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Qui a peur d’être féministe?

La professeure Isabelle Boisclair est spécialiste des théories féministes.
La professeure Isabelle Boisclair est spécialiste des théories féministes.

Photo : Michel Caron

«Le féminisme n'est en rien "contre les hommes". Il est contre l'inégalité, contre le partage inéquitable des ressources, des richesses, des savoirs et des pouvoirs», souligne la professeure Isabelle Boisclair.

Le vibrant plaidoyer de la jeune actrice Emma Watson dans le cadre de la campagne HeForShe de l’ONU a donc de quoi réjouir cette spécialiste des théories féministes. La vidéo du fameux discours – qui a atteint plusieurs millions de vues en seulement quelques jours – «permettra de démystifier cette conception selon laquelle les féministes n’aiment pas les hommes», croit la professeure.

«L’un des traits positifs de ce discours est le fait qu'il soit porté par une personnalité ayant une grande notoriété, qui plus est une notoriété "positive"», ajoute-t-elle. De plus, la campagne HeForShe est conçue pour s’adresser aux hommes dans «un mouvement de solidarité dédié à l’égalité des sexes rassemblant la moitié de l’humanité pour appuyer l’autre moitié de l’humanité».

Pour le bien commun

Pourquoi le mot «féministe» rebute-t-il autant s’il prône l’égalité des sexes? La professeure Isabelle Boisclair pose deux hypothèses : la méconnaissance et la peur du féminisme.

«Le féminisme est un humanisme. Mais l'humanisme a été fondé par la société occidentale à un moment de son histoire où les femmes étaient exclues des instances de pouvoir mais aussi des discours, explique-t-elle. Aujourd’hui (sans que ce processus soit terminé, ni ici, ni certainement ailleurs dans le monde), les femmes ont accédé à la vie publique et ont acquis du pouvoir. Le féminisme est alors nécessaire pour actualiser l'humanisme aux réalités contemporaines – étendre les droits de "l'homme" aux femmes pour en faire des droits de la personne, en pensant les femmes et les hommes "égaux".»

Mais cette volonté de distribuer plus équitablement les pouvoirs, les savoirs, les ressources et les richesses ne fait pas l’affaire de tous. «Ce n'est jamais réjouissant de devoir partager ce dont on jouit déjà. Les ressources et les richesses sont limitées, alors exiger que les femmes en aient plus signifie nécessairement une certaine perte pour "l'autre partie"», indique Isabelle Boisclair.

Il faut plutôt voir ce partage comme un gain pour l’humanité entière, selon la professeure : «Si l’on prend un peu de recul, on ne peut que constater qu’il n’y a pas de perte. Sur le plan individuel, peut-être certaines prérogatives sont-elles perdues ici ou là. Mais à l'échelle du collectif, c'est à coup sûr en termes de gains que cette redistribution doit être vue, pour le bien commun.»

Pour l’actrice Emma Watson, il est grand temps que les deux moitiés de l’humanité agissent ensemble vers ce mieux-être commun. Son message est clair : «If not me, who, if not now, when?»

Le test de Bechdel

À l’image de la société, les œuvres de fiction sont loin d’adopter un point de vue féministe sur le monde. «Encore (trop!) d’hommes considèrent le féminin comme sujet subordonné aux hommes, donc pas un sujet à part entière. Dans certains romans, les personnages féminins n'ont de raison d'être que par rapport aux personnages masculins, actifs dans l'histoire», affirme la professeure Isabelle Boisclair.

Faire le test de Bechdel permet de mieux saisir l’ampleur du phénomène. Une œuvre réussit le test si elle met en scène deux femmes identifiables qui parlent ensemble d’autre chose que d’un homme.

«Il arrive encore de voir des personnages féminins dont la présence dans la fiction n'est justifiée que par... leur utilité sexuelle, dit la professeure. Et cela, aussi bien chez des hommes que chez des femmes. Influencées par les fictions masculines, certaines femmes reprennent même les pires clichés. Par ailleurs, il arrive que des écrivains masculins, à l'instar de nombreuses écrivaines, tentent de repenser le monde, d'imaginer de nouveaux rapports, etc.»


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