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Point de vue expert

L’environnement s’est invité dans la campagne électorale : et maintenant?

Photo : Michel Caron UdeS

La campagne électorale a été l’occasion pour les partis politiques de faire valoir leurs plans pour réduire les gaz à effet de serre et faire face aux changements climatiques. Mais au lendemain du scrutin, que reste-t-il des promesses, des démonstrations et des plans pour l’avenir de la planète? Nous avons questionné l’économiste en environnement François Delorme, de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke.

Collaborateur du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), François Delorme enseigne à l'UdeS au Département d'économique de l'École de gestion et au Centre universitaire de formation en environnement et en développement durable (CUFE), en plus d’œuvrer au sein de la Chaire en fiscalité de l’Université de Sherbrooke. Il a été entre autres économiste en chef à Industrie Canada et haut fonctionnaire au ministère des Finances du gouvernement du Canada.

Qu’est-ce que l’environnement a gagné au sortir de la campagne électorale de l’automne 2022?

François Delorme
François Delorme
Photo : fournie

Le résultat de l’élection n’a malheureusement pas changé grand-chose pour le climat. Le gouvernement qui a été réélu avait déjà un plan déficient vis-à-vis la cible de réduction de 37,5 % des émissions de GES qui avait été fixée par le gouvernement du Québec en 2015. Ce plan l’est encore. Les experts en environnement, ceux qui suivent la lutte contre les changements climatiques de près et les rapports du GIEC, essaient de se baser sur les faits. Quelle que soit la cible de 35, 45, 55 % de réduction des GES, l’important est de savoir si les instruments mis en place nous permettent de l’atteindre. La plupart des experts au Québec s’entendent pour dire que le plan qui est proposé par le gouvernement est largement déficient et ne permet pas d’atteindre la cible qu’il s’est fixée.

On parle plutôt d’un barrage pour atteindre la carboneutralité en 2050 et répondre à la demande en énergie. Développer la capacité énergétique pour répondre à une demande croissante, ce n’est pas ce que le GIEC nous dit de faire. Il faut aller vers plus de sobriété et diminuer les demandes croissantes en énergie. Autrement dit, ce n’est pas l’offre qu’il faut accroître pour satisfaire une demande d’énergie toujours croissante, c’est plutôt la demande qu’il faut atténuer.

L’approche du gouvernement est ce qu’on appelle en économie de l’environnement une approche techno-optimiste, qui signifie qu’on se fie beaucoup aux progrès technologiques pour solutionner les problèmes, que quelque chose de salvateur viendra. On a la même approche au gouvernement fédéral : on ne contraindra pas les gens à changer de comportement puisqu’on a la captation de carbone.

Mais on a quand même parlé davantage d’environnement dans cette campagne, non?

Les plans verts proposés par les partis politiques durant la campagne électorale n'ont pas vraiment fait avancer la cause, selon notre expert.
Les plans verts proposés par les partis politiques durant la campagne électorale n'ont pas vraiment fait avancer la cause, selon notre expert.
Photo : Michel Caron UdeS

On a parlé un peu plus d’environnement entre autres parce que deux partis ont présenté leurs plans climatiques validés avec un modèle mathématique, une démarche scientifique. Le modèle NATEM (North American Technico Economical Model) a été utilisé cette fois-ci par la Coalition Avenir Québec, et a montré que le plan en vigueur ne lui permettrait que d’atteindre la moitié de la cible de – 37,5 %. Le Parti Québécois avait une cible de – 45 %, et son plan permettait d’atteindre cette cible. Québec solidaire avait un plan qui permettait d’atteindre la cible de – 55 %. C’est un pas en avant de faire appel à des experts – QS l’a fait : il y avait deux experts de l’UdeS sur ce comité, Annie Chaloux et moi, non pas pour endosser le plan, mais vérifier qu’il se tient scientifiquement.

L’élection permet-elle d’affirmer que le peuple québécois ne s’intéresse pas aux enjeux climatiques?

Une campagne électorale ne change pas l’humeur et les comportements des gens vis-à-vis la lutte contre les changements climatiques.

Les gens se disent verts et engagés dans cette lutte, pour leurs enfants et leurs petits-enfants. Mais on n’a jamais vu une augmentation aussi grande des achats de VUS à essence depuis 1990 : 300 %. Cette dissonance cognitive est simplement remise en exergue le temps d’une soirée, d’une campagne électorale, mais elle est là. Rien n’a changé.

