélioration des soins n’est pas l’objectif à court terme.
Des hormones pour les hommes aussi?
À plus long terme, ces recherches pourraient potentiellement porter sur la santé cérébrovasculaire des hommes, explique le professeur Whittingstall :
« Après, qu’est-ce qu’on fera avec ces données? Si on voit que les hormones peuvent améliorer la santé cérébrovasculaire, est-ce que c’est seulement chez les femmes? Peut-être qu’un jour, on pourrait envisager d’en donner aux hommes pour régler un problème cérébrovasculaire. »
Ce n’est donc que le début. Le sujet est d’ailleurs si passionnant et pertinent que Zöe réfléchit déjà à son doctorat : « J’aimerais commencer un projet sur la périménopause, un phénomène qui est très difficile à étudier parce que, d’une femme à l’autre, cette période peut durer de deux à huit ans, et chez certaines, elle peut commencer aussi tôt qu’à la fin de la trentaine. Il manque vraiment de recherches sur ce sujet. »
À propos de Kevin Whittingstall
- Professeur-chercheur au Département de radiologie diagnostique à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke
- Chercheur au Centre de recherche du CHUS (CRCHUS)
Une recherche qui s'élève à la puissance dix!
Ce n'est pas un hasard si l'Université de Sherbrooke se démarque en recherche. Son secret? Le mariage judicieux du partenariat, de la mutualisation et de l'interdisciplinarité, trois forces qui font désormais sa renommée. Apprenez-en plus sur ce qui a propulsé l'UdeS au rang des universités de recherche les plus prolifiques au Canada.