École primaire : les devoirs sont-ils obligatoires?
Mardi, 17 h 45. Vous revenez à la maison après une journée épuisante au bureau. Votre enfant de 7 ans doit s’attabler pour faire ses devoirs, pendant que vous préparez le souper. Il lambine, il bougonne, puis s’installe enfin devant ses mathématiques, suite à vos nombreux encouragements. Après 20 minutes d’effort, il n’arrive pas à compléter la file d’équations qui s’aligne dans son cahier, faute de compréhension. Découragé, il se fâche, lance ses livres et la tension monte…
Bon nombre de parents se reconnaissent dans cette situation et se questionnent sur l’utilité réelle des devoirs au primaire. Ce sujet est au cœur d’une recherche collaborative, mise de l’avant par l’école La Passerelle d’Asbestos depuis trois ans. Située en milieu défavorisé, cette école avait une proportion élevée d’élèves à risque d’échec scolaire et des problématiques face à l’aide aux devoirs. Or, comment aider ces enfants à mieux réussir tout en les gardant motivés?
«Le personnel enseignant constatait une grande disparité entre les devoirs faits et non faits chez les élèves», explique la professeure France Beauregard de la Faculté d’éducation, spécialiste des rapports famille-école-communauté. «De nombreux parents indiquaient que les devoirs créaient un climat très lourd et conflictuel à la maison. De plus, la gestion répressive des devoirs non faits empêchait les enseignants de miser sur le positif.» Bref, les élèves en difficulté risquaient de se décourager.
Virage à 180 degrés
Lors de plusieurs rencontres en comité de réflexion, la direction de l’école, les enseignants, les parents et les spécialistes, dont une orthopédagogue, se sont questionnés sur le bien-fondé des devoirs, leurs objectifs et leur utilité. L’école a également fait appel à la professeure Beauregard pour les accompagner et documenter le processus. «J’ai présenté une analyse sur l’utilité des devoirs basée sur les recensions d’écrits scientifiques. Primo, les recherches effectuées ne confirment pas que les devoirs permettent l’appropriation des savoirs, et ce avant la 3e année. Deuxio, si les habitudes de travail n’existent pas au préalable, les devoirs ne les engendrent pas. Enfin, les devoirs ne favorisent pas une bonne communication famille-école, surtout chez les élèves en difficulté.»
«À la suite d’une année complète de consultation, la direction de l’École La Passerelle a décidé d’abolir les devoirs obligatoires jusqu’en 4e année et d’en informer les parents, explique France Beauregard. Sous un projet pilote de trois ans, les devoirs sont devenus optionnels, sur une base volontaire, tout en gardant les leçons axées sur la lecture. En somme, l’équipe-école a ciblé l’appropriation des connaissances comme objectif plutôt que la mémorisation.» Rien de moins qu’une petite révolution!
Cette démarche ne s’est pas fait à la légère, loin de là. Une véritable transformation s’est opérée en trois ans, et a nécessité un réel changement de pratiques des enseignants. Par exemple, les travaux naissent maintenant de l’intérêt de l’enfant; de nouveaux projets avec échéancier ont vu le jour; des jeux ludiques ont été acquis pour favoriser l’apprentissage. Pour le suivi en classe, chacun des enseignants a mis en place des moyens pour communiquer avec les parents afin de leur permettre d’être informés sur ce qui est fait à l’école et en classe.
Davantage de temps pour l’enseignement
L’abolition des devoirs obligatoires a amené un changement important dans l’organisation de la classe et une meilleure gestion de l’horaire. Les enseignants consacrent davantage de temps à l’enseignement, n’ayant ni corrections, ni préparations de devoirs à faire. «Ils ont une autre vision de leur rôle, indique la professeure. Ils voient l’appropriation des savoirs comme leur responsabilité première, plutôt que celle des parents.»
Par exemple, plutôt que de miser sur l’apprentissage par cœur des temps de verbe à la maison, on explique la logique des groupes de conjugaison en classe. En rédaction, l’élève choisit maintenant ce qu’il veut écrire. En lecture, on part de l’intérêt de l’enfant; il peut proposer des thèmes et des formats qui lui plaisent. De plus, les enseignants varient davantage le matériel et les méthodes pédagogiques.
Des élèves moins stressés et plus motivés
Après trois ans, les résultats s’avèrent fructueux. «Les enseignants constatent une diminution des conflits avec les enfants; une meilleure attitude des élèves face à la lecture; et dans plusieurs cas, une meilleure appropriation des savoirs, fait valoir la professeure Beauregard. Chez d’autres élèves, il y a un effet d’entraînement à faire des devoirs sur une base volontaire. Enfin, les relations avec les familles se sont améliorées.»
Qui plus est, les élèves à risque semblent mieux réussir. Les résultats scolaires s’avèrent égaux ou plus élevés comparativement aux années des devoirs obligatoires. Les élèves en difficulté sont également plus motivés et moins stressés. «L’école, les enseignants et les parents ont beaucoup de fierté face à ce projet-là. Je souhaite maintenant répertorier de manière plus vaste les nouvelles pratiques qui ont été instaurées.»
Toutefois, ce projet ne se réalise pas de manière spontanée, prévient France Beauregard. «L’école doit libérer son personnel enseignant pour faciliter l’implantation de nouvelles pratiques et la recherche de solution. Et il faut beaucoup d’entraide, d’ajustements et de consultation durant le processus, particulièrement auprès des parents.»