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Quand éclipse solaire rime avec dommages oculaires

Photo : Mathieu Lanthier - UdeS

Les astres seront alignés. Une expression courante qui évoque la coïncidence exceptionnelle d'évènements désirés. Un reflet dans le langage populaire qui témoigne de la rareté de ces évènements astronomiques et de la fascination qui entoure le moment où les chemins dressent une ligne dans l'immensité, entre orbites et néant. 

Le 8 avril prochain, en après-midi, aura lieu un évènement rare, l'alignement de notre planète, de la Lune et du Soleil. Pendant quelques instants, plusieurs régions du Québec seront plongées dans l'obscurité, la Lune cachant parfaitement l'entièreté du Soleil, ce qu'on appelle une éclipse solaire totale. Au Québec la dernière éclipse solaire totale remonte à 1972 et ne se reproduira qu'en l'an 2106. Pour plusieurs, il s'agit de l'unique occasion d'assister à ce spectacle, et nombreux seront les spectateurs.

Or, on ne regarde pas les éclipses avec la même candeur et les mêmes lunettes 3D qu'on regarde un film au cinéma. 

De gauche à droite : Dr Michaël Marchand-Gareau accompagné des rédactrices de l’article : Catherine Simard et Sarah Bastien, résidentes au Service d’ophtalmologie du CIUSSS de l'Estrie - CHUS
De gauche à droite : Dr Michaël Marchand-Gareau accompagné des rédactrices de l’article : Catherine Simard et Sarah Bastien, résidentes au Service d’ophtalmologie du CIUSSS de l'Estrie - CHUS
Photo : Mathieu Lanthier - UdeS

L'œil, l'organe à protéger pendant l'éclipse

Dans l'œil, la lumière traverse d'abord la cornée, un hublot transparent devant la partie colorée de l'œil, qui est l'iris. La lumière passe ensuite par la pupille, une ouverture qui forme le rond noir au milieu de l'iris. Les rayons de lumière venant de l'objet que l'on observe se rassemblent ensuite sur la rétine du fond de l'œil. Ce sont les cellules de la rétine qui transforment les rayons de lumière en message, acheminés et interprétés au cerveau comme une image.

Les rayons ultraviolets (UV) venant du soleil ont toujours un potentiel toxique pour la rétine, par des mécanismes principalement chimiques. Dans la vie de tous les jours, rare sont ceux qui fixent le soleil du regard. Les yeux brûlent, la pupille rétrécit, et on regarde instinctivement ailleurs. Cependant, la Lune cache plus de 90% du Soleil lors d'une éclipse. L'intensité de la lumière diminue, et on peut alors regarder le phénomène avec moins de difficulté. La pupille se dilate, laissant ainsi entrer plus de lumière. 

Ainsi, la rétine et ses photorécepteurs peuvent être endommagés, même après moins d'une minute d'observation ou avec quelques courtes expositions répétées. Cette atteinte se nomme plus communément la rétinopathie solaire. Il est possible d'observer des taches noires dans centre de la vision, des déformations des images, de la vision floue. Les symptômes visuels surviennent à retardement, dans les heures ou les jours suivants. Le plus souvent, la vision floue est transitoire, mais certains symptômes peuvent être irréversibles.

Bien qu'on parle souvent de la « rétinopathie solaire », la cornée peut aussi être endommagée par les rayons UV, causant une photokératite. La surface de l'œil devient irrégulière et les symptômes se manifestent dans les 6 à 12 heures suivant l'observation de l'éclipse. La vision floue est de nouveau un des symptômes rapportés, avec cette fois de la rougeur et de la douleur aux yeux, la sensation d'un « corps étranger dans l'œil », l'intolérance à la lumière et le larmoiement. Selon le cas, des traitements sont disponibles pour favoriser la réparation de la surface et pour minimiser les infections, mais cela ne garantit pas le retour de la vision à 100%.

Méthodes de prévention

Heureusement, il existe des moyens d'assister au spectacle astronomique sans y laisser la vue. Plusieurs pages ont été préparées pour informer des mesures de prévention à adopter, dont celle du Gouvernement du Québec.

