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Le Québec peut s'inspirer de la médecine Schwarzenegger

Conditions de travail des infirmières : la vie des patients en jeu

Le témoignage en ligne de la jeune Émilie Ricard a rappelé à quel point les conditions de travail des infirmières sont éprouvantes. Ce contexte a-t-il des impacts sur ceux qui bénéficient des soins? Une étude menée à l’Université de Sherbrooke démontre que les risques de décès des patients augmentent tristement.

Avant de devenir professeur à l’UdeS, Christian Rochefort était cadre dans le réseau de la santé. Lui aussi a eu recours aux heures supplémentaires obligatoires et à du personnel moins qualifié pour contrer le manque de ressources. Aujourd’hui professeur à l’École des sciences infirmières de la Faculté de médecine et des sciences de la santé, il documente les impacts sur les patients des soins infirmiers dispensés en contexte de pénurie. Depuis 2010, il dirige la toute première étude longitudinale canadienne sur les risques qu’entraînent certaines politiques de dotation du personnel sur la santé des patients.

En 2016, Christian Rochefort et ses collègues de l’Université McGill ont révélé leurs premiers résultats, tirés de l’analyse de plus de 6,5 millions de quarts de travail effectués auprès de 125 000 patients admis dans un centre hospitalier québécois.

Quand le nombre d’heures supplémentaires des infirmières augmente de 5%, le risque de mortalité des patients grimpe de 3%.

Christian Rochefort
Christian Rochefort

Celui qui est aussi chercheur au Centre de recherche du CHUS affirme que lorsque la proportion d’infirmières dans une équipe de travail baisse de 5%, les risques de décès augmentent de 5% chez les patients exposés à ces conditions d’exercice.

«On sait que les heures supplémentaires affectent le niveau de vigilance et la capacité d’attention. Cela peut entraîner des blessures de toutes sortes, sans compter les erreurs possibles, rappelle Christian Rochefort. Jusqu’ici nous n’avions pas de données qui démontrent comment cela affecte la qualité des soins et le bien-être des patients.»

Dans un article scientifique à paraître, l’équipe révèle d’autres constats frappants. Le Québec pourrait avoir des leçons à tirer des politiques du célèbre Arnold Schwarzenegger, ancien gouverneur de la Californie.

La médecine d’Arnold Schwarzenegger

En 2004, la Californie est devenue le premier état américain à implanter des ratios minimums infirmières/patients dans les hôpitaux. Depuis, d’autres états et plusieurs pays ont implanté ou songent à adopter de tels ratios, votés sous l’ère Schwarzenegger. À partir des données qu’ils ont recueillies du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2016, les chercheurs de l’équipe Rochefort ont voulu savoir si le dépassement de ces ratios californiens est associé à un risque de mortalité accru chez les patients admis en milieu hospitalier québécois.

Le lien de cause à effet est très clair dans les unités de soins de chirurgie/médecine, où le ratio minimum est déterminé à une infirmière pour cinq patients (1 : 5). «Nous avons trouvé que lorsque ce seuil n’est pas  respecté – ce qui est régulièrement le cas – le risque de mortalité augmente de 2,5% pour chaque quart de travail additionnel où les patients sont exposés à ces conditions de travail.»

Une infirmière en vaut-elle une autre?

Nombre d’observations et recherches en sciences infirmières établissent une association inversement proportionnelle entre le niveau de formation du personnel infirmier et le taux de mortalité des patients. Au début des années 2010, les Instituts de médecine américains ont recommandé qu’au moins 80% du personnel infirmier d’une unité de soins détiennent, d’ici 2020, une formation de premier cycle universitaire, dans le but de réduire les conséquences malheureuses.

Dirigée par Christian Rochefort, l’étudiante Li-Anne Audet termine une recherche sur l’application éventuelle de cette politique américaine en sol québécois à partir des données recueillies par l’étude longitudinale. L’analyse de l’étudiante de maîtrise en sciences infirmières n’est pas encore complétée mais tout porte à croire que ce qui est vrai en territoire américain l’est aussi au Québec.

Lorsque plus de 80% des infirmières possèdent une formation universitaire, les événements indésirables sont neutralisés. Il semble que cette politique ait un effet protecteur pour les patients.

Des solutions tangibles

Jusqu’à récemment, les gestionnaires de personnel infirmier ont disposé de peu de données probantes pour soutenir leur prise de décision au moment de déterminer le nombre d’infirmières optimal et les qualifications requises pour réduire le risque d’événements indésirables. «Mais nos constatations militent en faveur de l’établissement de ratios et de politiques qui régissent le niveau de formation du personnel», affirme le professeur Rochefort.

Il est pressant que nos décideurs conçoivent et établissent des politiques capables d’attirer et, surtout, de retenir plus d’infirmières afin que de tels ratios puissent être respectés au Québec.

Aux yeux du chercheur, le bien-être des infirmières au travail et celui des patients hospitalisés passe par un réel changement de culture. Cela implique qu’il faut valoriser le travail des infirmières. Mais comment?

«Je pense qu’il faut reconnaître l’expertise, la formation et l’expérience. Il faut faire des infirmières de réels partenaires des réformes en santé et s’assurer que leur voix soient entendues à tous les paliers de décision. Des solutions, les infirmières en ont. »

L’ancien gestionnaire du réseau de la santé aimerait que les décideurs prennent exemple sur les hôpitaux américains, notamment sur les « hôpitaux magnétiques » qui ont développé une culture et un type de gestion ayant l’effet d’un aimant sur les infirmières, les attirant et les retenant. «Encore là, nous avons à apprendre de nos collègues américains.»


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