Les jeunes sont inquiets au sujet du climat, mais ils ne semblaient pas tellement au rendez-vous du scrutin. Préfèrent-ils descendre dans la rue?

Les jeunes utilisent les moyens qu’ils ont à leur disposition, et les manifestations en sont. Mais ce n’est pas suffisant pour véritablement influencer le cours des choses, qui se développe par les politiques publiques.

C’est bien de manifester, d’aller voter, de venir à l’université acquérir des connaissances qui permettent d’enrichir leurs visions des choses, et d’investir les lieux de pouvoir. Je leur dis : c’est important de ne pas laisser les personnes décider à votre place parce que l’avenir, c’est le vôtre.

Mes étudiantes et étudiants sont passés de l’écoanxiété à l’écodépression quand le ministre Guilbault a donné le feu vert à l’exploitation du pétrole extracôtier à Bay du Nord. Ils me disaient « Je ne sais même plus ce que ça me donne d’être dans ton cours. »

Avant, à l’École de gestion, on enseignait l’économie de l’environnement selon un modèle qui suppose que plus il y a de croissance économique, plus le PIB augmente, plus la société devient riche, et ceci nous permet de financer la R & D et les solutions technologiques pour régler les problèmes. C’est le cadre qui est prépondérant en ce moment en économie de l’environnement. Les étudiants sont de plus en plus critiques vis-à-vis ce modèle de croissance.

En avril 2022, dans le dernier rapport du GIEC, on ne parlait pas de décroissance parce que c’est encore tabou dans les grandes institutions internationales, mais on parlait de sobriété dans un chapitre complet. Les étudiants ne sont pas dupes. Ils entendent parler de décroissance et on leur répète que c’est utopique. Est-ce qu’on peut, au moins, comprendre comment ça fonctionne et on jugera après si c’est utopique, nous disent-ils.

Les jeunes sont capables de décider, mais il faut leur donner les éléments pour se sortir des rails qui stipulent qu’il faut travailler plus pour payer plus d’impôt pour financer la géo-ingénierie et la captation de carbone.

De voir des plans verts et des modèles économiques vraisemblables durant la campagne électorale a-t-il fait avancer la cause?

Non, je pense que les partis politiques sont encore dans une dynamique où on va régler le problème mais sans imposer un inconfort aux gens. Un moment donné, l’acceptabilité sociale est une contrainte qu’il faut pouvoir dépasser, si nécessaire.

Durant la pandémie, ce n’était pas une question d’acceptabilité sociale. Pour le bien commun, on nous a imposé des mesures qui ont circonscrit notre liberté individuelle au nom du bien commun. On n’a pas fait un référendum pour savoir si les gens étaient d’accord. Ils auraient été en désaccord. C’est la même chose pour la lutte contre les changements climatiques.

La première semaine de la campagne a été plus axée sur les enjeux climatiques mais le momentum s’est perdu ensuite.

Si le Parti Québécois et le Québec solidaire, qui avaient les plateformes les plus ambitieuses et les plus crédibles, avaient été élus, cela aurait changé les choses. Mais on a reconduit un gouvernement dont le plan de lutte est reconnu par tous les experts comme étant déficient, et l’opposition officielle n’est pas en mesure de mettre suffisamment de pression pour un changement de cap décisif.

Aujourd’hui, le point de départ à partir duquel on devrait élaborer des politiques publiques, c’est le constat du GIEC qui nous dit de plafonner les émissions en 2025. C’est ça notre point de repère, notre ancre. Ce n’est pas la carboneutralité en 2050, c’est trop loin. On doit rétropédaler à partir de 2025.

Les gens ont voté pour un plan déficient parce qu’ils ne voient pas les conséquences à long terme. C’est très loin 2100, qui est l’objectif de – 1,5 degré. Pourquoi je changerais si personne ne change et que les gouvernements ne me donnent pas de signaux selon lesquels il faut changer? C’est la différence entre gérer une décroissance ou une crise et la subir.

Le compte à rebours, lui, continue. On ne peut plus dire qu’on va remettre ça à plus tard. C’est la biosphère qui nous l’impose.


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