Des lunettes respectant la norme ISO 12312-2 peuvent être utilisées, après avoir vérifié qu'elles sont en parfait état. Différents points de vente sont listés sur le site eclipsequebec.ca. Des lunettes respectant la norme ISO sont aussi disponibles à l'UdeS. Des méthodes de visualisation indirecte, comme les boites à éclipse, sont sécuritaires. Il faut savoir que les jumelles et les télescopes ne devraient surtout pas être utilisées et que les téléphones cellulaires sont jugés risqués, car ils augmentent les chances de regarder l'éclipse en les manipulant. La santé publique demande de ne pas conduire avec les lunettes ISO 12312-2, et de plutôt porter un chapeau à rebords longs.

Les lunettes de soleil régulières, les lunettes pour le cinéma en 3D et autres filtres non certifiés ne sont pas adéquats pour regarder l'éclipse.

Pour les personnes situées dans la bande de totalité (c.-à-d. là où l'éclipse sera, à un certain moment, totale), il est possible d'y retirer ses lunettes afin d'observer la couronne solaire, et ce uniquement pendant la phase totale. Cette période durant laquelle le soleil est complètement caché dure entre 1 et 3 minutes. Elle est précédée et suivie d'une phase partielle, où le Soleil n'est que partiellement couvert par la Lune. Il est important de remettre les lunettes avant la fin de la totalité pour prévenir tout dommage aux yeux. À l'extérieur de la bande de totalité, il faut porter les lunettes en tout temps puisque le soleil ne sera pas entièrement caché. Des applications, telle que Mon Éclipse créée par la Fédération des astronomes amateurs du Québec (FAAQ), offrent des outils pour regarder l'éclipse en toute sécurité. Par exemple, des avertissements sonores peuvent vous informer des moments où il est adéquat de retirer et de remettre les lunettes de protections en fonction de votre localisation géographique.  

Les enfants pourraient être particulièrement vulnérables aux dommages oculaires, par leur compréhension moindre des dangers et parce que les yeux sont plus transparents – ils n'ont pas encore de cataractes qui bloquent partiellement les rayons! Il faut donc les surveiller de près.

Pas de panique

Enfin, il est important de se rappeler de ne pas regarder le soleil sans protection adéquate lors de l'éclipse solaire. L'exposition directe au Soleil pendant la phase partielle de l'éclipse (avant et après la phase totale) peut engendrer de graves conséquences visuelles permanentes allant jusqu'à la baisse de vision. En cas de troubles visuels après avoir regardé l'éclipse, il est recommandé de consulter rapidement un optométriste, un ophtalmologiste ou tout autre professionnel de la santé.

Le Service d'ophtalmologie collabore d'ailleurs avec la Direction de santé publique de l'Estrie pour documenter les troubles oculaires chez les personnes ayant observé l'éclipse et ayant développé des symptômes oculaires dans le mois suivant l'événement. Grâce à cette collaboration, il sera possible non seulement d'estimer le nombre de cas de troubles oculaires liés à l'éclipse dans la région, mais aussi de comprendre le type d'exposition ayant mené à un tel trouble.

Catherine Simard et Sarah Bastien, résidentes au Service d’ophtalmologie de l’UdeS
Catherine Simard et Sarah Bastien, résidentes au Service d’ophtalmologie de l’UdeS
Photo : Mathieu Lanthier - UdeS

Merci à Catherine Simard et Sarah Bastien, résidentes au Service d'ophtalmologie du CIUSSS de l'Estrie - CHUS pour la rédaction de cet article, sous la supervision du Dr Michaël Marchand-Gareau, directeur du programme postdoctoral en ophtalmologie et de Dre Mélissa Généreux, médecin-conseil à la Direction de santé publique de l'Estrie.

Le Service d'ophtalmologie est un service au sein du Département de chirurgie. Il accueille des personnes résidentes pour une résidence de 5 ans.

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