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Écologie comportementale

Le cri de l'hirondelle bicolore

Chaque année depuis les années 1970, les chercheurs observent une baisse de 5,5 % des populations d’hirondelles bicolores du Nord-Est de l’Amérique du Nord.
Chaque année depuis les années 1970, les chercheurs observent une baisse de 5,5 % des populations d’hirondelles bicolores du Nord-Est de l’Amérique du Nord.
Photo : fournie

Les populations d’hirondelles bicolores sont en chute libre. Les femelles, particulièrement affectées, maigrissent comme peau de chagrin. Non loin des fermes où la belle fait son nid, des chercheurs, dont Marc Bélisle, s’inquiètent. Mais quelle mouche pique donc l’hirondelle?

Partout sur la planète, les populations d’oiseaux des champs déclinent à des vitesses impressionnantes. Une certaine proportion des oiseaux de ferme – ou des champs – sont des insectivores aériens, parmi lesquels le martinet, les moucheroles et toutes les espèces d’hirondelles. Les insectivores aériens ont ceci de particulier qu’ils mangent en plein vol, gobant dans les airs les insectes au passage.

Un oiseau en pleine chute

Plusieurs études indiquent que la disparition des insectivores aériens est associée à la réduction, en milieu rural, de leur plat principal. «De 2006 à 2011, les femelles hirondelles bicolores ont perdu 8 % de leur masse corporelle, affirme le biologiste Marc Bélisle, de la Faculté des sciences. C’est absolument épouvantable pour un petit animal qui pèse à peine 20 grammes», ajoute celui qui étudie l’espèce depuis bientôt 10 ans.

Les mâles ne sont pas en reste : les données récoltées par Marc Bélisle et ses collègues montrent qu’ils subissent aussi une perte de 2 %. «Ce n’est pas une étape de l’évolution, affirme le chercheur. C’est clairement une réponse individuelle à quelque chose.»

L’hirondelle bicolore

Espèce migratrice, l’hirondelle bicolore passe l’hiver au Mexique et en Amérique centrale. Chaque année en mai, elle revient en Amérique du Nord pour se reproduire. Elle fait son nid dans les cavités des habitats ouverts, près des cours d’eau, dans les pâturages et les champs agricoles. Aujourd’hui, avec l’habitude, l’hirondelle dépend presque entièrement des maisonnettes disposées par l’humain. Depuis la fin des années 1970, les chercheurs observent chaque année une baisse de 5,5 % des populations d’hirondelles bicolores du Nord-Est de l’Amérique du Nord.

Une réponse à quoi?

Le biologiste Marc Bélisle étudie l’hirondelle bicolore depuis bientôt 10 ans.
Le biologiste Marc Bélisle étudie l’hirondelle bicolore depuis bientôt 10 ans.
Photo : Roger Lafontaine

Quelques années plus tôt, entre 2006 et 2008, Marc Bélisle et son collègue Dany Garant, également professeur au Département de biologie, ont observé les fluctuations saisonnières de diptères. Insectes ailés comme les mouches, les moustiques et les taons, les diptères sont le garde-manger des hirondelles bicolores. Les oiseaux insectivores, dont l'hirondelle, permettent ainsi à l’industrie agricole d’économiser chaque année des centaines de millions de dollars en insecticides.

Garant et Bélisle ont comparé la quantité de diptères dans les zones d’agriculture intensive du Sud du Québec. Faites de vastes monocultures, les zones intensives se caractérisent par des paysages homogènes et pauvres en biodiversité, des productions hâtives et un recours important aux pesticides, dont les redoutables néonicotinoïdes. Les zones intensives produisent notamment le maïs et le soya. Entre 2006 et 2008, l’équipe a capturé plus de 150 000 diptères à divers moments de la saison de reproduction de l’hirondelle, entre mai et août. Les résultats laissent perplexe.

En juin 2006, 2007 et 2008, au début de la saison d’été, les quantités de diptères étaient similaires, tant dans les zones intensives que non intensives. Les différences se sont exprimées par la suite. «Dans les zones intensives, les diptères étaient bien moins nombreux au fur et à mesure que l’été progressait, explique Marc Bélisle. Ces conditions ont sans doute créé une trappe écologique pour les hirondelles, qui se sont retrouvées captives d’un milieu qui s’annonçait pourtant riche en nourriture.»

Or, les résultats récoltés en 2008 changent quelque peu la donne : la quantité de diptères récoltés cette année-là fut plus abondante dans les zones intensives que celle récoltée dans les zones non intensives, en 2006 et 2007. «La dynamique écologique autour des zones d’agriculture intensive est plus complexe qu’on ne l’imaginait.» D’où l’importance des études à long terme, malheureusement difficiles à financer.

Dans le nid de l’hirondelle

Photo : fournie

Si l’hirondelle dispose de moins de nourriture et d’un habitat de moindre qualité, ne risque-t-elle pas de voir sa descendance compromise? Un poids santé, par définition, soutient biologiquement les capacités de reproduction et de survie des oiseaux. En 2008, la professeure Fanie Pelletier s’est jointe à l’équipe de Marc Bélisle pour étudier la réponse immunitaire des hirondelles bicolores dans des milieux agricoles intensifs et non intensifs. La défense immunitaire peut, en effet, être très coûteuse pour l’individu. De plus, l’énergie qui lui est consacrée n’est pas disponible pour d’autres fonctions essentielles telles que se nourrir, se déplacer, maintenir sa température corporelle… et se reproduire.

De 2008 à 2010, l’équipe a comparé la réponse immunitaire des femelles adultes et des oisillons nichant dans des milieux agricoles intensifs et non intensifs. Selon leurs observations, la qualité environnementale influence la réponse immunitaire des femelles. La réponse des femelles adultes suggérait une meilleure protection immunitaire en zones non intensives. En revanche, l’intensité de l’agriculture n’a pas paru influencer la réaction immunitaire des oisillons. «Les femelles adultes pourraient tamponner l'effet négatif d'un environnement de mauvaise qualité sur leurs oisillons, explique le professeur Bélisle. Dans des habitats de mauvaise qualité, certains individus pourraient faire un compromis entre leur propre protection immunitaire et d’autres fonctions essentielles telles que s’occuper des petits.»

Prochaine étape : les néonicotinoïdes

Au péril de sa vie, la belle migratrice laisse sur son passage de précieux indices sur la santé de notre environnement. L’équipe de Marc Bélisle a bien l’intention de continuer à suivre la messagère pour décrypter ce qu’elle a à nous dire. Prochain chantier : vérifier l’impact des puissants néonicotinoïdes sur la santé de leur met principal, les diptères. Mis au point dans les années 1990, ces pesticides sont utilisés sous forme d’enrobage des semences de maïs et de soya. Parmi les insecticides les plus utilisés à travers le monde, ces neurotoxiques agissent sur le système nerveux central des insectes, allant jusqu'à provoquer leur mort.

Avec le professeur Jean-Philippe Bellenger, du Département de chimie, Marc Bélisle entreprend de mesurer les taux de néonicotinoïdes retrouvés chez les diptères. Un travail de moine qui s’annonce riche en découvertes. «Une bonne partie de la communauté scientifique s’accorde sur le fait que ces pesticides jouent un rôle dans le déclin des abeilles, dit le chercheur. On peut imaginer les conséquences que leur présence peut entraîner sur la survie de l’hirondelle bicolore, qui en ingère de manière indirecte.» Une histoire à suivre.