L'un des textes gagnants du Concours de vulgarisation scientifique 2020
Les États tricheurs : y a-t-il une police des dévaluations monétaires compétitives?
L’économie mondiale et le jeu de société Monopoly possèdent plusieurs caractéristiques communes : des joueurs, de l’argent et des règles. Or, dans tout jeu de société, certains trichent. C’est également le cas sur le plateau de jeu de l’économie mondiale où certains États ne respectent pas les règles établies par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou le Fonds monétaire international (FMI).
Que pouvons-nous alors faire? La professeure Geneviève Dufour de l’Université de Sherbrooke tente de répondre à cette question dans le cas précis des dévaluations monétaires compétitives.
Les dévaluations monétaires compétitives : des mesures protectionnistes
Une dévaluation monétaire compétitive survient lorsqu’un État déprécie la valeur de sa monnaie afin de protéger son économie nationale. En effet, lorsque la monnaie d’un État perd de sa valeur, la production de biens et de services locaux est encouragée. Par exemple, lorsque la valeur du dollar américain diminue, les Québécois voyagent davantage aux États-Unis. Par contre, lorsque sa valeur augmente, les Québécois restent plus au Canada.
La valeur des monnaies fluctue tous les jours selon les aléas de l’économie. Le problème survient lorsque les États dévaluent eux-mêmes leur monnaie dans le but de favoriser leur économie nationale. Cela revient à contourner les règles commerciales. Comment punir ce type de comportement? La professeure Dufour propose l’utilisation des mécanismes de l’OMC.
L’Organisation mondiale du commerce : la police des dévaluations monétaires compétitives?
L’organisation internationale normalement responsable des dévaluations compétitives est le FMI. Il ne possède toutefois pas les outils nécessaires pour sanctionner les comportements déviants comme la dévaluation monétaire compétitive. L’OMC possède quant à elle un système de règlement des différends robuste qui permet d’obliger un État à modifier ses comportements sous peine de sanctions économiques. Il serait donc intéressant de pouvoir utiliser ce système en matière de dévaluation monétaire.
La professeure Dufour soutient que l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, qu’on peut qualifier de « loi » principale de l’OMC, ouvre la porte à l’utilisation des mécanismes de règlement des différends en cas de dévaluation monétaire. En effet, l’Accord reconnaît à l’article XV que les manipulations monétaires contreviennent aux règles commerciales internationales lorsqu’elles ont pour objet de protéger les économies nationales. Les dévaluations monétaires compétitives seraient ainsi des violations aux principes fondamentaux de l’OMC, ce qui permettrait de recourir au mécanisme de règlement des différends et de forcer les États à cesser leur pratique.
Ce recours n’est cependant pas certain. En effet, l’article XV indique que les membres de l’OMC doivent s’adresser au FMI pour les « restrictions de change en ce qui concerne les paiements et les transferts relatifs aux importations ». Dans ces cas précis, le système de règlement des différends de l’OMC ne peut être saisi. La professeure Dufour vient toutefois nuancer que les dévaluations compétitives ne sont pas expressément visées, ce qui laisserait la possibilité de recourir aux mécanismes de l’OMC. Comme aucun État n’a encore invoqué l’article XV, l’incertitude demeure quant aux compétences respectives de l’OMC et du FMI. Cette incertitude profite aux États tricheurs.
Bref, les dévaluations monétaires compétitives ne respectent pas les règles du jeu de l’économie mondiale, mais certains États comme la Chine semblent les utiliser de plus en plus. L’OMC est peut-être la solution pour s’assurer que les États tricheurs se retrouvent sur la case « prison » dans la perspective où on assiste à un retour du protectionnisme économique.
À propos de Delphine Ducasse
Delphine Ducasse est étudiante à la maîtrise en droit, cheminement de type recherche, sous la direction de la professeure Geneviève Dufour. Ses recherches portent sur les conséquences systémiques de l’inclusion des normes environnementales et des normes du travail dans les accords de libre-échange. Passionnée de droit et de relations internationales, elle a complété une maîtrise en droit international et en politique internationale appliqués à l’Université de Sherbrooke et a participé en tant que juge au Concours Charles-Rousseau de procès simulé en droit international. Delphine a été présidente de l’Association générale des étudiants aux cycles supérieurs en droit de l’Université de Sherbrooke en 2016-2017 et continue de s’impliquer à la Faculté par l’entremise du comité d’accueil d’une personne réfugiée.
À propos du Concours
L’Université de Sherbrooke tient annuellement un concours de vulgarisation scientifique dont les objectifs sont de stimuler des vocations en vulgarisation scientifique et d’augmenter le rayonnement des travaux de recherche qui s’effectuent à l’Université, qu’ils soient de nature fondamentale ou appliquée.