Un des textes gagnants du Concours de vulgarisation scientifique 2020
Quand l’ADN des caribous de la Gaspésie parle
Des 1 000 caribous recensés sur le territoire Québécois dans les années 50, il en resterait à présent moins de 100 en Gaspésie. Dans un paysage perturbé par l’aménagement du territoire, l'extraction des ressources naturelles et les activités récréatives, les caribous de Gaspésie sont-ils encore en mesure de se retrouver et de se reproduire ou forment-ils des sous-populations isolées vouées à disparaitre ? C’est sur le terrain et plus particulièrement dans l’ADN des caribous qu’une équipe de chercheurs des universités de Sherbrooke et du Québec à Rimouski a trouvé les réponses.
Le Caribou de Gaspésie, vestige d’une population maritime
La population des Caribous de Gaspésie constitue aujourd'hui le dernier vestige des populations qui se trouvaient jadis au sud du fleuve Saint-Laurent, allant des provinces de l'Atlantique à la Nouvelle-Angleterre. La perte et la fragmentation de leurs habitats naturels font qu’aujourd’hui, une petite population se cantonne au Parc national de la Gaspésie. Les derniers recensements aériens laissent craindre que cette population se soit scindée géographiquement en trois groupes isolés sur les monts Albert, Logan et McGerrigle. Face à un environnement défavorable, la division d’une population déjà en déclin exacerbe les probabilités d’extinction. Il est donc capital de savoir si ces individus arrivent ou non à se rencontrer et se reproduire.
Inventaire aérien indicatif, mais insuffisant
Les caribous affectionnent des habitats d’altitudes dégagés propices aux inventaires aériens. Ces inventaires consistent à survoler en hélicoptère ces habitats afin de localiser et de dénombrer les individus observés et ainsi estimer le nombre d’individus dans la population. Toutefois, cette méthode à distance ne permet pas de différencier les mâles des femelles ni leurs statuts reproducteurs. Le nombre et le sexe des reproducteurs sont des informations essentielles, car elles reflètent la viabilité et l’état de santé d’une population. On comprend aisément les enjeux si la population est constituée uniquement de femelles ou encore si les mâles et femelles se retrouvent séparés géographiquement incapables de se reproduire. L’obtention de ces informations nécessite d’aller sur le terrain au contact des caribous, ce qu’ont entrepris les chercheurs à l’origine de cette étude.
Quand l’ADN vient à la rescousse des caribous
À l’aide d’un filet jeté depuis un hélicoptère, les chercheurs ont capturé et sexé 73 caribous entre 1998 et 2014. Sur chaque animal, un morceau de peau a été prélevé pour en extraire l’ADN en laboratoire. Cette simple molécule enfouie dans le noyau des cellules est une signature génétique individuelle renfermant de nombreuses informations. Devenu un outil puissant, l’ADN permet aux chercheurs de reconstituer l’arbre généalogique des individus et ainsi connaitre l’origine de leurs ancêtres. Associés aux informations recueillies sur le terrain par la manipulation des caribous (sexe, statut reproducteur), ils ont pu estimer le nombre de reproducteurs présents dans la population, leurs origines géographiques et déterminer l’existence d’un brassage génétique, reflet des reproductions entre caribous.
Des ponts entre les monts
L’ensemble des données récoltées nous révèle que les caribous de Gaspésie seraient isolés dans deux sous-populations distinctes d’environ 40 individus chacune. L’analyse de l’ADN nous indique que les caribous des monts Logan et Albert ont pu se retrouver et se reproduire constituant une des deux sous-populations. L’absence de brassage génétique entre cette première sous-population et les caribous du mont McGerrigle précise que ces derniers forment une seconde sous-population isolée. Cette découverte souligne l’urgence de rétablir une connectivité entre ces deux sous-populations d’autant que le nombre de reproducteurs est estimé à environ 20 individus chacune. Composante irremplaçable de la biodiversité du Canada, population relique au sud du St-Laurent, les caribous de Gaspésie ont urgemment besoin que leur habitat soit à l’image de notre société; c’est à dire connectée.
À propos d’Émilie Lefol
Émilie est étudiante en fin de doctorat au département de biologie de la Faculté des sciences. Ses recherches, menées sous la direction de professeur Dany Garant et de professeure Fanie Pelletier, portent sur l’hirondelle bicolore. Ses années d’études et d’expériences professionnelles l’ont mené vers l’Europe, l’Afrique, l’Amérique du Nord et l’Antarctique. Lors de ces passages aux quatre coins du globe, elle a pu étudier l’impact des changements climatiques sur diverses espèces animales. En 2018, Émilie a été choisie comme participante au projet Homeward Bound, une initiative visant à accroître l’influence des femmes dans les postes décisionnels et les prises de décisions politiques. Émilie est engagée dans plusieurs aspects de la vie universitaire et communautaire, notamment en faisant la vulgarisation scientifique et en formant des chiens Mira.
À propos du Concours
L’Université de Sherbrooke tient annuellement un concours de vulgarisation scientifique dont les objectifs sont de stimuler des vocations en vulgarisation scientifique et d’augmenter le rayonnement des travaux de recherche qui s’effectuent à l’Université, qu’ils soient de nature fondamentale ou appliquée.